Formation des enseignants : comment transmettre l'histoire de la Shoah ?

Isabelle Dautresme Publié le
Formation des enseignants : comment transmettre l'histoire de  la Shoah ?
Formation des enseignants à l'histoire de la Shoah : professeurs à l'entrée du camp d'Auschwitz // ©  Isabelle Dautresme
Mieux former les enseignants d'histoire-géographie à l'histoire de la Shoah. Tel est l'objectif des voyages d'étude organisés par le Mémorial de la Shoah en partenariat avec les inspections académiques à Cracovie (Pologne). Au programme : avancées historiographiques et pratiques pédagogiques. Reportage à quelques jours de la Journée du souvenir des victimes de la déportation, le 26 avril.

En ce jeudi ensoleillé de mars 2015, ils sont une quarantaine, professeurs de collège ou de lycée, formateurs, inspecteurs, tous en provenance de l’académie de Nantes, à avoir délaissé leurs classes pour se former pendant quatre jours à "l’enseignement de l’histoire de la Shoah", à l'invitation du Mémorial de la Shoah en partenariat avec les rectorats. "Nous avons proposé ce voyage uniquement aux enseignants qui avaient manifesté leur intérêt pour le sujet, en participant par exemple à des projets sur la Seconde Guerre mondiale, au concours national de la Résistance ou encore en travaillant sur la mémoire", justifie Françoise Janier-Dubry, l’IA-IPR (inspectrice d'académie - inspectrice pédagogique régionale) nantaise en charge du projet.

Les attentats du début de l'année 2015 et les incidents qui ont émaillé la minute de silence dans des établissements ont braqué les projecteurs sur la difficulté pour certains enseignants de parler en classe de la laïcité, du racisme ou de l'antisémitisme mais aussi d’enseigner la Shoah. D’aucuns pointent leur manque de formation sur ces sujets sensibles.

Depuis 2008, le Mémorial de la Shoah emmène des professeurs d’histoire-géographie en Pologne. L’objectif ? Mieux comprendre la mise en œuvre de la "solution finale" pour mieux l’enseigner.

Un manque de formation

Première étape du voyage d'étude : Paris et le Mémorial. Les enseignants se pressent pour assister à la série de conférences assurées par des spécialistes de l’histoire du Troisième Reich. "Il faut commencer par bien poser le cadre", précise Alban Perrin, en charge de la formation au Mémorial de la Shoah depuis 2005.

Une mise au point d’autant plus nécessaire que les enseignants d’histoire-géographie
n’ont, pour la plupart d’entre eux, pas été formés à cette période cruciale de l’histoire contemporaine au cours de leur cursus universitaire. "Beaucoup ont des notions confuses voire erronées, remarque-t-il. Or, comment voulez-vous parler correctement de la Shoah à vos élèves quand vous ne faites pas vous-même la distinction entre camps de concentration et solution finale ?"

Appréhender la réalité du génocide

Deuxième étape du voyage d’étude : Cracovie. Engoncés dans leurs manteaux d’hiver, inspecteurs et professeurs écoutent attentivement un guide polonais, mandaté par le Mémorial, leur parler de la vie à Kazimierz. La visite de l’ancien quartier juif de Cracovie est l’occasion de faire le point sur le judaïsme et sa culture.

"Avant la guerre, Cracovie comprenait entre 65.000 et 68.000 juifs, aujourd’hui, soixante-dix ans plus tard, il n’y en a plus", souligne le guide tout en entraînant le groupe dans le principal cimetière juif de la ville. Et Alban Perrin de commenter : "L’intérêt de ce genre de visite, c’est de toucher du doigt la réalité du génocide. En France aujourd’hui, les juifs sont plus nombreux qu’en 1939. Pas facile dans ces conditions d’appréhender ce que signifie réellement une politique d’extermination. Tandis qu’ici on peut en voir concrètement les conséquences."

À peine le temps de déposer les valises à l’hôtel, en périphérie de Cracovie, qu’Alban Perrin enjoint les participants à assister à une conférence sur  "le Troisième Reich et ses crimes", animée par Christophe Tarricone, professeur d’histoire-géographie à Grenoble et formateur au Mémorial de la Shoah. Les enseignants réunis dans une salle exiguë, le formateur reprend les principales notions au programme. "Moi qui pensais maîtriser le sujet, en fait pas du tout", glisse un enseignant de collège à l’oreille de sa voisine. Un autre, un ordinateur portable en équilibre sur les genoux, de se désoler : "Ça fait des années que je raconte des choses fausses à mes élèves, j’ai encore parlé à tort de Shoah par balles la semaine dernière." D’où viennent de telles confusions de la part d’enseignants pourtant intéressés par la question ? Alban Perrin avance une explication : "Les  programmes entretiennent un certain flou. Ils assimilent par exemple crime de guerre et Shoah, ce qui est une aberration ! Quant aux manuels, ils ont un temps de retard sur les avancées historiographiques."

