La fabrique des notes : des enseignants racontent

Propos recueillis par Marie-Anne Nourry et Emmanuel Vaillant Publié le
La fabrique des notes : des enseignants racontent
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La note juste n’existe pas. Réputation de l’élève, origine sociale, effet d’établissement, « constante macabre », différents facteurs influencent le processus d’évaluation. Comment les enseignants tentent-ils d’être le plus «objectifs» possible ? Des professeurs nous livrent leur méthodologie.

Éric Barbazo, professeur de mathématiques au lycée Les Iris à Lormont (33) - à gauche sur la photo -  : « Moins j’en sais a priori sur un élève, mieux ça vaut »

« Même dans une matière scientifique comme les mathématiques, je sais que le principe de notation est subjectif. C’est un indicateur qui a ses limites et ses dérives. Par exemple, si je prends la copie d’un élève en difficulté, je risque d’être dans une attente forte. À l’inverse, pour les très bons, j’aurais tendance à aller vite, sans doute parce que je suis plus confiant dans leurs réponses. Pour éviter ce biais, j’essaie alors de corriger sans regarder le nom. Moins j’en sais a priori sur l’élève, mieux ça vaut. En début d’année, je ne fais jamais remplir les fiches d’identité sur la profession des parents. Dans l’une de mes classes, j’ai eu comme élève le fils d’un prof de maths. Je ne l’ai appris qu’en fin d’année, ce qui m’a évité d’être influencé. »

« Je veux voir que l’élève est actif. Noter le raisonnement plus que le résultat »

« Pour chaque copie, je privilégie la cohérence d’une réponse. Si le raisonnement est cohérent mais que le résultat numérique est faux, je donne des points. Je propose aussi de plus en plus de QCM. Là, pour la correction, il n’y a plus de subjectivité possible. Et, pour les contrôles, je pose des questions ouvertes qui permettent de noter que l’élève a compris le cours. Une erreur sur un calcul d’intégrale, par exemple, ce n’est pas trop grave, si je vois que l’élève a compris qu’une intégrale est une valeur moyenne d’une fonction. Plus généralement, toute trace de recherche même infructueuse donnera des points. Je veux voir que l’élève est actif. Je privilégie aussi la capacité à savoir utiliser des hypothèses, ce qui est la base des mathématiques. »



Caroline Reys, professeur de français au lycée Ribeaupierre à Ribeauvillé (68) - au milieu sur la photo - : « J’élabore un barème détaillé que je donne à l’avance aux élèves »

« C'est face à des copies anonymes lors des corrections du bac que je me rends compte de la part de subjectivité qui intervient dans ma notation... Pour chaque copie, j'essaie de deviner quel genre d'adolescent l'a écrite, dans quel état était-il ? Qu'attend-il de cette épreuve de littérature ? Quel est l'enjeu pour lui ou pour elle ? Si je ne lui mets pas la moyenne, est-ce qu'il va rater son bac ? Pour les classes de première, j'ai aussi toujours à l'esprit que, pour certains élèves, une admission en prépa est liée aux appréciations que j'indique dans le bulletin. Il m'arrive donc de m'autocensurer... Par ailleurs, je sanctionne peu les fautes d’orthographe et de grammaire. Le plus gênant, ce sont les fautes de syntaxe. Sur 20 points, j’en consacre 4 à l’expression et je valorise ceux qui ont un vocabulaire élaboré. Enfin, la seule chose qui m’exaspère, c’est le copié-collé. Dans ce cas, je ne note pas. Si l’élève n’a pas fait son travail, je ne fais pas le mien non plus. »

« Avec une grille de notation, on travaille en confiance »

« Comment être plus objectif ? En élaborant un barème détaillé que je donne aux élèves. En préparant un exercice, je me mets alors à la place de l'élève, je le rédige moi-même et j’établis un barème très précis pour chaque étape du devoir : tant de points pour l’introduction, la problématique, le plan, etc. Avec une grille de notation, on travaille en confiance. Ainsi, je trouve toujours de quoi arriver à mettre un 5/20, même à une copie “nulle”. Et si je ne vois nulle part, dans aucune copie, la réponse que j’attendais, je ne la compte pas. »



