Entrée à l'université : crispations autour de la déclinaison locale des attendus

Laura Taillandier Publié le
Entrée à l'université : crispations autour de la déclinaison locale des attendus
A Paris 1, la commission formation vie universitaire refuse de mettre en place la réforme du premier cycle. // ©  Camille Stromboni
Dans les universités, l'heure est à la déclinaison locale des attendus. Si beaucoup de formations choisissent de s'en tenir au cadrage national, des points de crispation se font jour sur les critères qui permettront d'analyser les dossiers des étudiants.

Du passage délicat de la théorie à la pratique, le tout dans un calendrier contraint. Dans certaines universités, les discussions sur la déclinaison des attendus prévus par le Plan étudiants tournent au vinaigre. "Il y a un vrai chaos sur la question des attendus, beaucoup de confusion et pas mal d’interprétations différentes, s’inquiète Jimmy Losfeld, le président de la Fage. Ce qui m’attriste le plus, c’est la méconnaissance de la philosophie même de ces attendus. Certains pensent que la réforme permettra de sélectionner les étudiants dans les formations qui ne seraient pas en tension…" regrette-t-il. Et de s'interroger : "Le cadrage national était-il trop flou ?"

Une situation très hétérogène

La déclinaison locale des attendus doit laisser les universités préciser le cadrage national et mettre en lumière les particularités de certaines formations. "Il y a des interprétations très différentes de la réforme", note également la présidente de l'Unef, Lilâ Le Bas. Et des "surprises". "Le Bafa, qui devait ne pas être exigé, refait son apparition. Sans l'écrire, toutes les compétences du diplôme sont exigées. Les notes reviennent aussi en force, notamment pour les sciences dures", expose la représentante du syndicat étudiant.

On va avoir une multitude d'APB locaux : par composante, par UFR...
(P. Chantelot)

Les cas de figure varient fortement d’une université à l’autre, selon les premiers constats des organisations syndicales. "La situation est très différente entre les établissements, mais aussi d'un domaine de formation à un autre, au sein des universités", observe Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT. "Le mot qui revient le plus pour décrire la situation est 'bordélique'. On va avoir une multitude d'APB locaux : par composante, par UFR...", commente quant à lui Pierre Chantelot, secrétaire national du Snesup-FSU.

Une minorité d'attendus locaux ...

Dans une majorité de cas, les choix semblent s'aligner sur des attendus nationaux. C'est le cas de l'université de Cergy-Pontoise, présidée par François Germinet, en charge de la commission formation et insertion professionnelle de la CPU (Conférence des présidents d'universités). Seules certaines formations "très spécifiques" ont choisi de décliner les attendus, comme les cursus masters en ingénierie, ou celles dites Portail, en maths, informatique et physique.

Á Cergy, le vote sur les attendus est intervenu tôt, dès la mi-décembre. "Le point essentiel n'est pas tant les attendus mais les éléments à prendre en compte pour analyser les dossiers et vérifier que le profil des élèves corresponde aux attendus", souligne le vice-président CFVU (Commission formation et de la vie universitaire) de Cergy-Pontoise, Patrick Courilleau.

Seront ainsi pris en compte par l'université : les notes de première et de terminale, les résultats des épreuves anticipées du baccalauréat et le contenu de la fiche Avenir. "Pour nous, l'élément très important sera l'avis des enseignants sur la capacité de l'élève à travailler en autonomie, en groupe..." pointe-t-il.

Le point essentiel n'est pas tant les attendus mais les éléments à prendre en compte pour analyser les dossiers.
(P. Courilleau)

Ces éléments d'analyse des dossiers varieront selon les formations. "En droit, pour évaluer la capacité à raisonner de manière logique, on regardera les notes de maths ou de philosophie, ainsi que l'avis des professeurs de latin ou de grec", illustre le vice-président. Parmi les spécificités qui seront regardées : les certifications en langues, les CV dans certaines formations sélectives, des modules d'auto-positionnement, voire des questionnaires non obligatoires où l'élève donnera son avis sur sa capacité à travailler en autonomie ou en groupe. "On s'interdit de cibler un baccalauréat même si on prendra en compte le parcours de l'élève, notamment pour les dispositifs adaptés proposés dans le cadre des 'Oui, si'", précise Patrick Courilleau.

... qui cache une diversité de situations

À l'université de Strasbourg, les critères d'analyse des dossiers, encore en discussion, devraient être similaires à ceux de Cergy-Pontoise, avec la prise en compte des résultats scolaires de première et de terminale des élèves, ou encore contenu de la fiche Avenir. Seules certaines formations spécifiques déclineront le cadrage national des attendus. "Nous avons par exemple un parcours droit européen où l'on affichera une exigence linguistique plus forte", illustre le vice-président formation de l'établissement, Benoît Tock.

Pour Franck Loureiro, du Sgen-CFDT, le choix de s'orienter vers des attendus généraux relève de plusieurs facteurs différant selon les établissements. "Soit les équipes, par manque de temps, se concentrent sur la construction des dispositifs d'accompagnement pour obtenir des financements, soit elles jugent que le cadrage national est suffisant pour informer les bacheliers. Enfin, et c'est plus rare, certaines, par opposition, choisissent de ne pas faire remonter les attendus."

Tensions à Paris 1...