Ça fait des années que je raconte des choses fausses à mes élèves. (Un enseignant)

fournir des outils pédagogiques

Le troisième jour du voyage d’étude est consacré à la visite d’Auschwitz-Birkenau. Le groupe se rassemble sur la rampe du camp de Birkenau. Le soleil peine à percer l’épaisse couche de nuages. "C’est là que les juifs étaient sélectionnés", explique Alban Perrin tout en commentant la carte du site. Et d’insister : "Il est essentiel de comprendre qu’ici nous sommes avant tout dans un centre de mise à mort pour les juifs et non de concentration, comme beaucoup ont tendance à le présenter aux élèves."

Un peu plus loin, Christophe Tarricone commente des dessins réalisés par des rescapés du camp, affichés sur des panneaux. "C’est le genre de documents que vous pouvez utiliser avec vos élèves", indique l’enseignant-formateur en charge du volet pédagogique du voyage d’étude.

À l’entrée du camp, c’est à une conférencière, salariée du musée d’Auschwitz, de prendre la parole. "80% des personnes qui ont été envoyées ici ont été directement exterminées", insiste-t-elle, à son tour, dans un français parfait. Avant d’expliquer par le menu les méthodes industrielles utilisées par les nazis pour "massacrer le plus de juifs en un minimum de temps". Alban Perrin n’est jamais très loin, n’hésitant pas à prendre la parole pour expliquer, clarifier... Un enseignant demande une précision sur le gaz utilisé, un autre sur un chiffre. Mais, au final, les questions sont rares, les visages graves.

Formation des enseignants à l'histoire de la Shoah : visite du camp d'Auschwitz

des formations sur l’antisémitisme

Depuis les événements de janvier et "la grande mobilisation de l’École sur les valeurs de la République" décrétée par la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, le mouvement de rapprochement entre le Mémorial et les rectorats s’est accéléré. "Lorsque nous avons commencé à proposer ces programmes de formation, il y a huit ans, certains inspecteurs pédagogiques d’histoire-géographie étaient réticents à l’idée de consacrer quatre jours à la question de la Shoah, ne la jugeant pas nécessairement prioritaire. Quelques-uns pensaient peut-être même que l’on en faisait trop", souligne Alban Perrin.

Aujourd’hui, les académies qui déclinent les propositions d’intervention du Mémorial se comptent sur les doigts d’une main. Elles sont même de plus en plus nombreuses à demander à ce que les enseignants d’histoire-géographie – mais pas seulement – soient formés à l’histoire de l’antisémitisme et du complotisme. "Les rectorats réalisent enfin que, contrairement à ce qu’ils ont longtemps voulu croire, ces questions n’étaient pas circonscrites aux 'territoires perdus de la République'", commente Christophe Tarricone.

Des cours revus

Dernière étape du voyage : la visite du ghetto de Cracovie et sa place des Héros "aux 65 chaises vides, symbole de l’absence des 65.000 juifs du ghetto assassinés", explique la guide avant de conclure le voyage par une visite express de la vieille ville, sous un soleil printanier.

Et chacun de rentrer chez soi, avec la ferme intention de rectifier ses cours… "Je n’enseignerai plus l’histoire de la Shoah comme avant", commente un enseignant de lycée pro. "Je me sens mieux armée pour aborder la question du génocide juif avec mes classes maintenant que je suis venue ici", ajoute une professeure de collège. D’autres s’interrogent : faut-il amener des élèves sur le site ?

Mais le voyage ne s'arrête pas là… Dans quelques semaines, Alban Perrin se rendra à Nantes pour rencontrer les enseignants qui ont participé au voyage, "histoire de voir ce qu’il en reste".

La Journée du souvenir des victimes de la déportation, dimanche 26 avril
La Journée nationale du souvenir des victimes de la déportation doit permettre aux enseignants d'évoquer la déportation et le système concentrationnaire avec leurs élèves. Une journée aux résonances toutes particulières cette année : alors qu'on commémore la libération des camps il y a soixante-dix ans, le gouvernement vient d'annoncer son plan de lutte contre le racisme et l'antisémitisme.

Les formations dispensées par le Mémorial de la Shoah

Isabelle Dautresme | Publié le