L'enseignement supérieur toulousain se déchire autour des projets de financement PIA 4

Guillaume Mollaret - Mis à jour le
L'enseignement supérieur toulousain se déchire autour des projets de financement PIA 4
Toulouse School of economics (TSE), composante de l’Université Toulouse-1 Capitole, adhère au projet de Toulouse Tech University menée par l'Université Toulouse 3-Paul Sabatier. // ©  Lydie LECARPENTIER/ REA
Un projet pour le PIA 4 (programme d'investissements d'avenir) dissident de celui de la Comue Université fédérale de Toulouse est porté par l’université Toulouse 3, Toulouse School of Economics et ISAE-Sup’Aero.

La communauté universitaire toulousaine a-t-elle réactivé la machine à perdre ? Après le camouflet de la perte de son label Idex (initiative d’excellence) en 2016, ses dirigeants se déchirent autour du PIA 4 (programmes d’investissements d’avenir).

Ces programmes promettent un total de 7,5 milliards d’euros de financements sur la période 2021-2025 "aux organismes d'enseignement supérieur (universités de recherche, laboratoires d'excellence), de recherche et d'innovation (instituts hospitalo-universitaires, instituts de recherche technologique)."

Le projet dissident de Toulouse Tech University

Alors que la Comue Université fédérale de Toulouse, qui rassemble 31 établissements, entendait déposer seule un projet baptisé Toulouse Initiative for Research Impact on Society (TIRIS), un groupe dissident a affirmé début janvier son ambition de déposer lui aussi un dossier. Toulouse Tech University (TTU), c’est son nom, qui revendique 40 millions d’euros de financements, est porté par l’Université Toulouse-3 Paul Sabatier, ISAE-Supaéro, tous deux membres de la Comue, et Toulouse School of economics (TSE), une composante de l’Université Toulouse-1 Capitole.

Alors que les dossiers doivent être déposés le 1er février au plus tard, Sophie Béjean, rectrice de la région académique Occitanie, a exprimé, lors d’un pré-conseil d’administration, son souhait de ne pas se positionner en arbitre entre les deux projets. "S’il y a désaccord entre les acteurs, l’Etat en prend acte. Les deux projets peuvent être déposés dans le cadre de l’appel à projet Excellences auprès du Jury international, qui les examinera en vue de prononcer ses avis", affirme en substance le message rapporté à EducPros par un participant à ce pré-CA et que le rectorat n’a ni confirmé ni infirmé.

Plus qu’un simple coup de pied dans la fourmilière, le projet de Toulouse Tech University détaillé en ligne marque des désaccords clairs sur la gouvernance de l’enseignement supérieur à Toulouse qui, privé d’Idex, ne dispose aujourd’hui pas des mêmes moyens publics que ses voisines de Bordeaux et Montpellier.

"Le projet de la Comue expérimentale porté par l’Université fédérale a, en l'état, peu de chances d'être retenu car il s'inscrit dans une logique très intégrative", juge Joël Echevarria, directeur général des services de TSE. "Cela a ses qualités mais dans cette vision, tout le monde se retrouve autour d'un projet commun où les ambitions sont nivelées par le bas. Cela fait un an que nous alertons l’Université fédérale sur ce point. Dans le projet que nous défendons, il y aurait un cercle large, très intégratif, celui de la Comue, avec en son sein un cercle plus restreint animé par ceux qui veulent aller plus loin et plus vite. Un pack efficace que l’on peut comparer à un spin-off", détaille-t-il.

La Comue de Toulouse dénonce un détournement du projet scientifique initial

Côté Comue, l’analyse est évidemment tout autre. "Ce projet détourne, à son compte, le projet scientifique construit collectivement par tous les établissements partenaires depuis des mois, pour le plaquer de manière artificielle sur une proposition de structuration institutionnelle peu cohérente avec la réalité du site", estiment ainsi les présidents de la Comue, des universités Toulouse 1-Capitole et Toulouse 2 Jean-Jaurès, ainsi que le directeur et la directrice de l’INSA et de l’INP Toulouse, dans un communiqué.

