Jean-Louis Fournel, Sauvons l’Université ensemble

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Jean-Louis Fournel, Sauvons l’Université ensemble
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La journée du 11 mars fera office de test pour l'ensemble des acteurs de la contestation dans les universités. Des manifestations contre les réformes du gouvernement sont prévues dans toute la France avec pour mot d'ordre "de la maternelle à l'université". Au coeur de la mobilisation des enseignants-chercheurs : l'association Sauvons l’université (SLU). Nous avons rencontré son président, Jean-Louis Fournel. Ce professeur d’études italiennes à l’université Paris 8 vit au quotidien ce mouvement, aujourd'hui en cours de radicalisation.

« Valérie Pécresse a cumulé les erreurs politiques. Elle a cru trop vite qu’elle avait réussi son examen de passage avec la loi LRU. Elle n’a pas vu qu’en tordant le bras des universitaires pour imposer cette loi, cela laisserait des traces ». Jean-Louis Fournel, président de Sauvons l’université (SLU), l'une des associations à la tête de la mobilisation actuelle dans les universités, ne fait pas qu’analyser le mouvement. Il défie la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, au quotidien, dans les manifestations et les assemblées générales.

« La ministre a péché par excès d’assurance, incapable de mesurer l’importance de la crise qui grondait depuis l’automne. Alors qu’il y avait des signes. Les premiers mots d’ordre sur la volonté de ne pas faire remonter les maquettes de masters ont été lancés dès octobre, même par des sociétés savantes, qui ne sont pas extrémistes » insiste le professeur d’études italiennes à l’université Paris 8, brun, le regard noir et direct, le visage rond. Des signaux d’alerte, il en envoie, lui, depuis près d’un an et demi, au sein de SLU. Avec plus ou moins d’échos.

Un engagement contre la loi LRU

Tandis que Sauvons la recherche, son alter-ego associatif, a décollé avec le célèbre appel à la démission des chercheurs en 2004, l’origine de SLU, moins spectaculaire, se situe dans un appel national contre la loi sur l’autonomie, en novembre 2007.
 
C’est à plusieurs que l’affaire commence. Jean-Louis Fournel et dix enseignants de l’université Vincennes-Saint-Denis publient une tribune dans Le Monde, intitulée « Les présidents d’université ne parlent pas en notre nom », le 19 novembre 2007.  « Il est fondamental que les universitaires affirment que ce combat contre la loi votée en août dans la précipitation est aussi le leur » écrivaient-ils, refusant de voir la Conférence des présidents d’université (CPU), qui soutenait la réforme, s’emparer du rôle de représentant de l’ensemble de la communauté universitaire.
 
 « Le lendemain, nous avons reçu de nombreuses marques d’approbation de collègues, demandant pourquoi on ne transformerait pas cette tribune en appel national », raconte Jean-Louis Fournel. Aussitôt dit aussitôt fait. Un site Internet est créé avec le texte à signer. Résultat : plus de 5000 signatures. Un bon début pour le collectif, qui arrive dans une période où les réformes s’enchaînent dans l’enseignement supérieur.

Une réforme qui change le paradigme universitaire

« Notre association s’est justement constituée sur la conviction que la loi LRU n’est pas simplement une réforme de plus, mais une loi qui change le paradigme universitaire, qui en modifie l’équilibre. Elle crée un curieux hybride entre des logiques libérales – autonomisation financière, obsession de la responsabilité individuelle – et de l’autoritarisme des formes de gouvernement avec la concentration des pouvoirs entre très peu de mains. » explique le professeur.
 
Jean-Louis Fournel ne s’arrête pas là. Il appuie sa démonstration sur le cas italien, qu’il connaît bien. Spécialisé dans l’histoire de la langue et dans la pensée politique de la Renaissance, avec des auteurs comme Machiavel ou Savonarole, diplômé de l’ENS (Saint Cloud), il est agrégé en études italiennes. Avant de rejoindre l’université de Vincennes - Saint Denis il y a près de 20 ans, il a poursuivi quelques années ses recherches en Italie. Ce pays constitue selon lui un « véritable laboratoire pour l’Europe ».
 
«  La réforme mise en place il y a une dizaine d’années en Italie est assez proche de la LRU. Apparaissent aujourd’hui tous les effets pervers, notamment financiers, avec des universités en quasi-faillite. Un collègue napolitain me rapportait que dans les deux années à venir, il faudrait supprimer près de 250 postes dans son université pour éviter la faillite ! » raconte l’enseignant-chercheur.

Un mouvement qui échoue en 2007, mais qui sème quelque chose pour l’avenir

Destine-t-il la France au même sort ? Les manifestants de l’automne 2007, étudiants en tête, en étaient convaincus. Le mouvement ne suffit pourtant pas à faire reculer la ministre. Après coup, Jean-Louis Fournel estime néanmoins que l’impact de cette première mobilisation a été sous-évalué. « Certes, c’est peut-être un échec mais ce n’est pas non plus une victoire éclatante pour Valérie Pécresse. Pendant près de 3 mois, l’université s’est quasi-arrêtée. Le mouvement n’a pas atteint ses objectifs, mais il a semé quelque chose pour l’avenir ».
 
Quelques mois plus tard, le collectif se transforme en association. Le choix du nom SLU, qui ressemble étrangement à SLR, n’est pas anodin. « C’est un clin d’œil, avec une certaine reconnaissance envers une association dont nous apprécions le travail, reconnaît-t-il, et une façon de dire qu’il fallait en faire plus encore ».
 
