HEC, ESCP Europe, Burgundy School of Business, Neoma, TBS, Audencia… Ces dernières années, de nombreuses écoles de commerce ont choisi de devenir des EESC (Établissement d’enseignement supérieur consulaire). Pourtant, ce statut créé en 2014 par la loi Mandon est controversé et critiqué pour ses limites, tant par les établissements qui l’ont adopté que par ceux qui ont préféré conserver leur structure juridique initiale.
À mi-chemin entre l’ancien statut d’école consulaire et celui de société anonyme, il permet aux business schools de se doter d’un capital et d’y faire entrer des investisseurs. Seulement, la CCI (Chambre de commerce et d'industrie) doit rester actionnaire majoritaire à hauteur d’au moins 51 % et aucun autre investisseur ne peut détenir plus de 33 % du capital. De plus, l’école ne peut verser de dividendes à ses actionnaires.
Une volonté d’autonomisation
La perspective de pouvoir se détacher progressivement de la tutelle de la CCI a souvent été l’une des premières motivations des écoles de commerce au changement de statut. Les conflits entre la chambre de commerce et d’industrie et la direction d'une business school peuvent parfois fortement perturber la gestion de l’école.
Burgundy School of Business (BSB) peut en témoigner. "En 2006, le budget de l’école était composé à 30 % des subventions de la CCI et des collectivités territoriales. Mais l’établissement était géré par la chambre, régulièrement en conflit avec la direction. Dans les dix années qui ont précédé mon arrivée, neuf directeurs généraux se sont succédé. La situation devenait intenable, se souvient Stéphan Bourcieu, directeur général de la business school. Nous avons donc décidé de convenir d'un arrangement avec la chambre : obtenir davantage d’autonomie et, en contrepartie, moins de financement."
Dans les dix années qui ont précédé mon arrivée, neuf directeurs généraux s’étaient succédé.
(S. Bourcieu)
L’école bourguignonne est ainsi l’une des premières écoles à adopter le nouveau statut d’EESC en novembre 2016. Un changement dont la vocation était de faciliter la transmission du patrimoine immobilier souhaitée par la CCI, mais également d'introduire des acteurs extérieurs dans le conseil de surveillance. "L'idée était d'ouvrir notre capital à d’autres actionnaires pour sortir d'une gouvernance 100 % CCI", résume Stéphan Bourcieu. Trois chefs d’entreprises et deux banques sont depuis entrés dans l’instance.
S’entourer de profils diversifiés, c’était aussi l’une des principales motivations de Neoma, devenue EESC le 1er janvier 2018. "Notre conseil d’administration est désormais composé pour moitié d’administrateurs issus des CCI, pour un quart de représentants du personnel et d’autres parties prenantes – tels que les étudiants, les professeurs, la fondation – et un quart d’administrateurs indépendants. Cela modifie la manière dont fonctionne le CA. Ces extérieurs nous apportent leur expérience, leur regard sur le secteur de l’éducation et leur avis sur les besoins des entreprises. Bien sûr, nous collaborions et discutions déjà avec eux auparavant, mais ce n’est pas la même chose de demander son avis à quelqu’un et de le faire siéger au conseil d’administration qui prend les décisions stratégiques de l’école", expose Delphine Manceau, directrice générale de Neoma.
Des écoles en quête de financements
Les nouvelles contraintes économiques ne sont pas non plus étrangères à ces mutations. Les CCI françaises, sur lesquelles s’appuyaient historiquement les écoles, diminuent leurs subventions. La menace pesant sur les revenus issus de la taxe d’apprentissage est par ailleurs bien réelle.
Et ce, dans un contexte où les coûts augmentent, notamment ceux liés à la recherche. "La course aux accréditations entraîne un véritable mercato des professeurs, et les salaires et primes peuvent monter très haut pour les vraies vedettes. Et puis, deux autres coûts comptent dans ce contexte de forte concurrence à l’international : celui du digital, pour lequel les équipements peuvent s’élever à plusieurs millions d’euros, et celui lié au financement des campus", justifie Jean-Michel Huet.
Si les écoles ont, depuis, beaucoup augmenté leurs autres sources de revenus, elles ne pourront pas le faire indéfiniment. "Les frais de scolarité ont été multipliés par trois en près de 25 ans, et ils commencent à atteindre une limite : d’ailleurs, environ 30 à 60% des étudiants en école de commerce contractent un prêt. Il y a vingt ans, c’était le cas de 2 à 3% d’élèves", explique Jean-Michel Huet, administrateur à Neoma et co-auteur en 2014 d’un rapport de l’Institut Montaigne intitulé Business School : rester des champions dans la compétition internationale.
Les établissements ne peuvent pas non plus faire croître leurs effectifs de manière démesurée, notamment dans leurs programmes phares, les programmes grandes écoles, dont la valeur dépend, en grande partie, de leur sélectivité. Ils ont beau augmenter le nombre de places en Masters of Sciences (MSc), en MBA et en formation continue, le vivier de recrutement n’est pas extensible éternellement.