C'est notamment le cas de Paris 1, où une motion a été votée en ce sens, mardi 9 janvier 2018 lors de la CFVU (Commission de la formation et de la vie universitaire). "En demandant aux universités de classer les candidatures étudiantes selon un certain nombre de critères, alors que les universités ont des capacités d’accueil limitées, le ministère s’apprête en réalité à mettre en œuvre une sélection qui ne dit pas son nom", est-il indiqué dans le texte.

Une motion qui témoigne d'un "rejet de principe" des attendus, selon Abdoulaye Diarra, le vice-président de l'Unef : "Ils sont trop généraux et laissent la place à la prise en compte de critères de sélection." Même constat pour Marie Cottrel, responsable locale du Snesup-FSU, qui craint "une mise en concurrence" exacerbée des établissements dans l'académie.

Au sein de Paris 1, quatre UFR, regroupant 70 % des étudiants, ont fait des propositions de déclinaison (droit, management, arts, et histoire de l'art et archéologie), quand cinq autres (histoire, géographie, sociologie, sciences politiques et économie) ont refusé de faire remonter les attendus et critères locaux.

Selon les documents qu'EducPros a pu consulter, en gestion, par exemple, sept critères d'analyse des dossiers sont ainsi proposés comme la série du baccalauréat (de préférence S et ES), ou encore le CV et tout autre document attestant d'un intérêt pour le monde de l’entreprise. Il est par ailleurs précisé, comme pour la filière droit, que "l’expérience montre que les baccalauréats technologiques et professionnels ne sont, en règle générale, pas adaptés à la poursuite, dans de bonnes conditions, [de telles études]".

"Nous sommes encore en concertation. Ces éléments proposés par les UFR ne sont pas ceux engageant l'établissement. C'est la CFVU qui doit valider ce dossier", insiste Paris 1, qui ne voit pas dans cette motion un "non définitif" et négocie avec le ministère pour obtenir des moyens supplémentaires. L'université espère que ce point "permettra d'obtenir un consensus". "Ce que nous souhaitons, c'est rendre visible notre offre de formations en ligne dans Parcoursup avant le 22 janvier. Puis, si c'est techniquement possible, de renseigner ultérieurement les attendus." Une nouvelle commission se tiendra le 18 janvier.

... Et à Clermont-Auvergne

La situation est également tendue à l'université Clermont Auvergne, où une cinquantaine d'enseignants-chercheurs et étudiants ont investi le 9 janvier la CFVU, à l'appel de l'Unef et du Snesup notamment, reportant le vote des attendus. Si la responsable locale de la Fage regrette ce blocage "qui prend en otage la commission", elle porte un regard critique sur les critères d'analyse des dossiers retenus par l'établissement. Dans les premières propositions, "on demandait aux élèves d'avoir effectué un séjour linguistique alors que c'est discriminant socialement". "Le plus scandaleux : dans certaines formations, on voulait regarder si les étudiants avaient eu une activité salariée pendant leur scolarité", rappelle Wendy Lafaye.

Ces éléments ont été retirés après une réunion, jeudi 11 janvier. "Il y a des inquiétudes qui reposent sur un malentendu. Ces éléments n'étaient pas considérés comme des prérequis mais comme pouvant valoriser un dossier, comme un engagement extrascolaire", souligne le président de l'université, Mathias Bernard.

En revanche, un "vrai sujet de divergence", notamment avec la Fage, reste la prise en compte des bulletins scolaires dans l'analyse des dossiers. "Il faut voir comment rassurer, mais c'est un élément essentiel et tangible pour déterminer si l'étudiant a besoin d'un parcours adapté ou non", relève Mathias Bernard, qui espère arriver au plus vite à une proposition pouvant satisfaire une majorité d'élus de la commission.

Un calendrier contraint

Car le calendrier resserré complique la tâche des universités. Alors qu'elles ont jusqu’au 17 janvier pour renseigner les attendus dans Parcoursup, le vote au sein des commissions peut intervenir jusqu'au début du mois de mars, soit a posteriori. "Ce décalage complexifie quelque peu l'exercice de la démocratie universitaire", s'inquiète un vice-président CFVU.

Dans un grand nombre d'établissements, les discussions se poursuivront la semaine du 16 janvier. À Strasbourg, où le vote est prévu le 30 janvier, plusieurs commissions "préparatoires" sont encore prévues. Benoît Tock, le vice-président formation, ne constate "aucun retour négatif de la part des élus étudiants" sur le projet de l'université mais reste toutefois "prudent", espérant que la situation de Paris 1 ne fera "pas tache d'huile". D'autant que l'Unef affiche clairement "sa stratégie" : "faire en sorte que les universités remontent le moins possible les attendus."


6 millions d'euros pour reconnaître l'engagement des enseignants

Le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation a annoncé la mise à disposition des établissements de 6 millions d'euros, afin de "reconnaître l'implication" des enseignants et enseignants-chercheurs "dans le déploiement de la réforme".

"Cette enveloppe permettra notamment d’indemniser la prise en charge de la nouvelle procédure d'entrée en premier cycle, et en particulier l'analyse du parcours, du projet et des connaissances et compétences des bacheliers mais également de financer la mise en place de directeurs d'études et de référents pour accompagner les étudiants", développe Frédérique Vidal dans un courrier adressé au Sgen-CFDT, le 22 décembre 2017.

Plus largement, une concertation dédiée à la reconnaissance de l’activité des formation des enseignants s'ouvrira au cours du premier semestre 2018.

Laura Taillandier | Publié le