Les Mooc continuent à faire leur mue

Florence Pagneux Publié le
Les Mooc continuent à faire leur mue
La plateforme Fun Mooc, ici à son lancement en 2013, abrite aujourd’hui 528 Moocs, produits par 131 établissements différents. // ©  ©LANIER/REA
Initiés en 2008 par deux chercheurs canadiens, les Mooc (Massive open online courses) n’ont pas tenu leur promesse de démocratisation des connaissances de l’enseignement supérieur français. Mais ils gardent tout leur intérêt pour renouveler l’approche pédagogique des formations initiales et ouvrir de nouveaux horizons à la formation professionnelle.

Le tourisme culturel, les clés de la laïcité, répondre aux défis de santé en Afrique, données et algorithmes… Une simple visite sur France université numérique (FUN), la plateforme française des Mooc (Massive open online courses), permet d’entrevoir la diversité des propositions faites aux internautes soucieux d’acquérir de nouvelles connaissances. "Les établissements continuent à en produire régulièrement", souligne Catherine Mongenet, directrice de la plateforme, lancée en 2013 par le MESRI. De 25 modules réalisés par 10 établissements à ses débuts, le site en abrite aujourd’hui 528, produits par 131 établissements différents.

Il s’agit en majorité d’universités ou de grandes écoles, mais aussi d’opérateurs privés comme l’Institut Pasteur, Wikipédia (pour apprendre à devenir contributeur), ou, bientôt, des organismes de services à la personne. Si, passé l’effet de mode des premières années, la production de Mooc perdure, on est bien loin de la démocratisation annoncée des contenus académiques. "Si l’on s’en tient à cette définition, les Mooc n’ont effectivement pas tenu leur promesse, poursuit la directrice. Mais ils recouvrent en réalité toute une gamme de fonctions, allant des cours gratuits à de nouveaux parcours de formation initiale en passant par une offre de formation continue pour les entreprises". En clair, les Mooc ne sont pas morts, ils ont simplement fait leur mue.

"Pas de révolution"

"La révolution des Mooc n’a pas eu lieu dans l’enseignement supérieur, confirme Éric Vantroeyen, chargé de mission "e-learning" à l’école Polytechnique et animateur du groupe Stratégie numérique et formation à distance au sein de la Conférence des grandes écoles (CGE). Au début, tout le monde voulait créer un Mooc, sans forcément savoir ce qu’il fallait faire. Aujourd’hui, nos établissements continuent sur cette lancée, mais pas pour les mêmes raisons".

Au début, tout le monde voulait créer un Mooc, sans forcément savoir ce qu’il fallait faire.
(É. Vantroeyen)

Ici, le lancement d’un Mooc tient à la volonté d’un enseignant passionné, là, pour promouvoir une formation, ailleurs, pour gagner en notoriété auprès des futurs étudiants ou des étudiants étrangers. Loin de concurrencer le rôle des diplômes, "ils viennent souvent répondre à une frustration ou à une interrogation, voire soutenir un changement de parcours", constate Eléonore Vrillon, auteure d'une thèse sur les usagers des Mooc et responsable de recherche et développement chez Unow, une start-up qui crée des Spoc (Small private online courses), adressés à un public plus restreint.

À l’école Polytechnique, la stratégie de production des Mooc (une trentaine) poursuit deux grands objectifs. La notoriété, d’abord, en diffusant les savoirs d’excellence de l’école. Elle a d’ailleurs été la première en France à rejoindre la plateforme américaine Coursera. Elle table aussi sur des Mooc de maths et physique destinés aux jeunes bacheliers, pour "dédramatiser" les sciences et attirer les jeunes vers ces disciplines. L'école vient de remporter un appel à projets pour produire des Mooc de tutorat pour les bac -3 à bac +3, sous un format "attrayant". Certains enseignants de l’école utilisent également ces outils pour réaliser des cours en classe inversée.

