“Les jeux du pouvoir” ou les portraits caustiques de personnalités de l’Éducation

Sylvie Lecherbonnier Publié le
A l’occasion du Salon du livre qui se tient du 16 au 19 mars 2012 à Paris, EducPros et les Editions de l’Atelier vous proposent un jeu-concours sur le livre “Les Jeux du pouvoir”. Dix-sept portraits de ministres et hauts fonctionnaires de l’Education nationale (mais pas seulement) y sont croqués avec humour par un certain Jean de la Fougère, lui-même haut fonctionnaire qui préfère garder l’anonymat. Un abécédaire complète ce tableau caustique des mœurs et vanités de la vie politique. Alors saurez-vous reconnaître Lionel Jospin, Jack Lang, Xavier Darcos derrière ces portraits sous forme de devinettes… Et qui se cache derrière Théophrène ? Les dix premières bonnes réponses recevront un exemplaire de cet ouvrage.

Qui est Théophrène ?

Extrait des Jeux du pouvoir”


THÉOPHRÈNE, ou l’art de se rendre indispensable

"Comment qualifier au mieux Théophrène ? Indispensable ? Insubmersible ? Insubmersible parce qu’indispensable ? Peut-être, mais alors pourquoi a-t-il été jugé indispensable par des générations de ministres ? Comment a-t-il réussi ce prodige ?

"Il a exercé dans le ministère toutes les fonctions dirigeantes, toutes, à Paris et en province"

C’est son mystère. Mais c’est un fait : depuis trente ans, Théophrène a été de toutes les combinaisons. Il a exercé dans le ministère toutes les fonctions dirigeantes, toutes, à Paris et en province. Directeur (à de multiples reprises), directeur de cabinet, président (de beaucoup de choses), inspecteur général (tôt et longtemps), que dire encore ? Il a même failli être ministre. Il fait partie de l’histoire du ministère, de notre histoire. C’est un monument. C’est vrai. On le lui dit, il le croit, il le sait, il en jouit.

Est-il incontournable parce qu’il est intelligent ? Oui, il est intelligent. Et il a acquis une exceptionnelle connaissance des questions dont traite le ministère (depuis le temps qu’il est aux commandes...). Il a une très bonne mémoire, il exprime ce qu’il sait, ce qu’il croit, avec conviction, vigueur, autorité (même si sa manière peut être maladroite
parce que trop impérieuse). Voici d’appréciables atouts pour lui, et pour le ministre qui vient d’arriver. Théophrène est une ressource. Le ministre fait donc appel à lui.

"Faut-il alors évoquer les réseaux de Théophrène ? Oui, il appartient au plus puissant d’entre eux"

Est-ce là une explication suffisante ? Après tout, d’autres sont intelligents, sont d’excellents connaisseurs, sans pourtant avoir occupé le devant de la scène durant trente ans. Non, il y a autre chose. Faut-il alors évoquer les réseaux de Théophrène ? Oui, il appartient au plus puissant d’entre eux ; oui, il fréquente depuis longtemps
les politiques (et pas seulement de son bord) ; oui, il a noué des relations (des alliances ?) avec les organisations syndicales; oui, il connaît les médias et les médias le connaissent. Sa surface est immense. D’autres ont des réseaux plus larges, voyez Guriandre par exemple, mais aucun n’en a de plus influents. Il les mobilise en permanence : pour résoudre une question difficile, pour apaiser une tension, pour faire passer une mesure, pour préparer une mutation qui s’annonce, et la sienne tout particulièrement. Il n’hésite pas à organiser des fuites dans les médias : soit pour faire croire qu’une mesure est pratiquement décidée, soit pour se mettre en évidence (pas comme auteur de la fuite, il n’est point sot, mais comme auteur de la mesure, ou
responsable de l’événement). Lorsqu’un gouvernement se forme, lorsque le ministre constitue son cabinet, envisage des personnes qui pourraient être ses directeurs, il reçoit le même message de tous côtés. Prenez Théophrène, il est indispensable ; il vous rendra des services précieux ; d’ailleurs, n’oubliez pas sa capacité de nuisance : il vaut mieux l’avoir avec soi que contre soi.

