La sécurité des universités se fera-t-elle aux dépens des personnels handicapés ?

Aurore Abdoul-Maninroudine Publié le
La sécurité des universités se fera-t-elle aux dépens des personnels handicapés ?
Sécurité dans les universités - UPEC // ©  Nicolas Tavernier / R.E.A
En annonçant vouloir piocher dans les réserves du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique pour financer la sécurité sur les campus, Najat Vallaud-Belkacem a soulevé un mouvement de grogne. Face aux critiques, le ministère assure qu'il n'y aura pas de répercussion sur l'insertion des personnes handicapées. Décryptage.

Mercredi 31 août 2016. Devant les présidents d'université réunis en colloque à Paris, Najat Vallaud-Belkacem annonce avoir dégagé 30 millions d'euros pour renforcer la sécurité des établissements d'enseignement supérieur. En réalité, cet argent est déjà dans les caisses des universités, provisionné pour le paiement de leur contribution au FIPHFP (Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique).

Les établissements ne respectant pas l'obligation d'emploi de personnes en situation de handicap à hauteur de 6 % de leurs effectifs doivent, en effet, contribuer chaque année à ce fond. En 2015, un taux dérogatoire leur permettait de ne payer qu'un tiers de l'amende due. Amende exigée dans sa globalité pour 2016, jusqu'au discours de Najat Vallaud-Belkacem. Avec cette annonce, la ministre prolonge d'une année supplémentaire la dérogation en cours, débloquant ainsi 30 millions d'euros.

"un cynisme hallucinant du gouvernement et de la CPU"

Cette manœuvre budgétaire pleinement assumée a très vite suscité l'indignation de plusieurs acteurs de l'enseignement supérieur. Parmi eux, Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur et blogueur. Dans une tribune publiée sur "Libération", ce dernier dénonce "un niveau de cynisme hallucinant, aussi bien du côté du gouvernement que de la CPU." Le Sgen-CFDT pour sa part, évoque une manœuvre "inacceptable", qui "révèle surtout l'insuffisance des moyens accordés aux universités."

Interrogé par "Libération", le cabinet de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche assure pourtant qu'"il n'y aura pas d'impact sur l'insertion des personnes handicapées : les réserves du fonds s'élèvent à 400 millions d'euros". Impossible de vérifier ce chiffre : le FIPHFP, premier visé par l'initiative, ne souhaite pas s'exprimer sur le sujet. Et si son rapport annuel 2014 indique que les dépenses d'intervention étaient alors de 180 millions d'euros, rien n'est précisé sur ses réserves...

des universités reçues par le ministère

Par ailleurs, en finançant la sécurité des campus via la contribution au FIPHFP, le ministère ne désavantage-t-il pas les universités dont l'amende est la plus faible ? "Non, ces établissements ne seront pas perdants, assure l'entourage du secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, Thierry Mandon. Ils seront reçus lors de réunions bilatérales afin de s'assurer qu'ils bénéficient, eux aussi, de financements équitables."

De son côté, Jean-Loup Salzmann, président de la CPU (Conférence des présidents d'université), "comprend tout à fait la polémique" mais l'estime "non fondée". "Maintenir le taux dérogatoire des universités n'aura pas d'effet direct sur l'insertion des personnels handicapés", assure-t-il.

Aucune université n' a atteint les 6 % fixés par la loi

Il n'empêche qu'en tant qu'employeurs, les universités ne sont pas exemplaires. Malgré une augmentation du taux d'emploi de personnels handicapés, passé de 0,88 % en 2009 à 3 % en 2016, quasiment aucune université n'a atteint l'objectif de 6 %.

"Avant le passage à l'autonomie des universités, c'est le ministère qui, en tant qu'employeur, devait théoriquement s'acquitter de cette contribution, explique Jean-Loup Salzmann. Mais, en réalité, il ne l'a jamais versée. Les universités ont donc hérité d'une situation où le pourcentage de personnels handicapés était particulièrement faible lors du transfert des personnels par l'État."

Autre circonstance atténuante avancée par la CPU, "l'étroitesse du vivier" : 60 % des personnels des universités sont des enseignants-chercheurs qui possèdent a minima un doctorat. Or, le taux de personnes handicapées atteignant ce niveau d'études est extrêmement faible. En 2014, selon les chiffres de HandiU, un site du ministère dédié au sujet, seuls 0,8 % des étudiants porteurs d'un handicap étaient inscrits en doctorat. Contre 6,3 % dans la population étudiante.

Aurore Abdoul-Maninroudine | Publié le