Grande-Bretagne : la réussite au mérite reste un parcours du combattant

Elisabeth Blanchet, notre correspondante à Londres Publié le
Grande-Bretagne : la réussite au mérite reste un parcours du combattant
Le King's College à Cambridge // © 
À l'heure où Nick Clegg, le vice-Premier ministre britannique, vient de révéler sa stratégie pour améliorer la mobilité sociale des jeunes issus de classes moyennes et défavorisées, qu'en est-il de l'élitisme aujourd'hui en Grande-Bretagne ? Et quelles sont les véritables chances d'ascension sociale "au mérite" d'enfants issus de milieux défavorisés ?

Rendre tous les stages en entreprise rémunérés. C'est l'une des principales mesures proposées par le vice-Premier ministre, Nick Clegg, en matière de mobilité sociale. "Nous voulons une société dans laquelle la réussite repose sur son propre savoir et non sur des connaissances liées à son origine sociale", a-t-il déclaré. Autre proposition : la mise en place d'indicateurs sur la question. Le vice-Premier ministre prévoit également que 100 000 salariés d'entreprises privées aient du temps libre payé par leur entreprise pour aller dans les écoles et parler de leurs carrières.

Une élite inamovible

La nouvelle stratégie de Nick Clegg met au premier plan la notion de mérite et de méritocratie : deux mots que le gouvernement « lib-dem » (libéral-démocrate) affectionne particulièrement. "La nouvelle génération de politiciens qui nous gouvernent, constate Aditya Chakrabortty, journaliste au Guardian, attribue au mérite son accession au pouvoir. Or, il ne faut pas se leurrer. L'accès à une éducation élitiste fait partie de leur héritage. Ils sont quasiment nés pour gouverner..." Par nouvelle génération de politiciens, Aditya pointe du doigt David Cameron (qui a fait ses études à Eton puis Oxford), Nick Clegg (Wesminster puis Cambridge), ainsi que beaucoup d'autres. Le gouvernement compte huit ministres qui sont passés par la fameuse école privée d'Eton et une chambre des députés composée de plus d'un tiers de parlementaires issus du système éducatif privé.

Le parcours écoles primaires et secondaires privées, telles Eton, Harrow ou Westminster, suivies d'Oxford ou Cambridge constitue toujours la voie royale de l'accession au pouvoir en Grande-Bretagne. Ces deux institutions ancestrales sont talonnées par les universités d'élite du Russell Group . Ce sont ces établissements qui continuent à former les élites du Royaume-Uni. Selon Liz Beecheno, ancienne conseillère d'orientation au lycée français de Londres, en Grande-Bretagne, environ la moitié des universités sélectionne les meilleurs étudiants et l'autre moitié va recruter des étudiants qui ont de moins bons résultats à leur s A-Levels [l'équivalent du bac] et qui n'ont pas forcément mis l'université en question en premier choix (1). Pourtant, alors que 7 % des petits Anglais sont éduqués dans le système privé, ils représentent près de 50 % des étudiants de Cambridge et d'Oxford.

L'accès à l'université peine à se démocratiser

Pour pallier un tel déséquilibre, le gouvernement Blair crée, en 2004, strong>l'OFFA (Office for Fair Access), dont le but est de s'assurer que les universités pratiquent une politique de sélection égalitaire qui ne tienne compte que du potentiel de l'étudiant et non pas de son origine sociale. La mise en place de ce nouvel organisme oblige les universités d'élite à faire des efforts conséquents en matière de démocratisation de leur accès. Ainsi, Oxford envoie des membres de son personnel à la rencontre de lycéens d'écoles publiques pour présenter l'université. Cambridge invite des jeunes de lycées d'État locaux à visiter ses différents collèges. Il s'agit de "démystifier" l'entrée à Oxford et Cambridge. Car le problème ne provient pas seulement du niveau souvent trop faible d'un bon nombre d'écoles publiques secondaires (collèges-lycées), mais également d'un manque de confiance en soi. Le système des classes sociales demeure fortement ancré en Grande-Bretagne. Encore aujourd'hui, quand on est issu de la classe ouvrière, on y reste et, potentiel ou pas, l'université n'est même pas envisageable.

Même si les universités d'élite manifestent la volonté certaine de compter parmi leurs étudiants des enfants de milieux défavorisés ayant les capacités de suivre un cursus académiques, elles se montrent inquiètes sur leur intégration dans la vie universitaire. Ils s'adaptent en effet beaucoup moins bien que des jeunes issus du privé qui ont confiance en eux, dont les parents ont bien souvent été formés à l'université et élevés dans cette optique.

Toutefois, Oxford vient de révéler ses "offres" (2) pour la rentrée universitaire 2011. L'université accueillera cette année près de 59 % d'étudiants issus d'écoles publiques. Un progrès à saluer. Il ne faut cependant pas perdre de vue qu'accéder à une université d'élite uniquement au mérite reste un parcours du combattant, auquel s'ajoutera dès la rentrée 2012 strong>un triplement des frais de scolarité... Une mesure à laquelle s'opposait fermement Nick Clegg jusqu'à ce que son accession au 10 Downing Street lui fasse oublier ses promesses.

(1) En Grande-Bretagne, chaque lycéen qui veut aller à l'université peut émettre six voeux classés par ordre de préférence.

(2) Les futurs étudiants postulent à l'automne pour la rentrée universitaire de l'année suivante. En mars, les universités disent si oui ou non l'étudiant a une place en fonction de son dossier scolaire, de ses notes en contrôle continu et de suppositions sur ses notes aux A-Levels (qu'il n'aura qu'en août. On dit alors que l'université fait ses offres de places aux étudiants.

Elisabeth Blanchet, notre correspondante à Londres | Publié le