Peu de réflexion stratégique

Et côté universités ? "Au début, les enseignants se sont lancés dans une production expérimentale de Mooc, confie Damien Aubert, ingénieur pour l’enseignement numérique à l’université de Nantes. Certains se sont arrêtés, et d’autres ont continué, sans pour autant suivre une stratégie très identifiée". Dans cette université, qui a produit 8 Mooc, ces cours s’adressent, in fine, à des publics variés. Comme ce Mooc sur la biologie cellulaire (qui en est à sa 6e session), qui s’adresse autant aux étudiants de première année de médecine qu’aux professionnels de santé ou au grand public intéressé par les sujets sociaux.

"Je ne dis pas que l’engouement a disparu, mais c’est moins un sujet d’actualité qu’il y a cinq ans", poursuit l’ingénieur. Le centralien Matthieu Cisel, spécialiste du sujet, se montre plus grinçant : "les Mooc ont reçu une attention disproportionnée et beaucoup d’établissements s’y sont engouffrés sans réflexion stratégique sur leur hybridation avec la formation initiale".

Les Mooc ont reçu une attention disproportionnée et beaucoup d’établissements s’y sont engouffrés sans réflexion stratégique.
(M. Cisel)

Un outil parmi d’autres

Or, ils peuvent avoir toute leur place dans le renouvellement des pratiques pédagogiques. "Pas comme une fin en soi, mais comme un outil parmi d’autres, précise Marie-Cécile Naves, chargée de mission numérique à la CPU (Conférence des présidents d’université), qui participe à la réalisation du Mooc "Vers une planète apprenante", tiré des travaux du chercheur François Taddéi. À ses yeux, ces outils ont l’avantage de "correspondre aux usages des plus jeunes, comme la lecture de vidéos, et d’encourager l’horizontalité", notamment via les forums de discussions des Mooc. "La CPU est très engagée là-dessus car soucieuse de déployer une palette de formations plus vaste et plus souple".

Autre grand débouché des Mooc, celui de la formation continue. "Le public y trouve un complément utile pour pallier un besoin de formation, constate Éric Ventroyen, à Polytechnique. D’ailleurs, nos cours de sciences destinés aux bacheliers sont suivis par des plus de 20 ans".

Dressant le constat que 75 % de ses usagers sont actifs, France université numérique vient de lancer "FUN Corporate", consistant à commercialiser des sessions de Mooc spécifiquement dédiées à la formation professionnelle des entreprises et des administrations. Une démarche est même initiée avec des établissements pilotes (Inalco, Les Gobelins, université de Bordeaux, etc.) pour permettre aux salariés de financer un Mooc via leur compte personnel de formation (CPF) en les inscrivant au répertoire spécifique.

"Si on s’éloigne de l’espérance d’accès à la formation pour tous, ce dispositif peut avoir des bénéfices très positifs pour les personnes autonomes dans l’apprentissage", conclut Eléonore Vrillon, qui a publié en septembre dernier une thèse sur les usages réels des Mooc.


Finir ou ne pas finir un Mooc ?

En 2018, la plateforme de Mooc, France université numérique (FUN), comptabilisait en moyenne 140.000 nouvelles inscriptions par mois. En revanche, pas de statistiques sur les inscrits allant au bout d’un Mooc. "Évidemment, ils sont beaucoup moins nombreux, répond sa directrice Catherine Mongenet. Mais ce n’est pas la bonne mesure. D’après nos questionnaires, les inscrits peuvent avoir des motivations très différentes. Certains suivent les cours sans faire les exercices, d’autres sont des experts venant sélectionner une vidéo très spécifique..."

À Polytechnique, 10% des 300.000 inscrits aux Mooc de l’école sont allés jusqu’au bout. "On peut suivre un Mooc sans chercher à avoir une reconnaissance, explique Éric Vantroeyen, chargé de mission e-learning de l'établissement. Ces gens-là, sans doute très nombreux, sont difficiles à identifier." Pour la spécialiste Eléonore Vrillon, le taux de réussite d’un Mooc (qui peut être inférieur à 1% !) n’est effectivement pas le bon indicateur : "Ceux qui ont un projet professionnel cherchent à avoir une trace de leur investissement. Pas ceux qui considèrent le Mooc comme une pratique culturelle et sociale. D’ailleurs, à titre personnel, je n’ai jamais fini un Mooc !"

Florence Pagneux | Publié le