Reculer pour mieux sauter ? Bon nombre d’écoles hors Parcoursup vont demander au ministère de l’Enseignement supérieur de retarder leur entrée sur la plate-forme nationale. Non que la perspective leur déplaise totalement – certaines trouvent à Parcoursup des avantages que n’avait pas APB. Si les formations préparent leur demande de dérogation pour 2020, c’est parce que l’échéance du 1er janvier 2019, prévue par la loi relative à l'orientation et la réussite étudiante, leur paraît trop proche.
On recense près de 9.000 formations postbac ou niveau bac qui ont leur propre système pour inscrire les bacheliers (contre 13.000 présentes sur Parcoursup). Parmi elles : les instituts d’études politiques, l’université Paris-Dauphine, des écoles de commerce, des écoles d’art, les instituts de formation du secteur paramédical et social, les préparations aux concours, les centres de formation d’apprentis, les écoles professionnelles…
L’objectif est que toutes les formations soient sur la plate-forme nationale. Mais plusieurs écueils se dressent devant les formations hors Parcoursup, notamment des incompatibilités de calendrier ou d’outils informatiques.
Oui si... pour Sciences po Paris
"Nous sommes prêts à entrer dans Parcoursup à la fin de l’année civile en cours, sous réserve que les équipes du ministère puissent y travailler avec nous dès le mois de mai, car cela nécessite plusieurs mois de préparation, prévient Bénédicte Durand, doyenne du Collège universitaire. Sciences po a historiquement eu une spécificité très forte, mais aujourd’hui la convergence des modèles de l’enseignement supérieur se fait, notamment sur la carte nationale des diplômes. Il est donc normal que l’on joue aussi la carte nationale de l’admission postbac."
Politiquement, la décision de la Rue Saint-Guillaume était prise avant même l’obligation légale. "Nous préparions déjà activement notre entrée sur la plate-forme nationale avec les équipes du ministère, à l’époque d’APB. Mais avec les événements de l’été dernier, notre dynamique a été interrompue."
Si Parcoursup est tout à fait adapté aux filières sélectives, l’institut parisien doit encore vérifier plusieurs points : la compatibilité des calendriers et des systèmes d’information où sont récupérés les dossiers de candidature, ainsi que la sécurisation des données.
Mais il s’agit aussi d'une question plus large de politique universitaire. Paris-Dauphine – seule université totalement hors Parcoursup – vise une entrée au 1er janvier 2020 seulement. Cela influencera-t-il la décision de Sciences Po ? Quid des instituts d’études politiques de région ? "Nous allons discuter pour voir si nous pouvons intégrer ensemble la plate-forme dès que possible", précise Bénédicte Durand.
Oui mais... en 2020 pour les Sciences po de région
Même s’il n’y a pas de volonté de la part des Sciences po de région à faire opposition à l’entrée dans Parcoursup, il est très probable qu’ils n’y entreront qu’en 2020.
Le réseau des concours communs – qui n'a pas souhaité communiquer sur le sujet – devra avancer la date de ses épreuves, actuellement fin mai. Autre question à résoudre, celle du classement par les candidats des sept Sciences po dans Parcoursup. Les données du nombre de vœux formulés pour chacun seront-elles indiquées l’année suivante, dans l’onglet "Contexte et chiffres" des fiches des formations ? Ce n’est pas la volonté du réseau, qui n’a jamais voulu dévoiler le classement des IEP les plus demandés, par crainte de creuser l’écart entre les deux ou trois Sciences po en tête et les autres.
Quant aux deux instituts hors concours commun, pas de suspense. "Une demande de dérogation a bien été déposée, confirme Jean-Charles Froment, directeur de Sciences po Grenoble. Nous avons créé une structure de coordination avec le réseau des concours communs et Sciences po Bordeaux [l’Assemblée des Sciences po de région], mais Sciences po Grenoble restera totalement autonome sur les modalités de son recrutement." Il sera cependant impossible à l’institut grenoblois de maintenir ses épreuves à la mi-mars, si la plate-forme permet aux élèves de compléter leurs candidatures jusqu’à la fin mars. "Ces révisions nécessaires justifient notre demande", appuie le directeur.
À Sciences po Bordeaux, “la démarche pour demander un report est en cours”, selon Jean Petaux, responsable de la communication.
Oui pour les Ifsi
Pas d’hésitation du côté des Ifsi (instituts de formation en soins infirmiers) : ils seront bien dans Parcoursup dès l’an prochain, comme préconisé par Stéphane Le Bouler dans son rapport sur l’universitarisation. Le concours d'entrée n'existera plus dans sa forme actuelle. Mais les modalités précises de sélection via Parcoursup ne seront pas connues avant plusieurs mois. "Un groupe de travail a été créé. La réflexion concernera par la suite d’autres filières [du secteur paramédical et social] pour lesquelles les modalités actuelles de recrutement posent question", indique Stéphane Le Bouler.