Par ailleurs, "malgré́ les affirmations de ses auteurs, le projet envisagé n’est ni plus ambitieux pour le site toulousain, ni plus assuré d’être retenu dans le cadre de l’appel à projets du PIA4, notamment en raison de son périmètre restreint et de son faible effet structurant", ajoute-t-il.

Pour Philippe Raimbault, président de la Comue, "en termes d’image c’est catastrophique. Il y a un vrai risque de déclassement pour Toulouse". Il espère "que les administrateurs de l’Université Paul Sabatier maintiendront leur établissement dans la dynamique collective pour permettre l’indispensable sursaut qui préserve les chances du site d’être lauréat au PIA 4."

Une réunion de médiation sans issue

Mardi 18 janvier, une réunion de médiation s'est tenue entre les tenants des deux projets. Elle n’a cependant débouché sur aucun accord de paix. Le jour même l’Université Toulouse-1 faisait voter "l’unité de cette université en décidant à une très large majorité contre la participation de sa composante École économique de Toulouse et l’UMR TSE Research au projet TTU : 26 voix contre, 2 voix pour et 4 refus de vote", rapporte Hugues Kenfack, le président de Toulouse-1, sur Twitter.

A ce jour, la Région Occitanie et Toulouse Métropole se refusent à tout commentaire sur le projet TTU. Sur le plan règlementaire, le projet de création d’un EPE (établissement public expérimental) - ce que prévoit Toulouse Tech University - semble toutefois compromis puisque TSE, composante de l’Université Toulouse-1-Capitole ne dispose pas d’une personnalité morale et juridique. Or, pour constituer un EPE, l’Université Toulouse 3 Paul-Sabatier devra forcément s’appuyer sur, au moins, un second établissement disposant de cette personnalité morale et juridique. Sera-ce l’ISAE-Supaéro ?

Dans un premier temps, la balle dans le camp du conseil d’administration de l’Université Toulouse 3-Paul Sabatier - dont le président Jean-Marc Broto n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien - qui peut décider de soutenir l’un ou l’autre des projets ou bien les deux. Charge au jury de l’ANR de reconnaître les siens… ou non.


Mise à jour - L'Université de Toulouse 3 vote en faveur du projet de la Comue

Le conseil d’administration de Toulouse 3 Paul Sabatier s’est prononcé, jeudi 27 janvier, en faveur du projet Toulouse Initiative for Research Impact on Society (Tiris) défendu par la Comue Université fédérale de Toulouse. Il ne présentera donc pas le projet Toulouse Tech University (TTU) qu’il prévoyait aussi de défendre aux côtés de Toulouse School of Economics (TSE) et ISAE-Supaero. "Le conseil d’administration s’est réuni ce jeudi 27 janvier 2022 afin de se prononcer sur l’opportunité de déposer chacun de ces projets, sans les opposer", explique l’université dans un communiqué. Lors du vote, le conseil d’administration de l’université Paul Sabatier s’est prononcé à une très large majorité pour le dépôt du dossier Tiris par 22 voix pour, 12 voix contre, 1 abstention et 1 refus de vote.

Tuée dans l’œuf, le projet TTU pourrait renaître sous une autre forme. "Notre travail a marqué les esprits. Nous ne renonçons pas à rendre possible une ambition de réunir les pépites toulousaines. Nous y travaillerons dès lundi", assure, de son coté, Joël Echevarria, directeur général des services de TSE, porte-parole du dossier TTU.

La date limite de dépôt des dossiers PIA 4 auprès de l’Agence nationale de la recherche est fixé au 1er février. L’enjeu est de taille pour la communauté universitaire toulousaine qui risque, en cas de non sélection, de demeurer durablement en "deuxième division" alors qu’elle s’était vue retirée son Idex en 2016.

Guillaume Mollaret | - Mis à jour le