L'EM Lyon réinvente ses relations avec les entreprises

Cécile Peltier Publié le
L'EM Lyon réinvente ses relations avec les entreprises
Installée depuis 1972 à Ecully, l'EM Lyon rejoindra en 2022 le quartier du Gerland, plus central. // ©  ECL
Dans le nouveau plan stratégique "Early Makers 2023", dévoilé vendredi 19 janvier 2018, l'école de management lyonnaise veut bousculer les lignes traditionnelles entre école et entreprise. Objectif : mutualiser les moyens au service d'un enseignement plus individualisé répondant aux défis des métiers de demain.

"Je ne comprends pas le pessimisme de certains de mes collègues... Nous ne sommes pas au bord du gouffre [...] Demain, si la taxe d’apprentissage s’arrête, on prendra l’argent ailleurs [...] Elle n’a jamais été faite pour boucler les budgets !" Alors que les directeurs des grandes écoles s'inquiètent depuis des semaines d'une éventuelle baisse des ressources issues de la taxe, le patron de l'EM Lyon, Bernard Belletante, a réaffirmé, vendredi 19 janvier 2018 à l'occasion de la présentation parisienne de son plan stratégique "Early makers 2023", son pragmatisme à toutes épreuves. Et sa posture entrepreneuriale.

Il en est persuadé : dans un contexte global de raréfaction des deniers publics, les écoles, à l'image des entreprises, doivent compter sur leurs propres forces pour développer de nouvelles ressources. "On est une école rentable qui finance son propre développement et ne dépend pas des subventions", affirme le directeur général, à la barre de l'EM Lyon depuis 2014. Passée de 56 à 98 millions d'euros de budget annuel en quatre ans, la business school vise les 170 millions d'euros à cinq ans.

Des frais de scolarité en hausse

Les ingrédients de cette croissance ? Une augmentation des effectifs (le groupe comptait 3.100 étudiants en 2014, contre 5.750 aujourd'hui), y compris au sein du programme grande école, sur fond de diversification de l’offre – création d’un Gobal BBA, développement de la formation continue. Le tout accompagné d'une hausse de 20 à 25 % des frais de scolarité et d'une gestion draconienne des coûts.

Dans la manière de faire, la relation partenariale est une autre dimension essentielle de la méthode "Belletante". Convaincu que les business schools françaises ne relèveront pas toutes seules le défi de l’internationalisation et du numérique, l’EM Lyon parie depuis quelques années sur les mutualisations avec le secteur privé. Création d’une école de vente avec Renault Trucks (groupe Volvo), développement d'un nouveau système de CDI-intérimaire avec Adecco, signature d’un partenariat global avec IBM... Une tendance qui devrait s'amplifier.

Les données pour optimiser l'employabilité des étudiants

L'EM Lyon vient d'ailleurs de franchir une nouvelle étape avec IBM, en concluant un "accord d’initiative conjoint". Une première mondiale, qui représentera "un investissement de 50 millions d’euros de la part des deux partenaires dans les années à venir”, soutient le directeur général.

L’école disposera ainsi d’une dizaine de collaborateurs d’IBM à demeure et d’un accès aux brevets et aux recherches de la firme américaine dans le domaine de l’intelligence artificielle. Objectif : utiliser les données pour optimiser l’employabilité de ses élèves et de ses diplômés.

La donnée est la nouvelle matière première, et sa qualité, c'est qu'elle ne s'use pas à l’usage. (B. Belletante)

"La donnée est la nouvelle matière première, et sa qualité, c'est qu'elle ne s'use pas à l’usage. Au contraire, elle s'enrichit. Nous allons voir comment la gérer et l'enrichir en permanence, l'idée étant d'avoir un assistant personnel d’accompagnement des compétences pour chacun des membres de la communauté EM Lyon", précise Bernard Belletante. Un enjeu capital dans un contexte où "où 85 % des emplois de 2030 n’existent pas encore."