La Fnesi (Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers) s'en félicite : "La suppression du concours représente une victoire pour notre fédération", commente Lucie Léon, vice-présidente en charge de l’enseignement supérieur. Quant au recrutement des étudiants via Parcoursup : "Nous serons vigilants pour conserver la diversité des profils qui composent actuellement notre formation."
Oui pour l’école d'ingénieurs Icam
Les futurs élèves ingénieurs du réseau Icam seront également recrutés via le portail national dès le 1er janvier 2019, et non plus par le site grandesecoles-postbac.fr.
"On n’avait jamais souhaité rentrer dans APB car cela ne correspondait pas à notre philosophie de recrutement, à savoir 'choisir et être choisi', explique Carole Marsella, directrice du pôle enseignement supérieur de l’Icam. Le système était complexe et opaque, avec son algorithme d’affectation… Nous avions le sentiment que les lycéens le subissaient et ne maîtrisaient pas le choix de leur avenir."
Or, le changement de règles du nouveau portail national a fait réfléchir l’école. Notamment le fait que les candidats auront une réponse à chacun de leurs vœux, lors de la phase des admissions. "Les lycéens vont pouvoir choisir entre les différentes propositions qui leur seront faites", illustre Carole Marsella.
Quant à la Fésia, l’autre réseau d'écoles d’ingénieurs qui recrute via le même site que l’Icam, il ne suivra qu’un an plus tard. Et ce, afin d’éviter toute baisse de ses effectifs en 2019, pendant la révision du processus de recrutement, selon Sophie Charpin, secrétaire générale du réseau.
Oui mais… en 2020 pour les écoles de commerce
Déçu par APB pour plusieurs raisons, le concours Atout+3 (regroupant neuf écoles de commerce) était sorti de la plate-forme nationale après la session 2016, après y être entré en 2014. Il ne compte pas y retourner pour la session 2019. "Nous estimons plus sage de demander une dérogation pour 2020, confie Didier Wehrli, délégué général du concours depuis octobre 2016. En effet, nous avons déjà décidé, en mars dernier, de notre concours pour l’année prochaine. Il y a une logistique importante dans l’organisation des épreuves – réservation de salles, mobilisation de correcteurs… – dont on se demande si Parcoursup est conscient. Il fallait nous prévenir assez tôt !"
"Nous sommes dans une démarche commune avec plusieurs banques d’épreuves (Ecricome, Access, Sésame…), en lien avec la CGE [Conférence des grandes écoles]. Nous allons faire un courrier au ministère pour proposer un protocole pour avancer sur l’intégration de chacune des écoles et de ses contraintes. Notamment la relation avec les candidats", poursuit Didier Wehrli. Un des points qui avait conduit Atout+3 à sortir d’APB : les dossiers sont anonymisés par la plate-forme nationale, empêchant tout contact direct entre établissements et élèves avant la clôture des candidatures.
Autre point d'inquiétude : avec Parcoursup et le jeu des désistements au fil de l’eau, les candidats pourraient se décider jusqu’à début septembre… Ce qui n'arrange pas les écoles de commerce faisant partie du concours commun, qui ont besoin de connaître les étudiants intégrés dès la fin juin.
Des réserves qui expliquent que bon nombre d'établissements ont décidé de jouer la carte de la prudence. Et d'attendre de voir comment se passe la première session à haut risque de Parcoursup.
La CGE en soutien avec cinq arguments pro-dérogation
La CGE (Conférence des grandes écoles) va aider les écoles à définir des arguments pour appuyer leur demande de report d’entrée dans Parcoursup.
"Quand on organise un concours, il faut pouvoir contacter les candidats directement, explique Philippe Régimbart, délégué général de la CGE. Avoir accès aux coordonnées des candidats le 31 mars [la date officielle était même le 4 avril], c'est très tard pour les concours organisés en avril !" Des discussions autour du calendrier pourraient donc avoir lieu.
Deuxième pierre d’achoppement : la charte de Parcoursup ne permet pas d’informer les candidats lorsqu’ils sont non admissibles. "Cela peut même être contradictoire avec le règlement du concours, qui prévoit une phase d’admissibilité." Des modifications de règlement pédagogique devront être validées.
Concernant les concours communs, leur étalement actuel, entre mars et juin, est favorable aux élèves et aux familles. "Si tous doivent mettre les épreuves écrites en avril et les oraux en mai, il y a un risque de superposition, les candidats devront faire des choix”, met en garde Philippe Régimbart. À moins que les différents réseaux d’écoles ne se coordonnent suffisamment en amont.
Autre justification qui sera suggérée aux écoles : l’organisation d’un concours demande des ressources, et les réunir prend du temps. "Certaines banques d’épreuves vont devoir rassembler plusieurs sessions en une seule. Or, réserver des grandes salles, en Île-de-France notamment, relève parfois du parcours du combattant. Sans parler des correcteurs et des professeurs, très sollicités au même moment pour faire partie des jurys…" énumère Philippe Régimbart.
Enfin, "il faudra aussi raccorder les systèmes de gestion des candidatures à Parcoursup et adapter les outils utilisés en amont pour se faire connaître des candidats potentiels”, souligne le délégué général de la CGE.