Ma thèse en 180 secondes : le doctorat, un diplôme "suprême"... sauf en France ?

Aurore Abdoul-Maninroudine Publié le
Ma thèse en 180 secondes : le doctorat, un diplôme "suprême"... sauf en France ?
Doctorante en chimie à l’Université d’Abomey-Calavi, Marielle Yasmine Agbahoungbata a remporté le premier prix de la finale internationale de MT180. // ©  Aurore Abdoul-Maninroudine
Après la Suisse en 2016, c'est une candidate béninoise qui a remporté l'édition 2017 de la finale internationale de "Ma thèse en 180 secondes". À Liège, le 28 septembre 2017, 20 candidats issus de 15 pays se sont affrontés. L'occasion pour eux de comparer la perception du doctorat dans leur pays respectif.

"Mon quotidien, vous l'aurez compris, c'est de mettre des glaçons dans des verres de mojito." Pour la quatrième édition de la finale internationale de "Ma thèse en 180 secondes", les candidats n'ont pas lésiné sur les moyens pour exposer leur sujet de thèse en faisant montre de pédagogie. Humour, autodérision, ton décalé... Tout était bon à prendre pour convaincre et séduire le jury international, ainsi que le public. Le tout en 180 secondes, bien évidemment.

20 candidats issus de 15 pays

Entourant la scène, sous des éclairages dignes d'une émission de télé-réalité, le public était au rendez-vous, jeudi 28 septembre 2017, dans les locaux de la RTBF (Radio-télévision belge de la Communauté française) à Liège (Belgique). Plusieurs centaines de personnes étaient venues assister à cette finale, qui rassemblait 20 candidats issus de quinze pays.

Au final, cinq candidats, tous de nationalité différente, ont été récompensés : la lauréate béninoise, Marielle Jasmine Agbahoungbata, travaille sur l'élimination de micropolluants dans l'eau, tandis que les gagnants respectifs des deuxième et troisième prix, Damien Mathis et Sarah Olivier, sont respectivement canadien et suisse. Les deux prix accordés par le public à l'issue d'un vote sont par ailleurs revenus à la Française Sabrina Fadloun, gagnante de la version française de MT180, et au Belge Thomas Abbate.

Le doctorat, suite logique au master...

Si tous les candidats ont en commun l'amour de la recherche, leur décision de soutenir un doctorat n'a pourtant pas été perçue de la même manière dans leurs pays respectifs. Au Bénin, rappelle Marielle Yasmine Agbahoungbata, "il y a eu une vraie révolution ces dix dernières années. Le doctorat, c'est le diplôme suprême. La société civile et les entreprises ont compris que c'est grâce à la recherche scientifique que des solutions concrètes pourront être apportées au pays". Au final, "tous les étudiants qui en ont les moyens essaient de faire une thèse après leur master mais, comme partout, nous avons des problèmes de financement", regrette la chercheuse béninoise.

En Belgique également, dans la discipline d'Alexis Darras, la physique, le doctorat est vu comme "la suite logique du master, avec 90 % des diplômés de master qui se lancent dans une thèse." Les raisons de cet amour fou ? La conviction que ce cursus peut leur permettre de sortir du lot sans que cela n'empiète pas sur leurs chances de faire carrière dans le privé, bien au contraire.

En physique, 90 % des diplômés de master belges se lancent dans une thèse.
(A. Darras)

"La Belgique est l'un des pays qui embauche le plus de docteurs dans le secteur privé, avec des développements de carrière plus intéressants par la suite que pour les diplômés de master", assure Alexis Darras, qui serait plutôt intéressé par une carrière dans la recherche publique, mais qui dit rester ouvert aux propositions.

... Sauf en France ?

Arthur Michaut, étudiant français réalisant sa thèse à la Harvard Medical School et inscrit à l'université de Strasbourg, témoigne, lui, du grand écart qu'il a pu observer entre son pays d'origine et son pays d'accueil. Aux États-Unis, souligne-t-il, "impossible de postuler à de nombreux postes sans un PhD" –  terme anglais de la thèse –, alors qu'en France, "les entreprises préfèrent nettement des profils d'ingénieurs", déplore le jeune chercheur. "On sent bien qu'il y a une volonté politique pour faire évoluer les choses, comme avec l'agrégation spéciale pour les docteurs, mais cela m'étonnerait que les entreprises modifient rapidement leurs habitudes", ajoute-t-il.

À moins que le mouvement ne se soit discrètement enclenché. La Française Sabrina Fadloun, gagnante du prix du public, raconte ainsi ne pas avoir pensé à s'engager dans une thèse avant... que son employeur ne le lui propose ! Ce dernier, à la tête de SPTS Technologies, a convaincu la jeune femme, qui occupait alors un poste d'ingénieur, de se lancer dans cette aventure, via le statut de doctorant salarié ou Cifre (Convention industrielle de formation à la recherche).

Aux États-Unis, impossible de postuler à de nombreux postes sans un PhD. En France, les entreprises préfèrent des profils d'ingénieurs.
(A. Michaut)

Ce statut présente de nombreux avantages et "gagnerait être plus connu", assure la chercheuse de l'Université Grenoble-Alpes, qui remarque d'ailleurs que sur la vingtaine de candidats français à MT180, trois ou quatre en bénéficiaient. De fait, selon les chiffres du ministère, en 2015, 10 % des doctorants financés de première année bénéficiaient de ce statut.

Malgré une charge de travail très importante l'obligeant à poursuivre ses recherches soirs et week-ends, la jeune femme a ainsi pu conserver son emploi – et donc son salaire –, tout en menant en parallèle sa thèse dans une laboratoire associé. Mais encore faut-il trouver une entreprise intéressée...

Aurore Abdoul-Maninroudine | Publié le