La Cour des comptes épingle le plan "1 jeune, 1 solution" pour son coût élevé et son efficacité relative


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La Cour des comptes épingle le plan "1 jeune, 1 solution" pour son coût élevé et son efficacité relative
Dans son rapport annuel, la Cour des comptes épingle le plan d'urgence "1 jeune, 1 solution" jugé coûteux, mal proportionné et avec un succès relatif. // ©  Romain GAILLARD/REA
Dans son rapport annuel publié le 16 février, la Cour des comptes épingle le plan d'urgence "1 jeune, 1 solution". Jugé dispendieux, mal proportionné et avec un succès relatif, les magistrats de la rue Cambon recommandent notamment de mieux cibler à l'avenir les publics et de préserver la qualité des prestations.

Au nom du "quoi qu’il en coûte", le Gouvernement a consacré près de 10 milliards d’euros sur 18 mois (juillet 2020-décembre 2021) au plan "1 jeune, 1 solution". Composé d'une douzaine de dispositifs, ce plan a été mis en place en juillet 2020 pour limiter la hausse du chômage des jeunes lors de la crise sanitaire débutée en mars 2020.

L'aide à l'embauche de jeunes : coûteuse et sans effet sur leur taux d'emploi

Se voulant sur-mesure, adapté à la situation particulière de chaque jeune, le plan "1 Jeune, 1 solution" renforce les moyens financiers de dispositifs existants (Garantie jeunes, Pacea, AIJ…) et en crée de nouveaux, provisoires.

Parmi ces derniers, le plan a notamment mis en place des aides à l’embauche des jeunes de moins de 26 ans en CDI ou CDD de plus de trois mois. A hauteur d'une prime de 4.000 euros, cette aide s'est arrêtée en avril 2021, la croissance économique repartant en flèche.

Une bonne décision selon la Cour des comptes qui pointe son coût et son inefficacité. "Cette aide généraliste – deuxième mesure en termes de coût [plus de 900 millions d’euros en moins d’un an] – n’a pas eu d’effet sur le volume total de l’emploi", relève la Cour des comptes.

L'aide à l'embauche des jeunes – deuxième mesure en termes de coût [plus de 900 millions d’euros en moins d’un an] – n’a pas eu d’effet sur le volume total de l’emploi (Cour des comptes)

Selon les magistrats, le dispositif aurait certes permis une hausse de l’emploi en CDI ou en CDD long des jeunes âgés de 22 à 25 ans, estimée à 7%, soit 60.000 emplois. "Toutefois, ce dispositif n’aurait pas eu d’effets sur l’emploi total des 22–25 ans en raison d’un impact négatif sur l’emploi non salarié et sur l’emploi intérimaire. Ces premières évaluations suggèrent ainsi que la mesure aurait favorisé un déplacement de l’emploi des jeunes vers des CDD longs et des CDI, sans conduire à une hausse globale de leur taux d’emploi", précise le rapport.

Plan de relance : 6,5 milliards d'euros pour l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation

L’aide exceptionnelle à l’apprentissage a profité d'abord aux plus diplômés

Le rapport pointe aussi du doigt les aides à l’embauche en apprentissage ou contrat de professionnalisation – 5.000 euros pour un mineur, 8.000 euros pour un majeur – qui ont été prolongées deux fois et courent toujours jusqu’à fin juin 2022. Cette mesure exceptionnelle s'avère être la plus coûteuse : 5,1 milliards d’euros pour l’année 2021. Si la Cour des comptes prend acte des chiffres historiques de l’apprentissage dopés à coup de milliards, elle les relativise en y mettant deux bémols.

Premier bémol : "l’aide a certainement permis d’augmenter significativement le nombre d’apprentis, mais surtout au bénéfice de diplômés dont l’insertion sur le marché du travail n’est le plus souvent pas problématique. L’effet net sur l’emploi en volume est donc vraisemblablement faible".

Et de souligner que la croissance du nombre d’apprentis a été avant tout soutenue par l’entrée en apprentissage de jeunes issus de l'enseignement supérieur. En effet, pour la première fois en 2021, plus de 60% des contrats d’apprentissage signés l’ont été pour préparer un diplôme de niveau bac+2 et plus contre 56% en 2020 et 45% en 2019.

