Les profs de prépa maintiennent leur appel à la grève pour sauver leur pouvoir d'achat

Danièle Licata Publié le
Au nom de l’équité et de la modernisation d’un système jugé dépassé, le ministère de l'Education nationale veut réduire le nombre d’heures de cours pour les enseignants de ZEP et augmenter les obligations de service des professeurs de CPGE (Classes préparatoires aux grandes écoles). Ressentie comme une offensive de Vincent Peillon contre les classes prépas et comme une menace directe à leur survie, les profs de prépas appellent à la grève lundi 9 décembre 2013.

Francesca Ferré, professeur de philosophie en CPGE // DR"Pour financer les ZEP, notre ministre veut baisser nos salaires", résume en colère Francesca Ferré, professeur de philosophie en prépa économique au lycée Rodin dans le 13e arrondissement à Paris et prépa littéraire au lycée Molière dans le 16e arrondissement. "Jamais un ministre de la République n’avait imaginé améliorer les conditions de travail d’une partie des enseignants en rognant le salaire des autres, en d’autres termes, en déshabillant Pierre pour habiller Paul. Trop c’est trop, arrêtons de nous taxer de pilotes d’avions, comme le faisait notre ancien ministre Claude Allègre", rétorque Philippe Heudron, président de l'APHEC (Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales).
A la tête de l’association des professeurs de sciences sociales de khâgnes B/L, Mathieu Ferrière enfonce le clou : "Pour redistribuer la richesse, plutôt que de prendre aux plus riches pour redonner aux plus pauvres, notre ministre devrait savoir qu’il existe un levier que l’on appelle l’impôt".

Le ton est donné. Depuis que Vincent Peillon a annoncé vouloir relever le volume minimal d’heures des cours des enseignants de prépa et donc rogner sur le paiement de leurs heures supplémentaires pour, en contrepartie, abaisser le nombre d’heures des cours pour les enseignants de ZEP, c’est toute la profession, soit 7.500 "aristocrates" comme on les surnomme, qui monte au créneau.

Fronde contre un service minimal de 10 heures pour tous

Au cœur de la réforme : le système de rémunération des professeurs agrégés, selon qu’ils officient en prépa ou dans le secondaire (ZEP comprises), mis en place en 1950.

Officiellement, tous les agrégés sont tenus de fournir 15 heures de cours par semaine. "A la différence d'autres formations (les Sections de technicien supérieur, par exemple), il n'y a pas actuellement de système de pondération en classes préparatoires (du type une heure de cours est comptabilisée pour 1h15 ou 1h30). Les enseignants ont une obligation réglementaire de service, la fameuse ORS, qui varie entre 8 et 11 heures hebdomadaires. Le nombre d’heures varie selon deux critères qui se combinent : le nombre d'étudiants par classe et le niveau d'enseignement. Avec des effectifs pléthoriques et des cours en deuxième année, l'ORS peut être de 8 heures. Avec des effectifs normaux et des cours uniquement en première année, elle passe à 11 heures", décrypte David Dalem, professeur de droit en prépa ENS Cachan au lycée Turgot à Paris.
Si le projet est adopté, les obligations de service devraient passer à 10 heures, quels que soient le niveau et le nombre d’élèves.

David Dalem, professeur de droit en prépa ENS Cachan // DRMais "8 heures de cours ne veulent pas dire 8 heures de travail. La réalité est qu’aucun d’entre nous ne compte ses heures", tient à préciser David Dalem. Face à ses 36.000€ de salaire net annuel, ce jeune prof aligne ses heures. Entre la préparation de cours et les copies à corriger, il dit, comme nombre de ses collègues, y consacrer pas moins de 50 heures par semaine. Sans compter le travail effectué durant les vacances d’été.

Philippe Heudron remet les pendules à l’heure : "N’en déplaise au ministre, les conservatistes, voire les élitistes comme il nous appelle, ne sont pas des privilégiés."

Les conservatistes, voire les élitistes comme le ministre nous appelle, ne sont pas des privilégiés (Ph. Heudron)

Principale revendication : le pouvoir d'achat

Mais au-delà du sentiment d’injustice, de mépris, de manque de reconnaissance pour leur travail et leur dévouement à former les futures élites de la nation, c’est la baisse brutale de la rémunération qui inquiète sérieusement le corps enseignant.

"C’est la première fois depuis Claude Allègre, qui avait amputé de 17% nos heures supplémentaires, que nous revendiquons le maintien de notre pouvoir d’achat, rappelle Philippe Heudron. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. De nombreux collègues n’en dorment plus la nuit par peur de ne plus pouvoir faire face à leurs dettes."

Selon la Cour des comptes, un professeur agrégé de prépa gagne en moyenne 4.108€ nets par mois à quinze ans de carrière et 4.812€ après 30 ans de métier.

"Les enseignants perdraient, avec cette réforme, entre 3.000 et 10.000€ de rémunération par an", estime Dominique Schiltz, responsable national des CPGE au syndicat Snalc.
Et d'expliquer, calculette en main, que chaque heure supplémentaire équivaut à 3.000€ nets par an. En effet, les professeurs font en règle générale deux heures supplémentaires, soit 6.000€. Ce qui correspond à un revenu supplémentaire d’environ 500€ par mois.

Mathieu Ferrière, professeur de sciences économiques au lycée Pothier à Orléans, qui a un service de 11 heures par semaine, annonce déjà la couleur sans détours : "Je gagne aujourd’hui 3.000€ nets par mois, en faisant deux heures supplémentaires et deux heures de colles. Avec la réforme, je perdrais 300€ par mois".

David Dalem est également catégorique :"Je refuse que l’on touche à mon salaire. J’ai un troisième cycle de droit des affaires, une agrégation en économie et gestion et suis normalien. Ma rémunération est de 1,5 à 3 fois inférieure à celles de mes amis, qui ont exactement le même parcours mais ont fait le choix du privé".

Ma rémunération est de 1,5 à 3 fois inférieure à celles de mes amis, qui ont exactement le même parcours mais ont fait le choix du privé (D.Dalem)

Alors que le ministre Peillon campe sur ses positions, après avoir qualifié de "totalement inexacts" les chiffres de "10 à 20% de salaire en moins" avancés par les syndicats (estimant à moins de 5% le manque à gagner pour les mieux nantis), le bras de fer risque de se durcir dans les prochains jours.

La promesse d'attribuer une prime annuelle de 3.000€ pour les professeurs exerçant au moins six heures dans des classes de plus de 35 élèves ainsi que la possibilité pour les enseignants en sous-service de compléter leur service à hauteur de deux heures par deux heures de colle, ne satisfont personne. "Une indemnité cette année, et l’année prochaine ? Rien ne garantit qu’elle sera reconduite", avertit David Dalem. Le rapport de force est engagé.

Sur le même sujet, lire les billets des blogueurs EducPros :
- Pierre Dubois : "CPGE : colère des profs humiliés", "Le combat des agrégés de CPGE" et "Prépas : le SNES contre Peillon"
- Bernard Desclaux : "Enquête PISA et réactions des Profs de CPGE"

Danièle Licata | Publié le