La génération Y à l'épreuve des clichés

Propos recueillis par Emmanuel Vaillant Publié le
La génération Y à l'épreuve des clichés
Julia Tessier-Myriam Levain // © 
Individualistes, insolents, instables au travail, ne croyant plus en rien… Voilà autant de clichés rebattus sur la fameuse « génération Y » auxquels deux jeunes journalistes, Myriam Levain, 29 ans, et Julia Tissier, 27 ans, règlent leur compte dans un livre intitulé La Génération Y par elle-même (1). Leur enquête, en mode léger et finement menée, déconstruit quelques idées reçues et dresse le portrait d’une jeunesse aux ressources multiples. Rencontre avec ces auteurs moins que trentenaires et devenues porte-parole de leur génération. Malgré elles ? Pas tant que ça…

La génération Y existe-t-elle vraiment ?

Myriam Levain. Nous ne sommes évidemment pas dupes : il n’existe pas une jeunesse, mais plusieurs. Il n’en reste pas moins que les jeunes de 18-30 ans partagent des caractéristiques communes. Ils (nous) sont (sommes) nés avec le développement d’Internet et dans un contexte économique particulier, celui de la crise. Au-delà des idées reçues, nous voulons donner une vision plus juste de la jeunesse.

Julia Tissier. On a bien conscience du business et du marketing autour de la génération Y. Nous avons simplement dressé un portrait-robot, pas un stéréotype enfermant. On peut s’y reconnaître par touches : au boulot, dans sa vie privée… Et puis l’enquête que nous avons réalisée auprès d’une cinquantaine d’experts et d’anonymes est une façon de reprendre la parole, de décrire ce que nous vivons, contre quelques clichés.

De tous les clichés, l’individualisme semble être celui qui vous agace le plus. Pourquoi ?

ML. Rappelons d’abord qu’au XXIe siècle, l’Occident est individualiste et que nous n’échappons pas au fameux «devenir soi-même». Mais les jeunes pas plus que les autres. Le mythe d’une génération égoïste, autocentrée résulte du fait que les Y sont présentés comme étant scotchés à leurs écrans. On est à fond sur Internet, mais c’est tout le contraire de l’individualisme. C’est une ouverture sur le monde, c’est ce qui nous permet, via les réseaux sociaux, de faire du lien. Comme une évidence.

JT. C’est vraiment Internet qui fait le point commun de la génération Y et qui a eu un effet sur nos manières de faire, de réagir, d’être avec les autres, de travailler…

Pour nous, le chômage n’est pas une honte, il permet de rebondir

Vous insistez aussi sur la crise, le chômage, la précarité… Est-ce ce qui a construit en partie cette génération ?

JT. Disons que c’est plus facile de partir dans la vie quand on vous dit dès le début que ça va être difficile. À la différence de la génération précédente qui pensait qu’une fois diplômée toutes les portes allaient s’ouvrir, nous, on nous a dit d’emblée : faites des études, ça ne servira pas à grand-chose, mais c’est quand même important.

ML. On n’a jamais connu autre chose que la crise, donc on fait avec pour en tirer un atout plutôt qu’un poids. Pour nous, le chômage n’est pas une honte, il permet de rebondir. On fait des pauses entre deux CDD, on crée une boîte, ça peut développer la créativité.

Vous voulez dire que la génération sacrifiée, c’est plutôt la génération X ?

JT. Oui. Ce sont les premiers qui se sont pris le chômage en commençant à travailler, en plus du sida quand ils commençaient leur vie sexuelle. Nous, la capote on ne l’a jamais dramatisée. On n’appréhende pas les choses de la même façon quand on a été prévenu. Les X croyaient encore au mérite, pensaient pouvoir gravir les échelons, rêvaient d’une vie meilleure que celle de leurs parents… Nous, on n’a jamais eu l’occasion d’y croire.

ML. Notre début de vie pro n’est pas méga gratifiante. On a tous été stagiaires : les gens ne nous adressent pas la parole, dès qu’il faut déjeuner, ils filent tous en boucle et, si à la fin on ose demander un poste, on nous dit « non, mais ça va pas ! ». En retour, nous n’avons aucune loyauté envers l’entreprise.

Dans l’entreprise, nous sommes dans le respect de la compétence plus que de la hiérarchie

Avez-vous vraiment un comportement si différent que celui de vos aînés dans l’entreprise ?

JT. Disons que, comme on ne sait pas combien de temps ça va durer, ce qui nous importe c’est de prendre du plaisir dans le travail. On peut être «corvéable à merci», mais à condition d’y trouver un intérêt, un plaisir. Sinon, on privilégie nettement l’épanouissement personnel.

ML. Dans l’entreprise, nous sommes dans le respect de la compétence plus que de la hiérarchie. Ce n’est pas typique de la génération Y. C’est plutôt anglo-saxon. Et puis nous sommes beaucoup dans la discussion, même avec nos chefs.

JT. Notre hypothèse c’est que cela tient à la façon dont on a été éduqué : enfants-rois, très accompagnés par leurs parents, toujours sur le mode de la négociation…

Diriez-vous que la place des jeunes est en train de changer ?

ML. On a l’impression que la fracture générationnelle décrite par Bourdieu réapparaît dans l’histoire. Quand les vieux ne veulent pas lâcher le pouvoir, la jeunesse se rebelle pour prendre sa place. Elle en a ras le bol d’être aussi inexistante ou d’être infantilisée.

JT. On espère tous qu’il y ait un mouvement. La génération qui nous précède avait les mêmes attentes et les mêmes récriminations vis-à-vis de leurs aînés. Seulement, cette fois, il est possible que les Y grillent la politesse aux X qui ont pourtant patiemment attendu.

(1) La Génération Y par elle-même, Myriam Levain et Julia Tissier (éd. François Bourin, 20 €).

Propos recueillis par Emmanuel Vaillant | Publié le