Exclusif. L'Icam travaille sur un cursus ingénieur en six ans

Laura Makary Publié le
Exclusif. L'Icam travaille sur un cursus ingénieur en six ans
Le dernier campus de l'Icam, situé à Sénart (Seine-et-Marne), pourrait accueillir ce nouveau projet de formation. // ©  ICAM
L'Icam réfléchit à un nouveau cycle ingénieur en six ans, à côté de ses formations classique et en apprentissage, dans le but d'attirer de nouveaux profils. Mais le projet doit encore être approuvé par la CTI, généralement rétive à tout allongement des études. Un dossier révélateur des questionnements actuels sur l'architecture des cursus ingénieurs.

Elle revient sur le devant de la scène. L'idée d'un cursus ingénieur plus long que les cinq années fixées par la CTI (Commission des titres d'ingénieurs) est évoquée par une nouvelle école, l'Icam, cette fois. L'Institut catholique d'arts et métiers planche en effet sur une formation d'un genre nouveau, selon les informations d'EducPros. Après la formation initiale et par apprentissage, l'école privée multicampus souhaite créer une "troisième voie", recrutant après le bac et centrée sur la pédagogie par projet. Originalité du cursus ? Il durerait six années, et non plus cinq.

Aujourd'hui, les formations d'ingénieurs sont conçues en cinq ans après le bac, en majorité sous la forme d'un 2 + 3 (prépa intégrée à l'école, CPGE ou autre bac + 2, puis un cycle ingénieur de trois ans).

Lancement possible sur six campus en 2018

L'Icam espère déployer ce nouveau cycle ingénieur dès septembre 2018. "Nous comptons le lancer simultanément sur quatre sites français, à Lille, Nantes, Sénart et Toulouse, mais aussi sur nos campus africain et indien. Ce nouveau parcours serait en rupture avec ce que nous proposions auparavant en termes d'enseignement, en plaçant les élèves au cœur des projets, via une pédagogie inversée", souligne Jean-Michel Viot, directeur général de l'Icam.

L'objectif d'un cycle plus long ? Attirer d'autres profils d'étudiants. "Cela permet à des lycéens de se projeter dans un apprentissage différent s'ils le souhaitent, eux qui sont nombreux à privilégier les pédagogies actives. Et nous espérons intéresser des jeunes issus d'autres filières, des bacs ES ou L, spécialité maths, ou même des bacs internationaux, qui pourraient rattraper le niveau scientifique nécessaire grâce à cette année supplémentaire", détaille le directeur.

Le modèle : 1 + 3 + 2, une année propédeutique de remise à niveau, trois années de projets avec peu d'enseignements théoriques classiques, puis un raccrochage au cycle ingénieur "traditionnel" de l'école, sur les deux dernières années, afin d'achever la formation d'ingénieur. Les frais d'inscription seraient alors fixés à 7.000 euros, avec l'obligation de changer de site pendant la scolarité. "L'idée serait de rendre obligatoire la 3e ou la 4e année à l'étranger, dans un autre campus de l'école, avec une rotation d'un site à l'autre", déclare Jean-Michel Viot. Au final, ces étudiants recevraient malgré tout un titre d'ingénieur, conférant le grade de master... Donc de niveau bac + 5.

Nous espérons intéresser des jeunes issus d'autres filières qui pourraient rattraper le niveau scientifique nécessaire grâce à cette année supplémentaire.
(J.-M. Viot)

L'obstacle : l'habilitation ou non de la CTI

L'idée est là mais un obstacle reste à franchir : l'habilitation ou non de ce cursus de six ans par la CTI, très attentive au cadre des formations d'ingénieurs. L'école assure attendre bien entendu le retour de la Commission avant d'ouvrir les candidatures. Du côté de la CTI, la prudence est de mise, car le dossier n'a pas encore été reçu et examiné.

"Il existe plusieurs façons de traiter ce type de dossier. Notre véritable réflexion, c'est de nous demander quel est le bon processus d'acquisition des compétences. L'offre de formation est-elle claire ? Amène-t-elle à la réussite ? Notre priorité demeure la qualité de la formation et l'intérêt des étudiants, qui prime", avertit Laurent Mahieu, président de la Commission.

Jusqu'à présent, les cycles ingénieurs plus longs ont toujours été retoqués par la CTI. C'est le cas de celui de l'ESPCI Paris. L'école parisienne revendique son cursus en quatre ans, précédé d'au moins deux années de classes préparatoires. "L'ESPCI avait reçu une habilitation restreinte à cause de cette quatrième année, auparavant obligatoire. La solution du compromis avec la CTI était de la rendre facultative, en décernant officiellement le diplôme d'ingénieur à la fin de la 3e année, puis un diplôme d'établissement, l'ESPCI 'Advance Master', après la 4e année. Mais cette année supplémentaire fait partie de l'ADN de l'école, la preuve : la quasi-totalité de nos promotions décident de la suivre, même si elle est facultative", rappelle Jean-François Joanny, directeur de l'établissement.

Même questionnement à l'École polytechnique. L'X met en avant "une formation qui se déroule sur quatre ans" après un premier cycle. "Trois ans pour obtenir le titre d'ingénieur et un an pour obtenir le diplôme de Polytechnique". Un découpage qui ne pose aujourd'hui aucun problème à la CTI, tant que le titre d'ingénieur est décerné à l'issue de la cinquième année. "Si Polytechnique souhaite ajouter un diplôme d'établissement ou le titre de polytechnicien après une quatrième année, c'est l'affaire de l'école", estime Laurent Mahieu, le président de la CTI .

Vu tout ce qu'il faut apprendre, une année supplémentaire ne serait pas de trop.
(E. Craye)

Une année supplémentaire justifiée ?

Dans les faits, pourtant, les études d'ingénieurs peuvent durer plus de cinq ans, comme l'explique Étienne Craye, coprésident de la commission formation & société de la Cdefi. "De nombreux diplômés suivent un cursus en six ans, via un double diplôme, une année sabbatique ou de césure. Étant donné que nous enrichissons le cycle ingénieur sur le plan du background scientifique, mais aussi en innovation, en droit, en notions de sécurité au travail, de management et d'humanités, vu tout ce qu'il faut apprendre, une année supplémentaire ne serait pas de trop. L'innovation et l'entrepreneuriat prennent du temps et ne s'acquièrent pas en dix heures de cours", déclare-t-il. Même si sa commission n'a pas "eu de véritable requête" pour un allongement officiel des cursus aujourd'hui.

Pour Laurent Mahieu, le président de la CTI, ce sujet met en lumière les questionnements actuels sur l'architecture des études d'ingénieurs. "Beaucoup réfléchissent au meilleur agencement possible de leur cursus, en recomposant parfois la formation. Par exemple, l'Insa Toulouse a récemment construit son cycle ingénieur en trois étapes : une année de mise à niveau pour tous, deux années de tronc commun, suivies de deux années de spécialisation", précise-t-il.

De là à franchir le cap et accepter l'habilitation d'un cursus d'ingénieur en six ans ? Le dépôt du dossier de l'Icam aura lieu fin 2017. La réponse de la CTI attendue au printemps 2018.

Laura Makary | Publié le