Sébastien Droguet, professeur de biologie au lycée de la Vallée-de-Chevreuse à Gif-sur-Yvette (91) - à droite sur la photo - : « En début d’année, j’attribue un numéro de candidat à chacun de mes élèves »

« Quand je corrige une copie du bac, j’ai l’avantage de ne rien savoir du candidat. Le reste de l’année, c’est plus compliqué, car c’est justement le fait de connaître l’élève qui risque d’influer le plus sur ma notation. Pour éviter cette subjectivité, en début d’année, j’attribue à chacun de mes élèves un numéro de candidat. J’essaie ainsi de reproduire les conditions d’évaluation de l’examen. Et de gagner leur confiance ! En restant anonymes à l’écrit, ils sont assurés que leur note ne tiendra pas compte de leur réputation ou de leur éventuel redoublement. Évidemment, au bout de quelques devoirs, je finis par reconnaître leur écriture ou leur syntaxe, et ce système devient inefficace. »

« Je corrige question par question plutôt que copie par copie »

« Depuis le début de ma carrière, j’ai un rituel de correction très rigoureux. D’abord, je prépare une correction type, qui inclut les mots clés et des approximations pouvant être considérées comme justes. Ensuite, je prépare une grille de correction très détaillée qui me permet, d’un seul coup d’œil, de comparer les notes de toute la classe, sans avoir à tourner les pages. C’est plus facile pour revenir sur une notation. Enfin, je corrige question par question ou par petit groupe de questions, et non copie par copie. De cette manière, je ne prends pas le risque de noter les copies placées dans le premier tiers du paquet plus généreusement que les suivantes, puisqu’il n’y a pas de premier tiers ! Ça prend du temps, c’est sûr, mais je ne conçois pas de travailler autrement. »




Les facteurs qui peuvent influencer la notation

« L’incertitude de la notation est une constante, affirme Pierre Merle, professeur de sociologie à l’IUFM de Bretagne et spécialiste de l’évaluation scolaire. La note n’est pas une mesure physique, mais l’appréciation d’un expert sur une prestation. » Et les biais qui influent sur la notation sont bien connus.

C’est d’abord l’effet établissement : les lycées ayant plus d’élèves de faible niveau sont globalement plus indulgents. Inversement, les établissements d’excellence ont tendance à noter plus strictement pour assurer leur réputation. Aussi, dans une même classe, un enseignant a tendance de façon inconsciente à « classer » les élèves en trois tiers : les bons, les moyens et les mauvais, surtout en maths, en français et en philosophie. Ce phénomène mis en lumière par le chercheur en sciences de l’éducation, André Antibi, est désigné sous l’expression de « constante macabre » !

La force des a priori

Par ailleurs, toutes les études montrent que l’ordre de correction des copies n’est pas sans conséquence sur les notes : celles qui sont placées dans le premier tiers d’une pile sont mieux notées que les suivantes, ou encore après une excellente copie, celle qui suit est notée plus sèchement. Et inversement. Enfin, la perception que l’enseignant a de l’élève peut être décisive. Selon le statut scolaire : en pensant corriger la copie d’un bon élève, plusieurs études montrent que les enseignants ont tendance à donner une meilleure note, et inversement pour un élève jugé a priori « médiocre ».

Jusqu’à l’apparence physique

Selon l’origine sociale : les élèves de milieux sociaux favorisés seront en moyenne mieux notés que les autres élèves. Selon l’âge : les redoublants seront plus sévèrement notés. Selon le sexe : les filles sont mieux notées que les garçons, du fait d’un comportement jugé a priori plus coopératif. Pire encore, des enquêtes ont démontré l’effet de l’apparence physique… Et il s’avère ainsi que les « beaux » élèves attirent plus facilement les bons points !

Propos recueillis par Marie-Anne Nourry et Emmanuel Vaillant | Publié le