La formation des enseignants dans le viseur de la Cour des comptes

Erwin Canard Publié le
La formation des enseignants dans le viseur de la Cour des comptes
La Rue Cambon prône notamment une rationalisation de l'offre de formation. // ©  Cour des comptes
Pilotage plus fort du ministère de l'Éducation nationale sur les universités, des sites de formation qui auraient vocation à se regrouper, un concours avancé : voici quelques-unes des recommandations de la Cour des comptes sur la formation des enseignants, une préfiguration de la réforme que s'apprête à lancer Jean-Michel Blanquer.

Pour Jean-Michel Blanquer, c'est un référé qui tombe à point nommé. Alors que le ministre de l'Éducation nationale a lancé ce printemps une réflexion en vue d'une réforme de la formation des enseignants, la Cour des comptes a rendu public, lundi 4 juin 2018, un référé (envoyé à Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal le 12 mars) qui émet des orientations proches de celles souhaitées par le ministre de l'Éducation nationale.

L'enquête des Sages de la Rue Cambon porte sur "la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espé) chargées de la formation initiale des enseignants du secteur public". Bien que les Espé fassent l'objet d'un rapport annuel du comité de suivi, la juridiction présidée par Didier Migaud a adressé ses observations aux deux ministres sur ces écoles mises en place à la rentrée 2013. À la rentrée 2016, celles-ci accueillaient plus de 65.000 étudiants.

Pour un renforcement du rôle de l'État vis-à-vis des universités

Les recommandations concernent tout autant le pilotage que les parcours de formation. S'agissant du pilotage, la Cour fait le constat que, bien qu'il ait "su rendre opérationnelle rapidement la réforme", le ministère de l'Éducation nationale n'a "pas été suffisamment directif envers les universités" jusqu'ici. Le pilotage de la formation doit donc être "renforcé", quitte à aller à l'encontre de l'autonomie des universités.

Cela doit d'abord passer, selon le Premier président, Didier Migaud, par l'inscription de la formation initiale des enseignants dans les contrats des sites universitaires, notamment à travers un document d'orientation de l'offre de formation MEEF (métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation) au sein des sites.

Un meilleur pilotage passerait également par un meilleur suivi des coûts de formation. Si le coût des deux années du master professionnel en Espé a été évalué à 1,1 milliard d'euros – hors rémunération des enseignants-stagiaires –, "ni le ministère, ni les universités" ne connaissent précisément le coût global de la formation initiale des enseignants.

Évaluer ce budget permettrait d'en faire un "outil politique et de pilotage", comme le préconisait la circulaire du 26 mars 2014, souligne la Cour. Ceci pour, in fine, "préciser dans le dialogue de gestion annuel les moyens au bénéfice de l’Espé".

Une offre de formation à rationaliser

Autre recommandation : "rationaliser l'offre de formation". La Cour veut "affirmer le rôle d’impulsion de la région académique", au moment où une réforme de la réorganisation territoriale est envisagée. L'objectif ? Promouvoir les "coopérations inter-Espé et de mutualiser des formations au niveau interacadémique", à travers un pilotage "plus volontariste" de la Rue de Grenelle. Concrètement, des sites et des formations à petits effectifs seraient par exemple amenés à se regrouper et d'autres à fermer. Actuellement, la couverture territoriale serait "insuffisamment resserrée".

La Cour des comptes formule également des recommandations sur les parcours de formation. Puisque "le recrutement d’enseignants titulaires [se fait] pour une période d’emploi longue", la juridiction souhaite s'assurer qu'il soit de qualité.

Toujours selon la Cour, ni la création du master MEEF ni l'allongement de la durée des études n'auraient "garanti une élévation du niveau des compétences disciplinaires ni une professionnalisation accrue". Aussi, "la crise d’attractivité du métier d’enseignant se traduit par des écarts excessifs des taux de sélectivité des concours".

Pour contrer notamment "les insuffisances de certains candidats", la Cour recommande de mieux accompagner l'entrée dans le métier, grâce notamment à un meilleur repérage des stagiaires en difficulté et, le cas échéant, de leur proposer un accompagnement renforcé.

Le concours déplacé et passé en deux ans

Quant au recrutement, la Cour propose de "réviser les modalités du concours" et de "poursuivre l'effort de professionnalisation", afin de remodeler l'organisation actuelle de la formation, composée d'une première année de master consacrée essentiellement à la préparation du concours et une deuxième très lourde pour les stagiaires, "qui doivent faire face à trois exigences : mener un stage en responsabilité, poursuivre la formation en Espé et rédiger un mémoire professionnel".

La Cour des comptes recommande donc de déplacer le couperet du concours, actuellement situé en fin de M1. Le format idéal, selon elle, consisterait en des épreuves d'admissibilité en fin de licence, centrées sur les compétences disciplinaires, et en des épreuves d'admission en cours de M1, davantage axées sur des enseignements de professionnalisation. Une possibilité également envisagée par Jean-Michel Blanquer.

Afin de pallier, selon elle, le manque de "professionnalisation" de la formation, les parcours de formation pourraient être développés dès la licence, à l'image des dispositifs de type EAP, "étudiants apprentis professeurs". Sur le plan de la préparation académique, pour les professeurs des écoles, il est préconisé de favoriser la bivalence des licences et faciliter le suivi de parcours de type "majeure français – mineure mathématiques".

Jusqu'à quel point ces recommandations seront-elles suivies par le ministre ? Une certitude : Jean-Michel Blanquer a affirmé à plusieurs reprises ces dernières semaines que la formation des enseignants serait sa prochaine réforme.

Erwin Canard | Publié le