Le Centre Michel Serres, bouillon de cultures

Céline Authemayou Publié le
Le Centre Michel Serres, bouillon de cultures
Au centre Michel Serres, les étudiants travaillent par projet. // ©  Céline Authemayou
Porté par la Comue Hésam, le Centre Michel Serres propose à des étudiants de profils très variés de plancher sur des projets d'innovation proposés par le monde professionnel. Hébergé par Arts et Métiers ParisTech et inauguré le 9 avril 2015, le dispositif poursuit un objectif : mettre l'interdisciplinarité au service de la société.

Les salles de cours ont été réaménagées pour composer avec les besoins des nouveaux occupants. Face au mur de post-it multicolores, deux gros canapés bouffis accueillent les réflexions et questionnements des étudiants. Bienvenue au Centre Michel Serres. Abrité par Arts et Métiers ParisTech, l'établissement bénéficie encore de moyens modestes, au cœur des halles technologiques de l'école d'ingénieurs parisienne. Seulement quelques salles lui ont été allouées, mais à terme, il devrait rejoindre le campus Condorcet, dans le nord de Paris.

Dédié à l'expérimentation pédagogique, le centre, surnommé CMS pour "Centre Michel Serres", propose des semestres de formation, durant lesquels les étudiants doivent répondre à une problématique posée par un partenaire professionnel, dans le but de les sensibiliser à l'interdisciplinarité et les pousser à "apprendre par le faire".

"Permettre aux disciplines de réfléchir ensemble"

En 2011, le regroupement d'établissements Hésam, alors sous statut de PRES, concourt à l'appel à projets Idex. S'il ne fait pas partie des lauréats, il obtient tout de même une enveloppe de 18 millions d'euros pour développer son projet Paris Nouveaux mondes. L'objectif : créer dans la capitale une grande université de recherche à dominante sciences humaines et sociales, avec une part conséquente consacrée aux projets d'innovation. Le Centre Michel Serres en devient le vaisseau amiral, et obtient pour son développement 13% du budget global de l'Idex.

"Nous sommes partis d'un constat très simple, relate Alain Cadix, directeur de la structure et porteur du projet depuis son origine. Qu'ils soient territoriaux, environnementaux ou liés à la santé publique, les grands enjeux sociétaux ne dépendent pas d'une seule discipline académique. Nous avons donc voulu mettre en place un dispositif qui permette à ces dernières de réfléchir ensemble."

Porté par sa vision "très humaniste de l'innovation" et son goût pour la pluridisciplinarité, le philosophe Michel Serres a accepté de prêter son nom à l'initiative.

Qu'ils soient territoriaux, environnementaux ou liés à la santé publique, les grands enjeux sociétaux ne dépendent pas d'une seule discipline académique.
(A. Cadix)

Un seul commanditaire : le monde professionnel

Depuis septembre 2013, le centre accueille deux fois par an une quarantaine d'étudiants – issus de structures membres d'Hésam, mais pas seulement – venus suivre durant quatre mois et demi un "semestre Michel Serres". Les élèves quittent leur établissement d'origine pendant leur période de stage obligatoire et rejoignent le dispositif en qualité de stagiaires.

Tous ont candidaté pour un projet d'innovation bien précis, communiqué par la Comue via son site Web. La sélection s'opère sur CV, lettre de motivation et entretien. Élèves ingénieurs, designers, architectes, historiens, sociologues, juristes... Pour chaque projet, qui réunit entre 10 et 12 étudiants, une attention particulière est portée à la variété des disciplines, indispensable pour que le postulat de base soit respecté. "Un point commun unit tout de même tous les étudiants, constate Marc le Coq, directeur des projets au CMS et enseignant à Arts et Métiers ParisTech. Tous ont le goût du risque : ils sont prêts à nous suivre sur un projet encore mouvant..."

Un constat d'autant plus vrai pour les étudiants engagés dans le diplôme Michel Serres. Lancé en septembre 2014, le cursus, suivi actuellement par 17 élèves, s'adresse à des détenteurs de L3, souhaitant suivre au sein du centre deux années de formation. En fin de cursus, ils obtiennent un diplôme d'établissement, encore non reconnu. 

Au centre Michel Serres, les salles de cours se transforment au gré des projets.