Commence alors une « traversée du désert » pour l’association, qui essaie tant bien que mal de se faire entendre. « Ce n’était pas simple, nous n’étions pas très nombreux et pas très écoutés. Je crois qu’aujourd’hui en une journée, je donne autant d’interviews que dans ces six mois » dit-il en éclatant de rire.

Une action avant tout collective

Pas du genre à se démonter, Jean-Louis Fournel a le rire franc et facile, même en temps de lutte. « Il n’est pas dans un rapport dépressif face à l’université, il a du plaisir à faire les choses » raconte Laurence Giavarini, autre porte-parole de SLU. La maître de conférences en littérature française des XVIe et XVIIe siècles décrit son association comme un endroit très gai. « On se voit aux AG, aux manifestations, mais aussi en dehors, on dîne ensemble avec l’équipe, cela permet de mieux se connaître ».

La valeur incontournable de SLU est simple : jouons collectif. Avec SLR, avec les syndicats, mais aussi dans son organisation interne. Président, Jean-Louis Fournel n’est que l’un des quatre porte-parole de l’association. « Nous voulons que la parole tourne, explique Laurence Giavarini, nous faisons tous des radios, des entretiens avec la presse écrite, mais c’est normal qu’un président soit plus demandé et c’est tout à fait accepté ».
 
Jean-Louis Fournel est lui aussi très attaché à cette dimension. Familier de l’action collective, il a milité quelque temps au SGEN, à ses débuts d’enseignant, après un passage au parti socialiste, il y a près de 20 ans. Un sens de l’engagement qu’il tient de son éducation ? « Je ne suis pas d’une famille apolitique », reconnaît-il volontiers, pour revenir à la charge, « mais ce n’est pas moi qui compte, je suis d’abord un rouage d’une logique collective ».

La révolte d’une profession, touchée dans son être

Le métier d’enseignant-chercheur est lui aussi un engagement, viscéral. « C’est un choix de vie et une passion qui structure mon existence. Les enseignants-chercheurs ont une fonction sociale. Ils sont porteurs d’un sens, d’une responsabilité : arriver à transmettre un certain nombre de valeur utiles voire nécessaires pour la constitution d’une communauté politique. Quand on essaie de nous imposer des modifications qui vont à l’encontre de cette fonction, c’est un devoir de réagir ».

Et il a réagi, dès la rentrée 2008, dans la mobilisation contre les réformes de Valérie Pécresse. Un peu seul au départ, mais très vite bien entouré, avec des manifestations qui ont atteint les 100 000 participants, en février 2009. « Quelque chose a changé au début du mois de décembre. Au moment où s’est agrégée, dans la contestation de la réforme de la formation des enseignants, la question du statut des enseignants-chercheurs. Ca a été un tournant, conduisant à la révolte d’une profession, qui s’est retrouvée touchée dans son être, dans ce que l’on veut être quand on choisit ce métier » décrit-t-il.

« Valérie Pécresse est une parfaite communicante incapable de dialoguer avec les gens »

La « myopie » de Valérie Pécresse, « qui ne connaît pas le milieu », y est pour beaucoup selon lui. Cette « parfaite communicante incapable de dialoguer avec les gens » n’a pas vu venir un mouvement inédit qui a réuni enseignants-chercheurs, chercheurs, étudiants, personnels administratifs et même plusieurs présidents d’université. « L’appel du 8 novembre contre cette réforme de la formation des enseignants a rassemblé près de 20 000 signatures en quelques semaines, allant du SNALC (syndicat de droite) à Sud. Si elle avait su lire, elle se serait rendu compte qu’un front extrêmement large se constituait ».
 
L’entourage de la ministre, son cabinet notamment « qui vient plus des grands corps de l’Etat ou des grandes écoles que de l’université » n’a pas arrangé les choses. Ce qui explique peut-être, selon Jean-Louis Fournel, le grand absent de la réforme, l’articulation grandes écoles – universités. « On ne peut mettre en place une véritable réforme de l’enseignement supérieur sans toucher à cette articulation », souligne-t-il.

« Une manipulation des données impressionnante par ceux qui nous gouvernent »

Sur la méthode aussi, il donne un – très – mauvais point au gouvernement. Et le ton monte. « Le problème de Nicolas Sarkozy et de Valérie Pécresse, c’est qu’ils ont une vision de la recherche et du supérieur qui est celle d’une école de marketing de seconde zone ». Preuve à l’appui avec le discours du président du 22 janvier sur la recherche, qui a marqué les esprits.

« Ils ont appliqué une technique de marketing : quand vous voulez lancer un produit, vous martelez qu’il n’est pas sur le marché ou que ce qui est sur le marché ne répond pas à la demande. Sur ce point là, ce discours, c’est le sommet », s’énerve le professeur, qui démonte, point par point, les affirmations du président sur une recherche « médiocre ». Comme dans un amphi devant ses étudiants, méthodiquement.
 
« Cette logique décliniste est fausse. C’est une manipulation des données impressionnante par ceux qui nous gouvernent. On nous rebat les oreilles avec le classement de Shanghai, en citant toujours le faible nombre d’établissements français qui y figurent. Alors que, selon ce même classement, par pays et non plus par établissements, la France figure en 6ème position. Même rang dans celui de l’OCDE. Ça on ne le dit jamais. Ni que notre modèle de diffusion de la connaissance ne se concentre heureusement pas sur deux ou trois pôles seulement. Ni que l’université a encaissé le quadruplement de ses effectifs en 40 ans, à moyens constants ou presque », s’emporte-t-il. Une démonstration qui ne fait que commencer. Transmettre, ça lui plaît.

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