L'heure de vérité pour l'Université Paris-Saclay

Céline Authemayou, Camille Stromboni, Marine Miller Publié le
L'heure de vérité pour l'Université Paris-Saclay
Principal point de crispation : la notion d'"intégration" des établissements au sein de Saclay. // ©  Xavier POPY/REA
Il reste quatre jours à l'Université Paris-Saclay pour boucler son dossier d'Idex. Une échéance très courte pour que les établissements s'accordent. L'avenir du regroupement francilien paraît de plus en plus incertain, les prises de position des différents ministres de tutelle – dont Jean-Yves Le Drian pour l'École polytechnique – ayant renforcé la confusion.

Après des mois de discussions houleuses, les acteurs de l'Université Paris-Saclay n'ont plus que quelques jours pour trouver un consensus. Le 22 décembre 2015, ils devront rendre leur dossier d'Idex. Le regroupement francilien fait partie des huit lauréats qui ont décroché une Initiative d'excellence il y a quatre ans, avec, à la clé, les intérêts d'un capital de 950 millions d'euros. Tous vont repasser, au printemps 2016, devant le jury de sélection, qui décidera de la poursuite, ou non, de l'attribution de cette manne.

Mais alors que l'échéance approche, les tensions montent. Avec un mot qui cristallise les désaccords : "intégration". C'est autour de cette notion que s'opposent les établissements, plus ou moins enclins à se fondre dans la Comue (Communauté d'université et établissements) francilienne. Connue pour sa position frileuse, l'École polytechnique freine fortement, préférant une "conjugaison" des forces.

Une attitude soutenue par sa tutelle, qui a annoncé, le 15 décembre 2015, sa volonté de voir émerger au sein de Saclay une "association" d'écoles d'ingénieurs, dont la structure reste à déterminer. "Saclay est déjà une réalité et nous voulons tous son succès. Mais le projet sera d'autant plus fort que les écoles d'ingénieurs seront attractives, reconnues au niveau mondial", soutient-on du côté du ministère de la Défense.

La position de l'X soutenue par BERCY

Fait nouveau, cette ligne de conduite, apparue de façon claire pour la première fois dans le rapport Attali de juin 2015, est désormais appuyée par Emmanuel Macron. Le ministre de l'Économie a demandé à ses écoles présentes sur le plateau de Saclay (Télécom ParisTech, Ensae ParisTech et CentraleSupélec) de présenter, le 15 mars 2016, un "schéma de pôle d'excellence". Avec un projet d’implantation, une feuille de route précise, des objectifs clairs sur une période de cinq ans et un calendrier de mise en œuvre.

Ce projet d'État dans l'État sonne pour certains comme un acte de rébellion, remettant en cause l'ADN même du projet scientifique de Saclay. Du côté des universités, l'incompréhension est forte, certains allant même jusqu'à décrire une "guerre ouverte" entre écoles et universités.

"La construction de Paris-Saclay, reposant sur la promesse d’un rapprochement université-écoles d’ingénieurs — désormais passé à la trappe – se transforme en véritable hold-up", dénonce le Snesup.

Un risque d'explosion

Dans ce contexte plus que jamais tendu, plusieurs scénarios se dessinent pour le projet Idex. Le premier, de plus en plus improbable, serait celui d'un accord miraculeux. Sauf à mettre les questions qui fâchent sous le tapis, avec le risque qu'elles apparaissent en plein jour lors la visite sur site du jury international, prévue dès mars 2016.

Le deuxième scénario serait de retourner devant le jury avec un périmètre d'établissements revu à la baisse, avec ceux qui défendent une plus forte intégration. Quand d'autres suivraient le projet de plus loin. Certains anciens de Polytechnique militeraient en faveur de cette dernière possibilité pour l'X.

"Je pense qu'il s'agit plus d'une posture, pour être en situation de force et pouvoir négocier, confiait le sénateur PS de l'Essonne Michel Berson, le 4 décembre 2015. Il me paraît très difficile de voir une école sortir de l'UPS. Bien que les établissements soient autonomes, ils sont sous tutelle de l'État." Encore faudrait-il que les différentes tutelles de l'État s'accordent entre elles.

Du côté du secrétariat d'État à l'Enseignement supérieur, le son n'est pas le même qu'à Bercy ou à la Défense. On ne peut ni "envisager" un échec de l'Idex, ni une modification du périmètre, défend-on rue Descartes.

"Il faut dépasser la dualité qui existe de manière séculaire entre université et écoles, a martelé Thierry Mandon le 15 décembre à l'École polytechnique. L'évaluation de l'Idex sera un premier test de passage de ce que nous construisons ensemble. Il ne faut absolument pas que nous revenions en arrière."

Polytechnique : les 60 millions de la discorde

A la bataille des mots s'ajoute celle des chiffres. En dévoilant le 15 décembre 2015 ses grandes orientations pour l’avenir de l’École polytechnique, Jean-Yves Le Drian a fait un joli cadeau à l’établissement. L’X recevra, sur cinq ans, 60 millions d'euros de la part de sa tutelle (ministère de la Défense) pour couvrir les dépenses de ce nouveau plan stratégique. Une somme qui s’ajoute à sa dotation annuelle de 70 millions d'euros.

L’annonce de cette "rallonge" a suscité de nombreuses réactions, alors que la situation budgétaire des établissements d'enseignement supérieur reste tendue.
Le Cneser (Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche), en plein débat sur la répartition des moyens, a dénoncé le 17 décembre 2015 "une conception gouvernementale d’un modèle d’enseignement supérieur à deux vitesses". À l’origine de cette motion commune, le syndicat Sup’Recherche-UNSA décrit un système à deux vitesses, avec "d’un côté la noblesse de l’excellence, le prestige de l’élite, que l’on  soutient sans barguigner et, de l’autre, la masse roturière que l’on soigne de bonnes paroles et d’intentions louables."

Interrogé par Radio Classique le 16 décembre 2015, Jacques Biot, président exécutif de Polytechnique estime, lui, que "l’État, en tant qu’actionnaire se comporte vis-à-vis de l’X comme un actionnaire responsable."

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