Le statut EESC ? Trop rigide

Pour l’instant, les activités développées conjointement avec IBM seront abritées au sein de la "business unit Early Makers dévelopment", le nouveau laboratoire d'expérimentation de l’école. Ce qui n’est aujourd’hui qu’un département organisé de manière autonome "pour travailler en mode projet" pourrait se transformer demain en entreprise. "IBM a beaucoup utilisé la formule de la convention conjointe d'initiative avec des entreprises. Pendant deux ans, nous testons des choses et ensuite nous créons une société", détaille Bernard Belletante.

Pour autant, l'EM Lyon n'a pas l'intention de passer au nouveau statut d'EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire), trop rigide selon son directeur général pour pousser les entreprises à prendre des parts dans leur capital. Le modèle choisi est celui d'une sorte de holding associative, composée pour partie d'entités autonomes sur des sujets spécifiques, susceptibles d'être un jour sorties du groupe et transformées en sociétés privées.

Un fonds d'investissement EdTechJob

Dans le même esprit, l’EM annonce la création d’un accélérateur EdJobTech adossé à un fonds d’investissement, alimenté par l'école, mais aussi ses diplômés et ses entreprises partenaires.

Objectif : investir 20 millions d’euros d’ici à cinq ans dans des start-up ou des entreprises existantes spécialisées dans le développement d'applications éducatives au service des ressources humaines. "Ce fonds d'investissement nous permettra d'alimenter nos technologies", résume Bernard Belletante. Une dizaine de jeunes pousses déjà incubées à l’EM, pourraient en profiter dès septembre 2018.

Un nouveau campus indien

À l’international, où la business school trouve les relais de croissance indispensables au marché français, il s'agit aussi de répondre aux besoins des entreprises. C’est notamment le cas en Inde, où l’école ouvrira un nouveau campus en joint venture avec la Xavier University Bhubaneswar en juillet 2018. "Les entreprises indiennes investissant en Europe ont besoin d'accompagner le développement de leurs managers", rappelle Bernard Belletante.

À l'horizon 2023, les sites de Bhubaneswar et d'Hyderabad accueilleront 1.300 étudiants par an sur des programmes de Global BBA, MBA ou de formation continue. L’école, qui a depuis plusieurs années un projet au Moyen-Orient dans les cartons, regarde aussi du côté de l’Amérique latine, et en particulier vers le Brésil.

Dans cette feuille de route 2023, en revanche, nulle trace de GEM (Grenoble École de management) avec laquelle l'EM avait pourtant annoncé ses fiançailles il y a deux ans, en vue d'une possible fusion. Si quelques projets de mutualisations se sont concrétisés en matière de formation continue, les fusions des PhD et des facultés, elles, n'ont pas eu lieu. "À mon avis, il n'y avait pas forcément d'urgence", conclut Bernard Belletante.


L’EM Lyon réintègre le centre-ville

C’est désormais officiel : l’école de commerce, installée depuis 1972 sur le campus d’Écully, à une dizaine de kilomètres à l'est de Lyon Part-Dieu, retrouvera en 2022 une position plus centrale pour ses 150 ans.

“Comme disait un étudiant sur Twitter, on 'va se reconnecter au monde'”, se félicite Bernard Belletante. Le patron a accueilli avec soulagement le feu vert de la CCI, propriétaire de ses locaux d'Écully, et de la métropole lyonnaise, qui mène depuis quelques années une politique de rapprochement des acteurs universitaires autour de deux grands pôles, l'un au Nord et l'autre au Sud.

L'EM Lyon emménagera sur le second, dans le quartier de Gerland. L'argent économisé sur les loyers payés actuellement à la CCI financera la construction de ce nouveau bâtiment de 30.000 m2, sur un terrain mis à disposition par la métropole, assure Bernard Belletante. Si la surface reste la même, l'aménagement de l'espace sera, lui, très différent.

À proximité : l'ENS (École nationale supérieure), Science po Lyon, l’Isfa (Institut de science financière et d'assurances) de Lyon 1, ou encore Sanofi. De futures voisines avec lesquelles l'EM Lyon compte multiplier les synergies dans une logique d’hybridation. Sans pour autant renoncer à ses doubles diplômes avec son actuelle voisine, Centrale Lyon.

Cécile Peltier | Publié le