La logique du classement de Shanghai décryptée

Propos recueillis par Sophie Blitman Publié le
La France serait-elle mieux classée dans le classement de Shanghai avec les PRES ? C’est l’espoir que fonde le ministère de l’Enseignement supérieur depuis plusieurs éditions. À ce titre, il a commandé une simulation qui prend en compte, non pas les universités ou écoles isolées, mais les pôles de recherche et d’enseignement supérieur. Directrice de l’OST, Ghislaine Filliatreau en analyse les résultats et décrypte la logique du classement de Shanghai.

Comment analysez-vous les résultats de la simulation réalisée par les auteurs du classement de Shanghai , qui prend en compte les PRES français ?

Dans cette simulation, chaque établissement individuel disparaît au profit d’établissements nouveaux, inédits, qui font leur entrée dans le classement : le campus Plateau de Saclay (dans sa partie enseignement supérieur) atteint la 19e place, PSL* la 30e, Sorbonne Universités la 33e (cf. encadré). Le constat est simple : si les établissements français s’unissent, ils peuvent améliorer leur visibilité au niveau international.

On a souvent reproché à Shanghai de privilégier le modèle américain de la « comprehensive university », c’est-à-dire de l’université « complète » : une université de bonne taille, multidisciplinaire, associant formation et recherche. Il est vrai que, souvent, les universités françaises sont aujourd’hui segmentées. Avec cette simulation, on se rapproche à nouveau de ce modèle.

Cette simulation va-t-elle donner lieu, en 2012, à un nouveau classement de Shanghai qui intégrerait tous les PRES ?

Non, elle a été réalisée en parallèle du classement qui conserve des critères assez sévères : un établissement est pris en compte s’il existe en tant que tel au niveau juridique et en termes de politique scientifique. Par exemple, des cursus coordonnés et des diplômes uniques sont des éléments raisonnables sur lesquels l’ARWU peut s’appuyer.

C’est pourquoi l’université de Lorraine et celle d’Aix-Marseille ont été acceptées comme établissements uniques et sont entrées dans le classement 2011 : dans les deux cas, des éléments montraient que la fusion était engagée de manière irréversible. En revanche, le processus n’est pas encore suffisamment engagé à Bordeaux pour que la future université unique soit prise en compte en tant que telle.

Le classement de Shanghai repose sur un dénombrement ; il n’est pas fait pour montrer le mérite

Quels éléments de la méthode utilisée par le classement de Shanghai expliquent que la France gagne des places dans cette simulation ?

La logique de l’ARWU n’est pas une logique d’intensité ou de valeur ajoutée, mais de résultats : quelle que soit la taille de l’établissement, le classement mesure une « quantité » d’éléments factuels de reconnaissance internationale – même si le dernier indicateur (baptisé PCP) atténue les effets de taille en faisant le ratio du nombre de publications de l’établissement par le nombre d’enseignants-chercheurs de celui-ci. Cependant, cet effet compensatoire est limité dans la mesure où il ne s’agit que d’un indicateur sur six, qui intervient pour 10 % du total.

Ainsi, le classement de Shanghai repose sur un dénombrement (des prix Nobel ou des médailles Fields, des chercheurs cités dans les revues les plus prestigieuses…). Il n’est pas fait pour montrer le mérite, mais compare des résultats en valeur absolue.

Les critiques qui s’abattent régulièrement sur l’ARWU sont-elles, à votre avis, dues à une mauvaise compréhension de cette logique ?

En partie, sûrement. Car Shanghai cherche à repérer l’establishment, la quantité de réalisations remarquables que l’on voit de loin, au niveau international. Dans cette logique, la taille a une réelle influence, mais aussi – on oublie souvent de le dire – l’ancienneté, dans la mesure où le classement tient compte des alumni, ce qui crée une réelle inertie dans le temps.

De même, il est vrai que l’ARWU ne prend pas en compte la formation. C’est un choix. L’essentiel est simplement d’être clair sur les limites du classement : celui-ci n’est pas réalisé dans une logique de pilotage, d’évaluation ou de financement. Et cela est très fréquent, même si on n’y prête pas attention, quand par exemple on regarde les PIB régionaux, ou lorsqu’on classe les entreprises en fonction de leur chiffre d’affaires, et non de leur croissance et de la diversification de leurs activités qui, elles, sont davantage tournées vers l’évaluation.

Le classement de Shanghai mesure, partiellement, le prestige international de l’établissement du point de vue de la recherche

Pourquoi, selon vous, l’enseignement supérieur français est-il aussi réticent à mesurer les performances des établissements en valeur absolue ?

Peut-être parce qu’on craint que cette évaluation ne soit considérée comme une évaluation directe du mérite des établissements alors que, si l’on voulait mesurer le mérite, il ne serait pas juste de mesurer une seule activité en mettant tous les établissements sur le même plan, indépendamment de leurs moyens, de leur situation, de leurs missions… Mais, encore une fois, Shanghai ne mesure pas le mérite. Il mesure, partiellement, le prestige international de l’établissement du point de vue de la recherche, avec une prise en compte du temps long qui va conduire à privilégier « l’establishment » en ce domaine.

En fait, il faut s’intéresser et au mérite et aux résultats bruts : si le premier ne suffit pas, ne considérer que la puissance aboutit à renforcer les hiérarchies existantes. Les deux sont complémentaires.

* Paris Sciences et Lettres rassemble 13 institutions d'enseignement supérieur et de recherche, situées à Paris et en région parisienne (ENS, Chimie ParisTech, Paris Dauphine...).

Résultats de la simulation avec les PRES
Voici le tableau présentant les résultats de la simulation par l’ARWU avec l’aide de l’OST et prenant en compte les PRES.



NB : D’après l’OST, « cette simulation est incomplète, puisque les données de staff n’étaient pas disponibles pour le calcul du score  PCP (lorsque les données de staff sont manquantes, ARWU utilise une valeur moyenne estimée). Cependant, les estimations de rang proposées peuvent être considérées comme raisonnables. »

Propos recueillis par Sophie Blitman | Publié le