Ils ont quitté l'enseignement supérieur et la recherche

Marie-Anne Nourry Publié le
Ils ont quitté l'enseignement supérieur et la recherche
©plainpicture/Jasmin Sander // © 
Manque de reconnaissance, charge de travail insupportable, absence de perspectives d'évolution… Alors que la manifestation "Sciences en marche" arrive à Paris pour alerter les pouvoirs publics sur la crise que traverse l'emploi scientifique, EducPros donne la parole à des enseignants et des chercheurs qui ont décidé de quitter le monde de l'enseignement supérieur et la recherche et de se reconvertir. Témoignages.
Voici cinq récits  recueillis à l'occasion de notre appel à témoignages fin septembre.

- Ex-maître de conférences : " Je ne pouvais pas tout faire ou alors je devais accepter de faire mal"
- Ex-PRAG : "Un métier très souvent méprisé"
- Ex-ATER : "Les perspectives de recrutement ne m'ont pas encouragé à aller au bout de ma thèse"
- Ex-maître de conférences : " Avec trois enfants, je n'avais pas envie de sacrifier ma vie personnelle"
- Ex-directeur d'établissement : "J'ai dû casser l'image du docteur auprès des recruteurs"

Ex-maître de conférences : " Je ne pouvais pas tout faire ou alors je devais accepter de faire mal"

Nicolas* R., 46 ans, a quitté le poste de maître de conférences en sciences humaines à l'université de Franche-Comté en 2011. Il est à présent collaborateur scientifique dans un organisme privé à l'étranger. Une évolution qui lui a permis de s'épanouir professionnellement.

"Le métier d'enseignant-chercheur ne correspondait plus à mes attentes. La lourdeur administrative était de plus en plus forte et il était devenu impossible d'être publiant performant, de participer à des colloques, de gérer un laboratoire, de courir après les contrats, d'être au top en donnant des cours pointus tout en apprenant à écrire à une frange de plus en plus grande, avec l'idée que l'échec des étudiants est désormais notre faute.

Bref, je ne pouvais pas tout faire dans des journées de 24 heures. Ou alors je devais accepter de faire mal, ce qui est difficile déontologiquement.

En outre, je n'avais aucune reconnaissance financière avec un salaire de 2.700 € après 15 ans de carrière. Titulaire d'une HDR [habilitation à diriger des recherches], j'ai vite compris que le système de recrutement local m'empêcherait toute progression."

La lourdeur administrative était de plus en plus forte.

Chercheur dans le privé

"Je n'ai pas tout à fait effectué une 'vraie' reconversion car j'ai profité de mon réseau pour obtenir un poste de recherche dans un organisme privé. La contrainte administrative a quasiment disparu pour une grande liberté de travail favorisant l'innovation, et le salaire est bien au-dessus de ce que je pourrais espérer. Mais bon, je ne suis plus en France.

Je remercie tout de même le système de délégation et de détachement qui a grandement facilité cette reconversion, sans grand risque car j'ai la possibilité de revenir à tout moment même si je ne l'envisage pas franchement."

Enfin épanoui

"Je continue d'enseigner quelques heures dans des formations que je choisis, ce qui me permet de garder un contact avec les étudiants. Le plaisir de travailler est revenu. À moins que l'on me fasse une proposition très intéressante ou que mon organisme actuel fasse faillite, je ne compte pas reprendre mes fonctions dans les prochaines années." 

Ex-PRAG : "Un métier très souvent méprisé"

Sophie* F., 28 ans, a quitté un poste de PRAG (professeur agrégé affecté dans l'enseignement supérieur) aux Arts et Métiers ParisTech en septembre 2014 pour se lancer dans la création d'une entreprise de conseil. En cause notamment : le manque de reconnaissance sociale.

"J'ai changé de voie par manque de perspectives, de moyens, de reconnaissance, de vision. Je suis lassée du système, de la politique politicienne qui prend le pas sur le mérite et l'intérêt de l'étudiant. Je suis aussi partie par manque de reconnaissance financière, et d'un salaire qui baisse chaque année, par le jeu des valorisations de projets et de missions toujours plus faibles. Il faut travailler plus pour gagner moins.

Enfin, j'ai quitté l'enseignement à cause du manque de reconnaissance sociale de ce métier, très souvent méprisé par les gens que l'on rencontre.            

Ce départ fut une décision mûrement réfléchie. Se lancer dans l'entrepreneuriat n'est jamais facile, et je n'ai pu compter que sur mes propres moyens, mon réseau et mon entourage. Pour le moment, je n'envisage pas de revenir à l'enseignement, sauf si mon entreprise ne fonctionne pas."

Université Paris Sorbonne-Paris 4 - site Clignancourt - sept.2013 © E.Vaillant et C.Stromboni

Ex-ATER : "Les perspectives de recrutement ne m'ont pas encouragé à aller au bout de ma thèse"

Clément* S., 31 ans, ex-ATER (attaché temporaire d'enseignement et de recherche) à l'université de Lorraine, a renoncé à aller au bout de son doctorat en 2010, pour se réorienter vers un poste d'ingénieur des systèmes d'information et de communication.

