Le soutien de l’État aux étudiants pendant la crise sanitaire a été décevant, juge la Cour des comptes

Amélie Petitdemange Publié le
Le soutien de l’État aux étudiants pendant la crise sanitaire a été décevant, juge la Cour des comptes
La Cour des comptes estime que l’élargissement des mesures de soutien aux étudiants pendant la crise sanitaire a été trop tardif. // ©  Adobe Stock/ jjfoto
Dans leur rapport annuel 2022, les sages de la rue Cambon estiment que dispositifs de soutien aux étudiants durant la crise sanitaire n’ont pas été déployés assez rapidement. La Cour des comptes souligne également qu'ils ont atteint les étudiants de manière inégale.

Dès le début de la crise sanitaire et du confinement, l’État a mis en place un accompagnement des étudiants. Les dispositifs de soutien ont été nombreux mais leur montée en puissance a été tardive, et ils ont atteint les étudiants de manière inégale, relève la Cour des comptes dans son rapport annuel 2022.

Trop peu d'étudiants éligibles aux aides et trop tard

"Les dispositifs de soutien, souvent trop complexes et trop circonscrits, tant en ce qui concerne les publics concernés que les vulnérabilités visées, se sont tout d’abord concentrés sur les étudiants boursiers, plus facilement identifiables. Cependant, la pandémie a montré qu’une partie des étudiants non boursiers était nettement exposée au risque de précarité en de telles circonstances", souligne la Cour des comptes.

Elle pointe ainsi que l’élargissement des mesures de soutien a été trop tardif. La montée en puissance des aides est en effet intervenue à partir de la fin de l’année 2020, avec le versement automatique d’une aide exceptionnelle de 150 euros à l’ensemble des boursiers sur critères sociaux en décembre 2020. Elle a continué début 2021, avec l’élargissement du repas à un euro aux étudiants non boursiers et la mise en place du "chèque psy".

Forte augmentation des aides ponctuelles

Les aides spécifiques ponctuelles octroyées par le Crous aux étudiants qui rencontrent de graves difficultés ont aussi nettement augmenté pendant la crise. En 2019-2020, le montant total et le nombre de bénéficiaires de ces aides ont augmenté de respectivement 50% et 36% par rapport à l’année précédente, pour atteindre plus de 60.000 étudiants. Ils se sont maintenus à un niveau élevé en 2020-2021, avec plus de 90.000 bénéficiaires.

Le 13 avril 2020, une aide d’un montant forfaitaire de 200 euros a été mise en place en faveur des étudiants ayant perdu leur emploi ou leur stage gratifié. Mais les sages de la rue Cambon pointent que cette mesure n’a pas trouvé son public.

En lien avec l’OVE (Observatoire de la vie étudiante), la DGESIP (direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle) avait estimé à 510.000 le nombre d’étudiants susceptibles d’en bénéficier. Or, seuls 23.429 d’entre eux ont pu finalement recevoir cette aide. En cause selon la Cour : des critères stricts pour en bénéficier, en particulier le fait qu’une activité importante soit exigée. Le gouvernement aurait ainsi voulu "éviter d’éventuels effets d’aubaine et limiter le coût de cette mesure".

Succès du repas Crous à un euro

Les données de l’OVE mettent également en évidence la progression de la précarité alimentaire. La part des étudiants concernés est en effet passée de 6,5% des sondés au moment du premier confinement à 11,3% sur l’année universitaire 2020-2021. Dans ce cadre, le repas servi dans les restaurants universitaires est passé de 3,30 euros à un euro à partir du 31 août 2020, au profit des seuls étudiants boursiers.

La mesure a finalement été élargie fin janvier 2021 à l’ensemble des étudiants. Ces repas ont bénéficié à plus de 620.000 étudiants entre septembre 2020 et juin 2021. "Malgré quelques anomalies limitées en début de période, qui ont fait l’objet de corrections, les Crous ont su faire preuve de réactivité dans un contexte qui a exigé, par exemple, le développement de l’activité de vente à emporter", note la Cour des comptes.

La généralisation de la mesure fin janvier 2021 a largement contribué à sa publicité et à son succès, souligne le rapport. "Alors que la moitié des étudiants n’en consommait pas avant janvier 2021, 50% d’entre eux ont pris au moins quatre repas par mois à partir de cette date. En l’état des données disponibles, il semble que cette mesure ait été essentielle pour certains étudiants."

"Mieux cerner les besoins des étudiants"

Le soutien de l’État à la vie étudiante est jugé dans l’ensemble, "décevant". "Il n’est pas à la mesure des enjeux, affirme le rapport. La crise invite pour l’avenir à mieux cerner et quantifier les besoins des étudiants, à mieux prendre en compte les risques liés à leur santé et à rendre plus réactives les modalités d’octroi des bourses sur critères sociaux, dans le cadre d’une réflexion rénovée sur l’organisation des politiques de soutien à la vie étudiante."

Selon l’institution, l’écueil réside notamment dans un manque de connaissance des besoins de la population étudiante et de données fiables sur la précarité étudiante. Elle souligne que l’OVE ne dispose actuellement pas d’indicateur stabilisé sur la précarité étudiante. "Ces insuffisances en termes de connaissance de la situation des étudiants constituent un handicap pour créer des dispositifs adaptés à leurs besoins et ne permettent pas de cibler finement les aides financières", explique la Cour.

Les recommandations de la Cour des comptes

- Mettre en place des indicateurs fiables et partagés de la précarité étudiante ;
- Effectuer une revue des missions du réseau du Cnous et des Crous et des dispositifs de soutien à la vie étudiante au regard de l’objectif de lutte contre la précarité étudiante ;
- Renforcer les moyens des SSU (services de santé universitaires) et maintenir leur rôle de prescripteurs dans le cadre du nouveau dispositif général de remboursement par l’assurance maladie de l’accès aux psychologues ;
- Aligner les règles d’octroi des bourses sur les critères sociaux de l’enseignement supérieur sur celles en vigueur dans l’enseignement secondaire en matière de prise en compte des revenus de l’année N-1, à compter de l’année universitaire 2023-2024.


Un impact persistant de la crise sanitaire sur les étudiants
Dans un sondage réalisé à l’été 2020 sur les conséquences du premier confinement, l’OVE a mesuré que près de 60% des étudiants ayant une activité rémunérée pour financer leurs études ont dû la réduire, l’interrompre ou en changer.

Loin de se limiter au premier confinement, ces problèmes ont perduré lors de l’année universitaire 2020-2021. Environ 39% des étudiants ayant répondu à la consultation réalisée par la Cour à l’été 2021 ont indiqué avoir subi des pertes de revenus liées à la crise sanitaire. Ces pertes se sont élevées à 141 euros par mois en moyenne.

Amélie Petitdemange | Publié le