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Les chercheurs français en Arctique s’inquiètent des coupes budgétaires dans la recherche

Oriane Laromiguière Publié le
Les chercheurs français en Arctique s’inquiètent des coupes budgétaires dans la recherche
En visite en avril dans l'université la plus au nord d'Europe, la ministre del'Enseignement supérieur a pu échanger avec des chercheurs. // ©  Oriane Laromiguière
Un milliard d’euros en moins pour l’Enseignement supérieur et la recherche. Les coupes budgétaires annoncées en février dernier secouent le milieu de la recherche polaire française qui manque déjà cruellement de moyens. Au Svalbard, épicentre du dérèglement climatique, les chercheurs français se montrent déçus et inquiets.

En avril dernier, Sylvie Retailleau, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, était l'invitée surprise de l'University Center in Svalbard (UNIS), l'université la plus au nord du monde, en Norvège.

Imprévue à son agenda, cette visite a suivi celle de la station polaire franco-allemande, trois jours dans le village scientifique de Ny-Ålesund au nord de Longyearbyen. L’occasion de "se rendre réellement compte des conditions de travail, de ce qu’il y a à faire au niveau scientifique notamment pour progresser dans des domaines à enjeu comme celui du climat et de la biodiversité."

Pour les scientifiques français installés au Svalbard, la présence de la ministre est au contraire l'opportunité de pointer les signaux contraires envoyés par le gouvernement français. Par la voix de la glaciologue Heïdi Sevestre, ils ont dénoncé la coupe de 904 millions d'euros de budget annoncé en février dernier, alors que "tout ce qui se passe en Arctique impacte aussi l’agriculture, l’économie et la santé des Français. Il y a urgence à étudier l’écosystème ici et il faut y mettre les moyens."

Le Svalbard, terrain d'études du changement climatique

Épicentre du dérèglement climatique, le Svalbard se réchauffe en effet sept fois plus vite que le reste de la planète. Les recherches qui y sont menées permettent de mieux comprendre et anticiper la crise climatique.

À l’instar de l’expédition La Recherche menée dans l'archipel entre 1838 et 1840, la France entretient une longue histoire dans la recherche polaire en Arctique. Ainsi, de nombreux chercheurs français ont choisi l’archipel norvégien comme terrain mais beaucoup d’entre eux ont fini par s’écarter des institutions françaises.

C'est le cas d'Arthur Garreau, 28 ans. Doctorant depuis deux ans à l’UNIS, qui dépend de l’Université de Tromsø en Norvège, il travaille sur l’adaptation des énergies solaires pour une utilisation en Arctique. Formé à l’École nationale de météorologie de Toulouse, il aurait aimé faire sa thèse dans l’hexagone mais ne trouvait pas de sujet lié au Svalbard. "La France a tout intérêt à investir dans l’Arctique pour construire des connaissances et assurer son futur. Or il y a un vrai manque de moyens de ce côté, déplore celui qui appelle à "venir sur le terrain et s’imprégner de l’environnement arctique."

Une fuite des cerveaux polaires français

Des chercheurs français qui travaillent pour un autre pays, ce n'est pas une nouveauté. Lorsque Céline Albert a rejoint le Norwegian Institute for Nature Research, l’un de ses collègues a plaisanté sur le fait que la Norvège "récupérait encore un cerveau français". La chercheuse post-doctorante, spécialisée dans l’écologie des oiseaux marins en Arctique et leur exposition aux polluants, a fait toutes ses études en France. Mais aujourd’hui, il n’y aucune chance qu’elle revienne travailler pour un organisme français.

"On demande aux chercheurs français d’être sur tous les fronts, faire de la recherche, être responsable de projet, trouver des budgets ou encore faire de la communication. Mais nous ne sommes pas formés pour ça et nous n’avons pas les moyens pour. Les gens n’en peuvent plus. Soit ils partent à l’étranger, soit ils font complètement autre chose. Lorsque tu n’es pas payée à la juste valeur de ce que tu produis, ce n’est pas valorisant. La France perd des talents incroyables en n’investissant pas dans la recherche", commente-t-elle.

La stratégie polaire se fait attendre

Fraîchement arrivé au Svalbard, Celas, 34 ans est en charge de l’observatoire de la station polaire franco-allemande AWIPEV à Ny-Ålesund. "La recherche polaire pour moi, ça fait partie de la culture française, au même titre que la bonne bouffe, l’art ou l’histoire. Nous sommes une nation de science, c’est notre philosophie profonde. Ça m’attriste de savoir qu’on puisse diminuer le budget dans ces domaines-là."

L’ingénieur, qui travaille dans les régions polaires depuis 11 ans, s’inquiète que les collaborations internationales installées depuis des dizaines d’années en Arctique comme en Antarctique soient affectées par ces coupes budgétaires.

En novembre dernier à Paris, dans le cadre du One Polar Summit, le président Emmanuel Macron annonçait le lancement d’une grande stratégie polaire dotée d’un budget d’un milliard d’euros.

"On attend toujours que ces annonces se reflètent concrètement car dans la réalité le temps passe très vite. La crise climatique ne prend pas de vacances et aujourd’hui on a vraiment besoin de voir des investissements concrets dans la recherche polaire", constate Heïdi Sevestre.

Pour la chercheuse, "tant qu’on n’a pas compris que la recherche polaire est un investissement et pas une dépense, c’est clairement qu’on n’a rien compris à la magnitude des conséquences du dérèglement climatique. Investir dans la recherche, c’est le meilleur moyen de défense face au changement climatique et à l’érosion du vivant."

Oriane Laromiguière | Publié le