"C'est essentiellement en raison d'un échec dans la rédaction de ma thèse que j'ai décidé de quitter l'enseignement et la recherche. Les perspectives de recrutement dans le milieu universitaire ne m'ont pas encouragé à aller jusqu'au bout. Et malheureusement, la valeur du doctorat se limite à la sphère universitaire et à quelques secteurs de R&D.

La reconversion vers un poste d'ingénieur des systèmes d'information et de communication a été facile. Je souhaite vivement revenir vers l'enseignement, mais ma charge de travail actuelle ne me le permet pas. La recherche m'intéresse toujours aussi, mais probablement uniquement au travers de missions courtes.

Enfin, je me trouve bien plus épanoui dans mon métier actuel, qui me donne accès à plus de contacts professionnels que ce que j'ai pu connaître à l'université."

Ex-maître de conférences : " Avec trois enfants, je n'avais pas envie de sacrifier ma vie personnelle"

Maître de conférences à l'université Paris 1 jusqu'en 2011, Caroline* H. est à présent chef de projet dans une agence sanitaire. Les mauvaises conditions de travail et la pression exercée sur la recherche ont eu raison de sa vocation pour l'enseignement.

"Après 16 ans passés au sein de l'université Paris 1 en tant que maître de conférences en économie, dont les six dernières à diriger un master, les conséquences de la loi Pécresse ont dégradé encore plus mes conditions de travail. J'étais heureuse de préparer mes cours en économie de la santé et de la protection sociale et d'aider les étudiants à s'insérer sur un marché du travail encore porteur après leur master professionnel. Mais il fallait aussi faire de la recherche et publier dans des ‘revues étoilées’, tout cela sans secrétariat, sans ordinateur et sans bureau personnel, avec une rémunération inférieure de 1.000 € net par rapport à ce que je pouvais obtenir dans une agence sanitaire !

Avec trois enfants, je n'avais pas envie de sacrifier ma vie personnelle pour une hypothétique prime de 1.300 € par an que l'on risquait de me supprimer, ou un vague poste de professeur deuxième classe."

Je suis une bonne pédagogue et l'enseignement me manque un peu

S'adapter à de nouvelles méthodes de travail

"Il a été facile de se reconvertir au niveau disciplinaire car l'économie de la santé est une discipline appliquée, et la régulation des dépenses de santé est particulièrement d'actualité. Pour autant, les méthodes de gestion de projets étaient nouvelles pour moi, mais j'ai su m'y adapter.

Les contraintes administratives et la bureaucratie m'ont malheureusement rattrapée, mais nous avons des équipements, des assistantes et de la bonne humeur. Cela change tout !"

Un retour envisagé à l'enseignement

"Je suis une bonne pédagogue et l'enseignement me manque un peu. J'envisage d'y revenir un jour par vocation, pour aider les jeunes, qui sont notre avenir. Quand je vois les conséquences du désengagement de l'État autour des licences, à travers mes enfants à qui je dois faire en permanence des cours particuliers de méthode, de coaching et d'économie, je me dis qu'il faut sauver ces pauvres gamins. Faire en sorte qu'ils ne décrochent pas et ne se retrouvent au chômage sans diplôme après trois ans sur les bancs de l'université.

Cependant, je ne sais pas exercer correctement quatre métiers à la fois : enseignante, chercheuse, administrative, manager... Il faut tout changer et nous valoriser au lieu de nous écraser, en laissant entendre que l'on est toujours en vacances. D'ailleurs, j'ai bien plus de vacances qu'avant dans mon nouveau poste !"

Ex-directeur d'établissement : "J'ai dû casser l'image du docteur auprès des recruteurs"

L'enseignement supérieur privé compte également son lot de déçus. Jean D., 48 ans, a  quitté la direction d'une école d'ingénieurs privée en 2006. Aujourd'hui, il est directeur R&D chez un éditeur de logiciels. Une reconversion qui n'a pas été évidente.

"Le budget des écoles d'ingénieurs pour lesquelles j'ai travaillé était insuffisant pour faire face aux nombreux objectifs à relever : numérisation des techniques d'enseignement, recherche de haut niveau, internationalisation des campus, etc. La charge de travail était insupportable, avec une répercussion sur la santé de mes collègues (et de la mienne !).

Et lorsque vous constatez que les rémunérations internes sont inférieures aux rémunérations des anciens élèves, vous vous posez la question d'une reconversion pour rejoindre le secteur de l'industrie et des services."

Le docteur est malheureusement assimilé à un poète.

Reconversion difficile

"Le docteur est malheureusement assimilé à un poète, un doux rêveur incapable de comprendre l'offre et la demande, la compétition, etc. J'ai réussi à casser cette image auprès de recruteurs et je dirige actuellement un département R&D de 20 personnes chez un éditeur de logiciels leader sur son marché. J'ai également investi du temps et de l'argent dans la création d'une start-up.        

Revenir un jour au monde de l'enseignement et de la recherche est une possibilité que je n'écarte pas, mais ce n'est pas dans mes priorités. La situation du marché de l'enseignement et de la recherche me semble plus difficile aujourd'hui qu'il y a dix ans."

*Les prénoms ont été changés


Marie-Anne Nourry | Publié le