
Une proposition de loi contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur... C'est ce que proposent Pierre-Antoine Levi (Union centriste) et Bernard Fialaire (RDSE, gauche), respectivement sénateurs du Tarn-et-Garonne et du Rhône, et rapporteurs d'une mission sur le sujet.
"Nous n'aurions jamais pensé devoir présenter un tel rapport en 2024 en France. Il reste à ancrer durablement la lutte contre l'antisémitisme dans les établissements. Il faut une définition plus réelle et plus forte de ce qu'est l'antisémitisme. Informer les personnels et les enseignants, d'une part, et bien sûr informer et sensibiliser les étudiants lors de leur arrivée dans le supérieur à ce phénomène, d'autre part", ont affirmé les deux sénateurs lors de la conférence de presse de présentation de leur rapport, le 26 juin.
Sensibiliser les étudiants et mieux identifier les actes antisémites
Le rapport fait suite à leur mission, menée entre fin avril et début juin auprès d'une soixantaine de personnes, parmi lesquelles des présidents d'universités, des étudiants ou des représentants associatifs.
Plusieurs affaires avaient secoué l'écosystème, reflet du regain de tension dans la société civile après le 7 octobre et l'attaque du Hamas sur Israël. En janvier, le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) indiquait que le nombre d'actes antisémites sur les trois mois ayant suivi l'attaque du 7 octobre équivalait à celui des trois années précédentes cumulées (soit plus de 1.200) et notait un "rajeunissement des auteurs d'actes antisémites".
Le rapport donc propose 11 recommandations qui pourraient déboucher sur la présentation d'une proposition de loi, à l'automne. Parmi ces mesures figurent la sensibilisation des étudiants via des actions obligatoires et ciblées sur certains moments-clés de l’année universitaire, l'adaptation et la diversification des processus de signalement pour répondre à la crainte des représailles ou encore la généralisation des vice-présidences dédiées à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et la signature de conventions entre les parquets des tribunaux et les établissements afin de mieux identifier les actes antisémites.
Point essentiel de leurs mesures : la systématisation de la formation des autres acteurs des établissements (équipes dirigeantes et cadres administratifs, représentants associatifs, référents racisme et antisémitisme, enseignants-chercheurs) aux enjeux opérationnels de la lutte contre l’antisémitisme.
Une définition différente du terme d'antisémitisme selon les établissements
Si les dirigeants d'établissement consultés conviennent de lutter contre l'antisémitisme, tous n'ont pas la même définition de ce que revêt ce terme.
"Il faut que les enseignants et le personnel soient formés. Il y a une inculture et une grosse difficulté pour les universités, soit à détecter, soit à analyser que certains termes sont antisémites ou non. Nous nous en sommes aperçus en interrogeant les présidents de cinq ou six grandes universités. Certains vont considérer que tel mot revêt une connotation antisémite alors que d'autres vont le faire analyser sur le plan juridique, lire la jurisprudence, pour voir s'il y a déjà eu condamnation pour usage du même terme", détaille Bernard Fialaire.
On peut s'inquiéter d'une forme d'anesthésie civique hors des facultés de sciences humaines (Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire dans leur rapport)
De même, parce qu'il existe "une forte diversité des approches des présidents d'établissement quant aux sanctions à appliquer", Bernard Fialaire et Pierre-Antoine Levi proposent d'amender certains règlements intérieurs en adaptant "le régime de la procédure disciplinaire à la sanction des actes racistes et antisémites, en complétant la liste des faits permettant de la déclencher et en renforçant les pouvoirs d’investigation des établissements.
Se doter d'outils pour permettre les signalements
La tâche n'est pas mince. Selon les auteurs du rapport, la jeunesse, quand elle étudie hors du champ des sciences humaines et sociales, ne s'intéresse guère à la politique et au débat d'idées : "On peut s'inquiéter d'une forme d'anesthésie civique hors des facultés de sciences humaines. L'inculture politique dans certaines écoles d'ingénieurs est inquiétante", confient les sénateurs.
Évoquant les cas d'étudiants mis à l'écart dans le cadre de travail de groupe ou encore de personnes changeant de place dans un amphi, les sénateurs Levi et Fialaire ont insisté sur le fait qu'au-delà "des actes clairement identifiés, il est plus délicat d'appréhender un antisémitisme d'atmosphère latent."
La loi du silence règne aussi parfois. Et les sénateurs ont présenté un cas d'école. Dans un des établissements auditionnés par les parlementaires, aucun étudiant ne s'est manifesté comme victime d'acte antisémite alors que 22% des étudiants de ce même établissement affirmait avoir été témoin de l'un de ces actes. "Cela signifie qu'il faut que ces témoins signalent ces actes et donc que les établissements se dotent d'outils adaptés pour permettre leur signalement", poursuit Pierre-Antoine Levi.
Réagissant à ce rapport, Sylvie Retailleau, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, indique que ces travaux vont permettre au ministère "d’approfondir ses efforts en matière de prévention et de lutte contre l’antisémitisme dans les campus".
Elle précise que certaines recommandations font l'objet de "mesures déjà enclenchées". Le ministère "étudiera dans les prochaines semaines les autres recommandations du rapport pour envisager leur application ou, si nécessaire, leur adaptation."