"Lui qui est un scientifique d’origine avait sous-estimé la force des faits, il avait cru facile de réformer"

Vous pensez bien qu’en trente ans Théophrène a changé. D’abord physiquement. Il a doublé, et promène désormais sa corpulence, souvent habillée sobrement de noir car cela se marie bien avec son abondante crinière blanche. Un sage, un vieux sage, mais vif encore, je vous le garantis. Impossible de ne pas le voir, de ne pas le saluer. Il trône : au milieu de la cour du ministère, au milieu de toutes les réunions, au milieu du bureau du ministre lors d’entretiens particuliers, au milieu de l’Élysée lors des voeux du Président. C’est simple, il est au milieu de tout : omniprésent. Ensuite intellectuellement. Il a eu des convictions. Et, au début de sa carrière de dirigeant, il a voulu les appliquer. Il a toujours des idées, des certitudes, mais il a perdu l’espoir
de les voir passer dans les faits. Lui qui est un scientifique d’origine avait sous-estimé la force des faits, il avait cru facile de réformer. Les faits se sont vengés : même s’ils ne sont pas intangibles, ils sont plus forts que lui, il le sait maintenant."

strong>Lire la suite du chapitre consacré à Théophrène.

Les jeux du pouvoir par Jean de la Fougère, aux Editions de l’atelier, 112 pages, 12 euros.

Vous avez deviné de qui s'est librement inspiré Jean de la Fougère pour écrire le portrait de Théophrène. Envoyez votre réponse à strong>EducPros. À gagner pour les 10 premières bonnes réponses, un exemplaire de l'ouvrage Les jeux du pouvoir.

Jean de la Fougère : “Ministre est un métier”

Qui êtes-vous ?
J’ai commencé par être enseignant, puis j’ai passé le concours interne de l’ENA (École nationale de l’administration) pour devenir administrateur civil. Je suis alors rentré au ministère de l’Éducation nationale, où je me suis intéressé à la politique éducative, avant de rejoindre d’autres ministères puis la Cour des comptes. J’ai également fait un passage dans un cabinet ministériel et j’occupe aujourd’hui un poste de secrétaire général d’un établissement public. Ces différentes fonctions m’ont donné une vision assez large de la haute fonction publique et de la vie politique française. Écrire ce livre, à la manière de La Bruyère dans “Les Caractères”, était pour moi une bonne manière de tirer le bilan de mon expérience et de donner à voir la politique autrement.

Comment avez-vous choisi les personnes dont vous avez dressé le portrait ?
Je me suis à chaque fois inspiré de plusieurs sources pour écrire ces portraits. Sur certains, la source principale est plus prononcée que d’autres. J’ai connu et/ou travaillé avec tous les gens qui m’ont servi de sources. C’est pourquoi la majorité vient du monde de l’éducation où j’ai passé une grande partie de ma carrière. J’ai pu distinguer des types de personnages. Les habitudes, les réflexes que je décris ne sont pas propres à une personne, mais bien à ce milieu. L’obsession du pouvoir y est ainsi centrale. J’ai aussi voulu montrer que ministre est un métier. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les personnes de la société civile qui sont devenues ministres ont rencontré tant de difficultés.

D’après votre expérience, quelles qualités faut-il pour être ministre ?
Pour être ministre, je vois trois qualités essentielles. Il faut d’abord avoir de très bonnes relations avec le Parlement, respecter les députés, les sénateurs, les connaître intimement. C’est du Parlement que dépend la réussite de la politique d’un ministre. Ensuite, un ministre doit être le meilleur possible dans la défense de son budget, à la fois parce qu’il possède les connaissances techniques, mais aussi le poids politique qui lui permettra d’obtenir les arbitrages de Matignon ou de l’Élysée, quand cela sera nécessaire. Enfin, le ministre doit être capable de manœuvrer la grande maison qu’est son ministère. Il y en a de plus ou moins grande, mais elles sont toujours difficiles à manœuvrer. En fait, il ne suffit pas d’avoir de grandes idées. Il faut aussi savoir les faire passer.

Et les qualités d’un haut fonctionnaire ?
Le milieu politique et celui de la haute fonction publique, qui travaillent ensemble constamment, vivent pourtant sur des valeurs opposées. Les politiques fonctionnent surtout sur l’oral et la fidélité, tandis que les hauts fonctionnaires vont réagir par écrit et se fonder sur les compétences. Un bon haut fonctionnaire sera celui qui aura trouvé l’équilibre entre rendre service et être indépendant. Pour cela, le milieu de l’éducation n’est pas différent des autres. L’attraction du pouvoir y est tout aussi forte, mais ce monde est peut-être un peu moins féroce que celui des finances, par exemple. Peut-être parce que beaucoup croient en leur sujet, celui de l’éducation.

Sylvie Lecherbonnier | Publié le