Comment former des profs innovants ?

Morgane Taquet Publié le
Comment former des profs innovants ?
L'Institut Lasalle Beauvais a inscrit la pédagogie dans le plan stratégique de son établissement // © 
Peut-on apprendre à innover ? Oui, selon Lasalle Beauvais et l’Insa Toulouse qui ont mis en place des dispositifs de formation à l'innovation présentés lors des QPES (Questions de pédagogie dans l'enseignement supérieur), du 17 au 19 juin à Brest.

Comment forme-t-on les enseignants à l’innovation ? C’est une des questions à laquelle ont essayé de répondre les participants du 8e colloque des QPES (Questions de pédagogie dans l'enseignement supérieur) organisé à Brest du 17 au 19 juin 2015. Un enseignement difficile à définir et encore à l’état d’expérimentation, selon Tiphaine Liu, chercheuse en innovation à l’ENS Cachan. "Former à l’innovation signifie lui donner une forme, ce qui peut paraître paradoxal. L'enseignement permet d'‘outiller’ et de ‘pousser’ à l’innovation", avance la chercheuse.

À Lasalle Beauvais, la pédagogie érigée en stratégie

Depuis 2012, l’Institut Lasalle Beauvais s’est donné comme mission de soutenir le développement pédagogique des enseignants avant de proposer des outils innovants, explique Pascale Rigaud, directrice des études. Première étape : la pédagogie a été réinscrite dans le plan stratégique de l'établissement, et un conseil de perfectionnement en pédagogie, qui se réunit une fois par an, a été créé.

Un "rendez-vous pédagogique" a lieu une fois par mois autour de thèmes tels que l'évaluation interactive d'un rapport de stage, le cours idéal ou encore l'évaluation des apprentissages. Objectifs : échanger sur les pratiques pédagogiques et les difficultés rencontrées. Entre 25 et 30% du corps enseignant qui se compose d'une centaine d'enseignants-chercheurs a déjà participé à ce type de rencontre, précise Pascale Rigaud. "C’est évidemment sans obligation, car l'innovation ne doit pas être une injonction", précise Pascale Rigaud. Trois jours de formation continue facultatifs, mais obligatoires pour la petite dizaine de nouveaux entrants, sont également proposés chaque année.

Cette pratique réflexive individuelle puis collective favorise l'émergence de l'enseignant innovant.
(P. Rigaud)

La cellule d'appui à l'enseignement centralise l'ensemble de ces actions. "Cette pratique réflexive individuelle puis collective favorise l'émergence de l'enseignant innovant, avance Pascale Rigaud. Aujourd’hui, il y a une vraie visibilité de cette cellule d'appui. La moitié des enseignants ont participé à au moins une des actions proposées et 78% déclarent avoir changé leurs pratiques. "

Cinq conseillers pédagogiques ont également été nommés afin d’assister les nouveaux  enseignants et de soutenir les innovations des plus expérimentés. C’est l’évaluation des enseignements par les étudiants, mis en place depuis une douzaine d'années, qui sert d’indicateur qualité. Environ 20% des enseignants ont même démarré des classes inversées.

Le dispositif semble rencontrer l'adhésion des enseignants, assure Pascale Rigaud, mais attention au "clivage qui peut se créer entre ceux qui ont entamé une démarche de pédagogie active et ceux qui n'ont pas commencé", prévient-elle.

À Toulouse, les jeunes enseignants ciblés

Cible privilégiée : les nouveaux entrants. C’est vers ces jeunes enseignants que l’Insa de Toulouse, l’INP Toulouse, les Mines d’Albi et l’ISAE ont mis l’accent à travers le projet "DEFI Diversités" labellisé Idefi en 2012. Difficile, selon le responsable de la pédagogie à la direction des études, Christophe Romano, car les enseignants, qui n'ont pas été formés durant leurs études, ne s'intéressent pas tous à la pédagogie.

"Nous avons commencé doucement en proposant une demi-journée puis nous avons accéléré." Aujourd’hui, l’Insa propose une formation sur 10 jours la première année, et 5 jours la deuxième année. "Nous commençons par expliquer ce qu'est la pédagogie, nous les aidons à construire un enseignement, et nous travaillons sur les bonnes pratiques dans l'enseignement traditionnel sans aller tout de suite sur l'innovation. Petit à petit, nous introduisons des notions de pédagogie active." Le cycle se termine par deux journées autour de l'apprentissage par problèmes et par projets. 55 enseignants ont à ce jour bénéficié de ce dispositif.

Moodle, Mooc, APP (Apprentissage par problèmes et par projets)... À l'issue de leur formation, une trentaine d'ateliers de deux ou trois heures chacun sont proposés. L’école fait le pari de la durée : "Nous passons une sorte de contrat moral avec eux pour qu’ils suivent une dizaine d'ateliers sur l’année, souligne Christophe Romano. L’idée est de transmettre le virus…"

François Coppens, enseignant de philosophie à la Haute école Léonard de Vinci (Louvain)"Les enseignants sont soumis à une injonction à innover qui pose problème"

Trois questions à... François Coppens, enseignant en philosophie  (Haute école Léonard-de-Vinci à Bruxelles)
Vous avez évoqué aux QPES "les ambiguïtés de l'impératif d'innovation pédagogique". Qu'entendez-vous par là ?

Le discours sur l'innovation pédagogique est un discours de pouvoir, c'est-à-dire qu'il se pose comme légitime, il fait autorité et il faut donc le mettre en œuvre. Il me semble qu'en faisant cela, les institutions d'enseignement vont trop dans le sens d'une évolution contemporaine de la société. C'est leur rôle pourtant de ne pas se conformer forcément à la société. Par conséquent, les enseignants sont soumis à une injonction à innover qui pose problème, car ceux qui n’obtempèrent pas sont perçus comme résistants au changement.

Concrètement, qu'est-ce qui vous semble aller dans le mauvais sens quand on parle d'innovation pédagogique ?

Il arrive qu'au nom de l'innovation on ne puisse plus présenter d'approche disciplinaire. Mais penser qu'en proposant du pluridisciplinaire, les étudiants vont comprendre d'emblée le lien entre les choses est une erreur. Il faut articuler les différents regards, montrer les conditions de légitimité entre telle et telle approche.
Il y a quelques années, la Belgique francophone a connu une réforme menée sous la bannière de l'innovation pédagogique. Désormais, le mot cours n'est plus utilisé, on parle d'activité d'apprentissage, parce que la notion de cours serait synonyme de la vieille relation enseignant-enseigné. De même, on parle d'apprenant, et plus d'étudiant. Les mots clés de cette novlangue sont devenus "faire sens", "intégration", "pluridisciplinaire".

Comment jugez-vous l'apport des nouvelles technologies ?

Là où elles sont pertinentes, les nouvelles technologies sont très utiles. Mais le crédit accordé d'emblée aux nouvelles technologies nous amène à nous défaire de l'obligation que nous avons de faire réussir le plus grand nombre. La question ne doit pas être : est-ce que c'est innovant, mais est-ce que c'est une bonne pédagogie ? Ce n'est pas parce qu'une pratique est innovante qu'elle sera bonne.

Morgane Taquet | Publié le