EESC : des arguments pour séduire
Or, le statut d'EESC permet de varier les sources de financement, comme la possibilité de lever des fonds ou celle de contracter un emprunt à la banque, dont Neoma a bénéficié : "Cela nous a permis d'acheter un nouvel immeuble à Paris. Nous aurions peut-être pu obtenir ce prêt si nous n’étions pas une EESC, mais cela l’a facilité, observe la directrice de l'établissement. L’avantage de ce statut est qu’il ressemble dans son fonctionnement à celui d’une entreprise. Des acteurs que les banques rencontrent davantage et connaissent mieux."
Autre avantage : en offrant la possibilité d'introduire de nouveaux financeurs au capital, le statut d'EESC permet par ailleurs de réaliser des investissements immatériels, pour lesquels les banques sont plus frileuses à accorder un prêt. "Quand vous avez un patrimoine immobilier valorisé 20 millions d’euros et que vous voulez faire des travaux, si vous demandez un prêt à la banque, cette dernière ne prend aucun risque : elle peut hypothéquer sans problème votre bien. Mais les banques ne s’engagent pas forcément pour d’autres investissements beaucoup plus aléatoires, tels que la recherche ou le numérique", assure Stéphan Bourcieu.
L’efficacité des EESC remise en question
Mais aujourd’hui, les bienfaits économiques du statut EESC ne sont pas encore avérés. Des écoles comme BSB ou l’ESCP Europe le certifient : elles sont régulièrement approchées par des financeurs extérieurs, prêts à investir dans leur école, sans bénéficier de la contrepartie des dividendes. Cependant, à ce jour, seule l’école dijonnaise a réalisé une augmentation de capital, de 350.000 euros. "Le statut d’EESC est encore un ovni dans le monde des sociétés. Il faut éduquer à ce statut", justifie Stéphan Bourcieu.
Certaines business schools poussent d’ailleurs pour une évolution du statut, qui, sur le papier, peut se révéler peu ou du moins, moins attractif pour les investisseurs que d’autres sociétés anonymes. Mais tous les dirigeants d’école n’en voient pas l’intérêt. "À titre personnel, je considère que le statut d’EESC, tel qu’il est aujourd’hui, est assez vertueux en incitant à réinvestir l’argent généré dans l’école. Par contre, si on veut avoir des actionnaires auxquels on peut verser des dividendes, on peut toujours opter pour le statut de SA. C’est par exemple le projet annoncé par l’EM Lyon. Il existe différents types de statuts, c’est une richesse de notre secteur, et chacun peut choisir celui qui lui convient", assure Delphine Manceau.
L’EESC, une évolution à éviter ?
Du côté des écoles ayant préféré le statut d’association de loi 1901, on regarde avec étonnement ce nouveau modèle. Beaucoup ne voient pas, à son stade de développement, les avantages qu’un établissement pourrait en tirer, même en cas d'évolution du statut. "Après tout, si vous faites entrer des actionnaires à votre capital, vous devrez les rémunérer et vous avez alors une obligation de rentabilité. Or, le marché de l’enseignement supérieur n’est pas un secteur à forte intensité capitalistique", assure Jean-Philippe Ammeux, directeur général de l’Iéseg.
Première école postbac dans les classements nationaux, l’école lilloise estime n’avoir aucun problème pour emprunter et s’auto-financer. Propriétaire de sociétés civiles immobilières, elles-mêmes détentrices des bâtiments de l’établissement, l’Iéseg peut en effet sereinement contracter des prêts aux banques partenaires.
Il existe différents types de statuts, c’est une richesse de notre secteur, et chacun peut choisir celui qui lui convient.
(D. Manceau)
Une gestion irréprochable, c’est aussi le plan de Kedge Business School. "Nous jouons sur la structure des coûts. Nous cherchons à faire des gains de productivité en optimisant les frais généraux et surtout la masse salariale", détaille José Milano, directeur général de l’école.
"Il ne faut pas confondre modèle économique et statut juridique. Il faut regarder de combien d’investissements l’école a besoin, quels sont ses besoins, quels sont les leviers de financement dont elle dispose. Enfin, seulement après toute cette réflexion, elle peut envisager de changer de statut si elle constate que c'est la meilleure solution pour arriver à ses fins. Mais ce doit être le bout du raisonnement", complète-t-il.
Spécificité française
Pour justifier les évolutions de statut, les écoles de commerce évoquent continuellement la forte concurrence internationale auxquelles elles font face. Pourtant, chez leurs voisines européennes et parmi les écoles outre-Atlantique, les établissements à but lucratif restent minoritaires. Et n’appartiennent généralement pas à l’"élite" mondiale. "Parmi le top 20 des meilleures universités dans le classement Shanghai, aucune n’est "for profit". Notre modèle EESPIG (Établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général) est en réalité gagnant à l’échelle mondiale", commente Jean-Philippe Ammeux.
"Ces évolutions sont plutôt des spécificités françaises, confirme Jean-Michel Huet. Les autres grandes écoles à l’international sont souvent rattachées à des universités qui ont des grands moyens et peuvent facilement amortir les chocs économiques. Par ailleurs, aux États-Unis, il y a un financement important en termes de dons. Une tendance qui reste encore assez faible en France."