Face à la mobilisation des écoles d’art, l'aide de deux millions d'euros du ministère de la Culture ne convainc pas

Malika Butzbach Publié le
Face à la mobilisation des écoles d’art, l'aide de deux millions d'euros du ministère de la Culture ne convainc pas
Les étudiants de l'IsdaT, l'institut des arts et du design de Toulouse, se mobilisent contre la privatisation des écoles d'art territoriales. // ©  Photo fournie par le témoin
Alors qu’une trentaine d’écoles d’art publiques sont mobilisées, inquiètes quant à leur avenir dans le contexte d’inflation, le ministère de la Culture annonce une aide d’urgence de deux millions d’euros. Une mesure insuffisante regrettent les acteurs concernés. Par ailleurs, une mission sur la situation de ces établissements est confiée à Pierre Oudart, directeur général de l’Institut national supérieur d’enseignement artistique Marseille Méditerranée.

C’est une première réponse qui ne satisfait pas. Alors que les occupations et les blocages se multiplient parmi les écoles d’art territoriales, la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak a annoncé, mardi 28 mars, une aide d’urgence d’une enveloppe de deux millions d’euros ainsi que la compensation des frais d'inscription des étudiants boursiers. "Nous sommes heureux d’avoir été entendus, indique Amel Nafti, co-présidente de l’Andéa. Mais cette enveloppe n’est pas à la hauteur." Un constat que partage le Massicot (Union syndicale des étudiant·es en école de création), qui estime que "l’aide est insuffisante au regard de l’étendue de la crise".

Dans son communiqué, l’inter-organisation, une coordination regroupant les syndicats enseignants et étudiants de ces écoles, dénonce "une aumône méprisante, excessivement en-deçà de tous les chiffrages des besoins des écoles d’art et design, même en ne retenant que les urgences budgétaires de l’année en cours". L'Andéa estime entre 8 et 11 millions d’euros nécessaires pour les écoles tandis que l’inter-organisation chiffre ce besoin à 20 millions d’euros.

Une aide du ministère de la Culture insuffisante face à l’urgence

Du côté du ministère, on souligne que l’enveloppe est un effort financier conséquent puisqu’elle représente une augmentation de 14% de la dotation de l’État aux écoles. "Et alors ? Cela montre juste la faiblesse de la dotation étatique", s’indigne Jérôme Dupeyrat du Snéad-CGT. Pour l'Andea, les deux millions prévus ne "pourront en aucun cas répondre à la crise financière qui met en péril imminent les établissements".

Se pose aussi la question de la répartition des deux millions d’euros. "Cette dotation ira principalement aux établissements où la participation de l’État est la plus faible, en se basant sur les effectifs étudiants. Mais, derrière l’apparence d’équité de ce mode de distribution, cela signifie en réalité que certaines écoles en grande difficulté risquent de ne pas bénéficier de l’aide, ou trop peu", poursuit le syndicaliste, membre de l’inter-organisation. Une position partagée par l'Andea qui demande que "les clés de répartition de cette aide d’urgence et des dotations structurelles soient définies collégialement, de manière transparente et en concertation avec l’ensemble des écoles du réseau et avec leurs équipes."

Les écoles d’art territoriales font face à une hausse brutale de leur dépenses dans un contexte d’inflation. "Les prix des matériaux ont augmenté de 30% ce qui, pour notre école de la pratique, a un impact sur notre budget, témoigne Marie-Haude Caraës, directrice générale de l’Esad Tours-Angers-Le Mans. Il y a aussi la hausse du prix de l’énergie : sur le site d’Angers, la facture est passée de 93.000 à 222.000 euros en un an." Ces augmentations des prix s’ajoutent à la hausse du point d’indice, ce qui, pour l’Esad Tours-Angers-Le Mans, représente 240.000 euros pour 150 personnes.

L’État "ne veut pas se substituer aux collectivités"

Ces 33 écoles d'art territoriales, au statut d'Etablissements publics de coopération culturelle (EPCC), sont financées majoritairement par les collectivités locales. L’État subventionne en moyenne 10% de leur budget. "On le constate, cette structuration ne permet pas la soutenabilité des EPCC qui fonctionnent à budget constant pour des coûts qui augmentent, souligne Amel Nafti. D’autant qu’elles dépendent du contexte économique de la collectivité et celles-ci sont exsangues actuellement."

Le ministère précise vouloir "répondre à l’urgence, mais sans se substituer aux collectivités". Dans cette situation, État et collectivités se renvoient la balle. "Mais il n’y a pas d’arbitre. Personne ne veut faire le plus gros effort pour résoudre la crise tandis qu'aucune des deux parties ne veut prendre la décision de fermer l’établissement", regrette Amel Nafti.


Quelle suite pour l’Esad Valencienne ?
Les inquiétudes pèsent notamment sur l’Esad Valenciennes dont le maire Laurent Degallaix avait annoncé en mai 2022 l’extinction dans trois ans du financement par la municipalité. Sur ce dossier, le ministère répond avoir pris "toutes ses responsabilités sans pouvoir se substituer au désengagement d’une collectivité". Une annonce qui a surpris Jérôme Dupeyrat du Snéad-CGT et membre de l’inter-organisation Massicot. "Le ministère se défend d’interférer dans les décisions des collectivités mais acte que l’affaire est pliée pour cette école. Or, celle-ci est toujours ouverte et nous nous battrons pour qu’elle le reste."

Une mission d’évaluation afin de "relever les défis structurels"

Rima Abdul-Malak a également annoncé la création d’une mission "pour relever les défis structurels de ces écoles dans le dialogue avec les collectivités", confiée à Pierre Oudart. L’ancien délégué aux arts plastiques au ministère de la Culture et actuel directeur de l'Institut national supérieur d'enseignement artistique de Marseille Méditerranée devra rendre ses préconisations avant l’été.

"Nous espérons que cette mission prenne la forme d’un vrai travail collectif et ne soit pas un énième rapport comme nous en avons déjà beaucoup", insiste Amel Nafti de l’Andéa. L’inter-organisation est plus méfiante. "En tant que directeur d’une école, Pierre Oudart est à la fois juge et partie, pointe un membre du Massicot. D’autant que la mission vise à réfléchir au maillage territorial des formations d’art en prenant en compte le privé. Pour nous, c’est un risque de privatisation de nos formations."

Une assemblée générale doit se tenir dans les prochains jours pour décider de la suite à mener. "Nous allons appeler à une intensification de la mobilisation, répond Jérôme Dupeyrat. Parce que le ministère ne nous écoute pas, nous devons durcir le mouvement."

Malika Butzbach | Publié le