"Or, dans plusieurs filières, l’insertion dans l’emploi des diplômés de l’enseignement supérieur est déjà très bonne et n’est améliorée qu’à la marge par l’apprentissage". Dans le même temps, la part des jeunes préparant un diplôme de niveau CAP-BEP a chuté de 36% à 27% en un an. Autrement dit, selon la Cour des comptes, les aides ont d’abord profité aux diplômés les plus qualifiés.

Deuxième gros bémol, la Cour des comptes fait remarquer que le succès jugé "historique" des entrées en apprentissage – passé de 368.968 en 2019 à 525.600 en 2020 et 718.000 en 2021 – a eu pour contrepartie la forte baisse des contrats de professionnalisation (moins – 48% entre 2019 et 2020).

Pour les jeunes, la hausse nette serait en fait de "70.000 places supplémentaires en prenant en compte les deux formes de contrat en alternance”, estime la Cour des comptes.

Quand le lobbying des Conférences alourdit la note !
L’aide à l’embauche d’apprentis, la mesure la plus coûteuse du plan "1jeune, 1solution" est toujours en vigueur au printemps 2022. Elle avait été initialement calibrée par le gouvernement pour l’embauche de jeunes préparant au maximum un diplôme équivalent à bac+3. Mais au printemps 2020, l'intense travail de lobby de la Conférence des grandes écoles (CGE), de la CDEFI et de France universités (ex-CPU) avait poussé le gouvernement à y inclure finalement les jeunes préparant un diplôme de niveau bac+5.
En 2021 sur les 718.000 contrats signés par les jeunes, 143.996 l'ont été pour préparer un diplôme de niveau bac+5 soit plus de 20% des contrats.

Des dispositifs classiques à l'efficacité contrastée

S'agissant des autres dispositifs déjà existants (PACEA, Garantie Jeunes, accompagnement intensif jeunes de Pôle emploi…) ou créés dans la période et amenés à durer (Promotion 16–18… ), la Cour distingue ceux qui ont perdu en efficacité ou manqué leur cible.

"Deux dispositifs peinent particulièrement à atteindre leurs objectifs, remarque ainsi la Cour des comptes. Les 'PEC-jeunes' et le programme 'Promotion 16–18', géré par l’Afpa pour répondre à l’obligation de formation des jeunes décrocheurs âgés de 16 à 18 ans".

De son côté la "Garantie jeunes" – coût : 211 millions d'euros sur 18 mois – a vu sa performance se dégrader fortement pendant la crise : l'accès à l'emploi des jeunes en sortie de ce dispositif a effet chuté sur deux ans de 27,5% en 2019 à 19,8% en 2021.

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Le taux de chômage des jeunes à son niveau d'avant crise

Finalement, la Cour des comptes se garde bien de conclure que le gouvernement a dépensé sans compter pour un résultat totalement nul. Au troisième trimestre 2021, la part des jeunes âgés de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET) est inférieure de 0,8 point par rapport à son niveau d'avant-crise. Quant au nombre de jeunes âgés de 15 à 24 ans inscrits en catégories A, B et C à Pôle emploi, il est identique toujours au troisième trimestre 2021 à celui observé à la veille de la crise, soit 686.000.

Contrairement à la crise de 2008–2009, la casse en matière d'emploi des jeunes a été limitée grâce en partie à ce plan "1 jeune, 1 solution". Le syndrome de la génération sacrifiée a en partie été évité.

Dans sa réponse à la Cour des comptes, le Premier ministre a donc beau jeu de rappeler l'efficacité des mesures coûteuses : "Au regard de la nécessité de répondre vite et bien aux attentes des jeunes comme aux besoins des entreprises, le gouvernement a déployé pour le recrutement des jeunes et des apprentis des aides simples et forfaitaires, dont l’intelligibilité immédiate par les usagers a permis le succès rapide", écrit Jean Castex. Quand l'incendie est là, on ne mégote pas sur l'eau pour l'éteindre…


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