La pédagogie par projet poussée à son paroxysme

Certains réfléchissent au réaménagement d'un château en Auvergne, d'autres aident un département à devenir un territoire agricole innovant ou accompagnent une start-up qui se penche sur l'aménagement d'espaces de travail... Les projets accueillis au sein de la structure sont protéiformes. Ils soulèvent des problématiques économiques, sociales, écologiques, culturelles et émanent aussi bien d'un grand groupe que d'une association ou d'une institution. À ce jour, le centre compte une dizaines de partenaires. "Les sujets sont suffisamment riches et larges pour que chaque étudiant, quelle que soit sa formation de base, s'y retrouve", constate Simon d'Hénin, enseignant de design à l'ENSCI (École nationale supérieure de création industrielle) et directeur de projet depuis les débuts du CMS.

Depuis février 2015, ce mathématicien de formation coordonne un projet commandé par une start-up qui souhaite développer des cabines de santé de 2m2 dans les déserts médicaux. Dans son équipe, on trouve aussi bien des étudiants ingénieurs qu'un historien de l'urbanisme ou un cogniticien. Au sein de cette émulation intellectuelle, le rôle de Simon d'Hénin et de ses collègues est de nourrir la réflexion, de faciliter les mises en relation avec les bons interlocuteurs. "Il faut aider les élèves à structurer leur méthode de travail, car pour beaucoup, c'est la première fois qu'ils sont autonomes sur une gestion de projet", note l'enseignant.

Il faut aider les élèves à structurer leur méthode de travail, car pour beaucoup, c'est la première fois qu'ils sont autonomes sur une gestion de projet.
(S. d'Hénin)

Autre difficulté : la collaboration. "Chacun arrive avec son propre langage, sa propre façon de réfléchir", constate Yassin Khaled, étudiant en licence droit, science politique et sciences sociales à l'université Panthéon-Sorbonne. Inscrit au centre en septembre 2014 dans le cadre du diplôme, le jeune homme reconnaît volontiers qu'il a bien fallu un mois au groupe pour arriver à échanger de façon productive. "Il faut savoir écouter, peser le pour et le contre, arriver à un compromis, poursuit-il. Ce travail est long mais il est nécessaire", reconnaît Yassin. "Pour ma part, j'ai appris à faire confiance aux autres, à laisser chacun exprimer son idée, sans juger", renchérit Arnaud Simonin, étudiant à l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-la-Villette et engagé dans un semestre Michel Serres de septembre 2014 à février 2015.

Un modèle économique encore fragile

À côté du projet commun, qui représente 18 crédits ECTS, tous les étudiants inscrits dans le semestre doivent mener un projet individuel, valorisé à hauteur de 10 à 12 ECTS. Chacun peut choisir de suivre des cours dans l'un des établissements partenaires, pour éveiller sa curiosité ou parfaire un champ de compétences. Tous ont été sensibilisés à la gestion de projet en tout début de cursus, à travers une petite formation dispensée par les enseignants du centre.

Les étudiants du diplôme doivent quant à eux mener deux projets "semestre", les deux autres semestres étant consacrés à des temps d'enseignement plus classiques, prenant la forme de travaux dirigés au sein du centre.

Chaque fin de projet donne lieu à une restitution devant les partenaires. Le moment est souvent solennel. "Nous rappelons toujours à nos commanditaires que les étudiants sont là pour apprendre, rappelle Simon d'Hénin. Ce sont donc eux qui font les choix, quitte à se tromper." Mais le partenariat, scellé par un contrat financier, doit tout de même permettre au professionnel de s'y retrouver.

Si la direction du centre ne communique pas sur des montants, elle concède bien volontiers que la pérennité de la structure passe par le développement de ces contrats. "Aujourd'hui, le projet est financé par les fonds issus de l'Idex et par les contrats signés avec les commanditaires des projets", rappelle Alain Cadix. Mais l'enveloppe budgétaire allouée au dispositif dans le cadre des investissements d'avenir sera bientôt vide. Il faudra donc faire monter en puissance l'autre source de financement, pour pérenniser le projet. L'objectif affiché est clair : faire en sorte que la moitié des coûts de fonctionnement soit prise en charge par les partenaires.

Céline Authemayou | Publié le