Le genre à l'école vu du Québec : la chronique de Benoît Falaize

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Dans le cadre de notre partenariat avec l’émission Rue des écoles , sur France Culture, EducPros vous propose chaque mercredi à 16 heures le texte de la chronique de Benoît Falaize* (ou de Nathalie Mons à partir du 9 novembre). La première chronique de Benoît Falaize s’intéresse à la question du genre à l’école vue du Québec.

« À l’occasion du débat sur l’introduction de la question du genre dans les manuels récemment édités de sciences de la vie et de la Terre, le Québec a très souvent été mentionné, sur les blogs, les forums de discussion, comme le lieu par excellence d’où provenait cette théorie anglo-saxonne décriée, ou cette propension à légitimer le genre, voire, comme on a pu le lire dernièrement, l’homosexualité.

Il se trouve que si l’on pose la question aux acteurs éducatifs québécois, à la fois des universitaires, mais aussi à des agents de l’administration, hauts fonctionnaires ou non, on est frappé du fait que ces questions sont derrière eux, largement, comme un sujet devenu banal, presque.

Alors c’est vrai que le Québec, depuis plus longtemps qu’en France, a vu se développer toute une série d’instances de validations scientifiques de réflexions sur le genre. Les gender studies se sont installées très tôt dans l’université québécoise, sans prendre ce nom de courant qui émerge dans les années 1990, certes, comme en France, avec le développement des mouvements féministes, mais très vite, dans une réflexion globale sur le genre, les deux sexes, et les constructions sociales d’identités sexuelles et sexuées. Aujourd’hui, par exemple, l’université McGill dispose d’un Institute for gender, sexuality and feminist studies.

« Les “gender studies” se sont installées très tôt dans l’université québécoise »

Surtout, c’est à l’école que les débats sur le genre vont être pris très au sérieux. Le débat français fait sourire au Québec car, dès les années 1960, la région s’est tournée résolument vers une recherche d’équité dans l’écriture des programmes et des manuels scolaires, ce que les Québécois appellent “le matériel scolaire”. Les programmes intègrent alors des considérations très gender studies sur les sexes, mais aussi et surtout sur la vigilance nécessaire à exercer sur les discriminations liées au sexe. Ce n’est pas tant que le Québec prône la légitimité scientifique de l’homosexualité, que le fait de pouvoir être défendu et reconnu en tant qu’homosexuel.

Il existe au Québec un Bureau d’approbation du matériel scolaire, organisme très officiel qui scrute chaque manuel produit et édité, avec des critères très stricts que chaque auteur et chaque éditeur doit respecter faute de quoi le “matériel” est refusé. Parmi les critères mentionnés auxquels doivent se soumettre tous les pédagogues, il y a ceux, je cite : “relatifs à l’élimination des stéréotypes discriminatoires”. Mais aussi à la parité. Témoignage d’un des personnages les plus en vue du ministère québécois et qui étudie ces questions depuis plus de trente ans : “Il fut une époque où chaque manuel devait veiller à ce que chaque ligne soit écrite de cette manière : les femmes et les hommes ont décidé…” ; une seconde étape a tenté – compte tenu des signes et de la lourdeur des phrases – de mettre une barre oblique entre ils et elles, ou des parenthèses pour l’accord “Cher(e)s collègues” par exemple. Mais il semble que nous soyons arrivés à une dernière étape qui est de ne plus tenir compte de ces questions.

« Parmi les critères mentionnés auxquels doivent se soumettre tous les pédagogues, il y a ceux, je cite : “relatifs à l’élimination des stéréotypes discriminatoires” »

Concrètement encore, le ministère public regarde chaque ouvrage ou fichier d’activité pour compter le nombre d’hommes et de femmes, si des propos discriminants sont tenus, explicitement ou implicitement, sur telle ou telle catégorie de la population, et notamment sur ceux dont les orientations sexuelles s’écartent de la norme. En disant cela du reste, le Bureau d’approbation pourrait me demander de reprendre cette phrase en me soumettant la question suivante : “De quelle norme, de quelle normalité est-il question ici ?” De la même manière, en fonction des statistiques officielles ou des estimations, il faut veiller à ce que les homosexuels aient une place, sans valorisation induite, mais simplement en fonction de leur importance numérique : sans quoi, la discrimination n’est pas loin.

Les programmes de biologie du cégep [c’est l’enseignement général et professionnel au Québec, après 16 ans] prennent en charge ces questions en distinguant toujours ce qui relève de la biologie – du sexe – et de la sociologie – du genre. Ceux de 1988, par exemple, indique même aux élèves, dans les objectifs d’apprentissage, de ne pas prendre la biologie comme une vérité scientifique toute faite qui s’imposerait, mais comme un des éléments de connaissance du réel, non exclusif d’autres, comme la sociologie.

En fait, la philosophie des programmes est contenue dans les attendus des tout derniers programmes officiels de formation de l’école québécoise secondaire [avant 16 ans] qui s’intitulent “Un programme de formation pour le XXIe siècle”. Il y est mentionné que “la triple mission de l’école est de qualifier, dans un monde en changement, d’instruire, dans un monde du savoir, et de socialiser, dans un monde pluraliste”. Cela est énoncé comme étant la base d’un contrat moral entre l’école et la société.

Le texte est explicite : “Pour assurer à la fois l’épanouissement et l’instauration d’une collectivité intégrée, chacun doit apprendre à apprécier les différences personnelles et culturelles chez les autres, et doit obtenir en retour le respect de sa réalité particulière. La notion de diversité est au cœur de cette philosophie éducative : “développer une attitude d’ouverture sur le monde et de respect de la diversité”, y compris quand cette diversité est sexuelle.

Au fond, sur deux sujets d’actualité en France, le genre et le contrôle – ou l’approbation – des contenus des manuels, le Québec montre une autre manière de penser les choses : résolument vécue de manière plus positive et plus optimiste. Peut-être est-ce une des marques de la société québécoise aujourd’hui. »

Benoît Falaize

* Auteur (avec Elsa Bouteville) de : L’Essentiel du prof d’école , l’Etudiant/Didier, 2011.

Retrouvez Benoît Falaize sur France Culture, mercredi 19 octobre à 15 h 55.

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