Jean Dorey (président du comité scientifique du CIUEN 2012) : "Le principal moteur des open universities sera la formation tout au long de la vie"

Propos recueillis par Fabienne Guimont, à Lyon Publié le
Jean Dorey (président du comité scientifique du CIUEN 2012) : "Le principal moteur des open universities sera la formation tout au long de la vie"
Jean Dorey // © 
Le CIUEN 2012 (Colloque international de l’université à l’ère du numérique) s'est tenu à Lyon du 16 au 18 avril 2012. Cette édition était organisée conjointement avec leforum mondial du web (le "3w") qui a rassemblé quelque 2500 chercheurs de 50 pays. Retour sur les tendances et les défis du numérique universitaire avec Jean Dorey, président du comité scientifique du CIUEN et ancien directeur de Centrale Pékin .


Comment avez-vous pensé cette édition du CIUEN avec le forum mondial du web ?

"Les outils numériques permettent de créer des communautés de chercheurs beaucoup plus facilement"

Nous avons pensé le CIUEN en synergie avec le 3w dès la conception car cela n’aurait pas eu de sens de faire deux manifestations séparées. L’université numérique se déploie dans deux dimensions majeures. La première, avec l’informatique, permet de déployer des outils pédagogiques notamment à travers la simulation qui a beaucoup appris du jeu vidéo. On peut ainsi simuler des emballements nucléaires, des crashs d’avion, des tsunamis, impossibles à réaliser en laboratoire pour les risques encourus. La seconde dimension du numérique universitaire est ce qui est porté par le web et son accès illimité à la connaissance. Les outils numériques permettent aussi de créer des communautés de chercheurs beaucoup plus facilement, ou de se servir d’équipements scientifiques à distance, comme au CERN, ou dans les domaines de la chirurgie et de la médecine où les débouchés seront encore très vastes.

Comment voyez-vous l’université numérique dans 20 ans ?
Michel Serres dit que nous ne sommes qu’au début de la révolution numérique, qui se développe de façon exponentielle, sans qu’on sache où elle va s’arrêter. Si l’explosion démographique aura une fin faute de ressources naturelles, les TIC dans le domaine de l’immatériel sont peu consommatrices d’énergie et donc leur plafonnement est très loin devant nous. Ce que beaucoup s’accordent à dire, c’est que les technologies vont rendre des services croissants, et prendre de plus en plus de place dans la pédagogie. Les outils sont de plus en plus conviviaux et gagnent en mobilité : ils permettent d’apprendre n’importe où n’importe quand, même si la gestion de l’énergie n’est pas encore réglée. En revanche, on ne passera pas à une université virtuelle à 100% avec des pools de professeurs dans leurs labos et des étudiants reliés à leur ordinateur. Le face-à-face pédagogique restera incontournable car il permet de mobiliser tous les sens. Mais la créativité principale dans le numérique universitaire se passe dans la pédagogie, dans cet acte assez mystérieux d’enseigner.


Quid de l’open university à la française ?

"On ne passera pas à une université virtuelle à 100% avec des pools de professeurs dans leurs labos et des étudiants reliés à leur ordinateur"

D’un côté, le MIT a fait un énorme coup de pub en disant qu’il mettait ses formations en ligne. Cela a fonctionné comme un mythe alors qu’il est impossible de se former avec ces cours par soi-même. C’est du teasing. Certaines initiatives, coopératives pour la plupart, comme sur la mécanique, ont construit un véritable ensemble de formations. Reste que les bases, qui sont les plus difficiles à apprendre pour entrer dans une discipline, devront toujours être enseignées en présentiel.
Le principal moteur des open universities sera la formation tout au long de la vie pour répondre à l’obsolescence accélérée des techniques et à l’allongement de la durée du travail. Et les établissements en ont pris conscience. Quand je suis parti de Centrale Lyon en 2006 pour monter l'école de Pékin, la formation continue ne représentait qu’environ 100.000 € par an de chiffre d’affaires. C'est plusieurs millions d’euros aujourd’hui. Le numérique y joue un rôle de facilitateur d’accès à la connaissance dans l’espace et dans le temps, un outil de simulation et de dialogue entre enseignants et apprenants.


Auriez-vous pu monter Centrale Pékin sans le numérique ?

Centrale Pékin était un projet interculturel colossal et au démarrage la réussite passait par une appropriation mutuelle des cultures et donc des contacts entre les hommes. On ne peut régler cela avec le numérique ou la visioconférence la plus performante. Il y a eu par exemple des malentendus considérables en toute bonne foi rien que sur la définition du terme recherche qui ne recouvre pas les mêmes catégories pour les Occidentaux et les Chinois.
En revanche, une fois que les équipes se connaissent, se comprennent, la pérennité du projet peut se construire sur un travail de plus en plus à distance. Et le numérique permet de faire des projets de recherche entre étudiants de Pékin et étudiants lyonnais impossible autrement. Ils ont ainsi travaillé sur des drones, ou un appareil médical de traitement des tumeurs. Des professeurs de Paris, de Pékin, des experts au Japon, au CERN pouvaient intervenir en visioconférence et les aider à travailler sur un même objet. Cela n’aurait pas été possible il y a quelques années et les étudiants sont ainsi en avance sur ce qu’ils vont trouver dans les entreprises.    

Propos recueillis par Fabienne Guimont, à Lyon | Publié le