L'université du Luxembourg cherche à attirer les Français

De notre envoyée spéciale, Sophie de Tarlé Publié le
L'université du Luxembourg cherche à attirer les Français
Bibliothèque dans une ancienne chapelle // © 
Créée en 2003, l’université du Luxembourg prévoit de doubler ses effectifs d’ici à 2014 et souhaite notamment attirer des étudiants français. Ses atouts ? De faibles frais de scolarité, un encadrement de qualité, des professeurs qualifiés et un enseignement multilingue. Visite des lieux dans une jeune université qui n'a pas encore à gérer les contraintes de la massification de l'enseignement supérieur.

Jusqu’en 2003, le grand duché du Luxembourg envoyait ses jeunes à l’étranger pour faire leurs études. Depuis, ce petit pays de 2000 km2 (100 km de long sur 20 km de large) a changé la donne. Installée dans un havre de verdure, l’université du Luxembourg , dont certains couloirs sentent encore la peinture fraîche, accueille aujourd’hui 4 500 étudiants de 88 nationalités.

Elle s'apprête par ailleurs à déménager. Les premiers coups de pioche ont été donnés pour déplacer l'université de Luxembourg (la capitale) à Belval, un ancien site industriel à 20 km plus au Sud, proche de la frontière française. En lieu et place des hauts fourneaux d’Arcelor-Mittal et à côté de la banque Dexia, s’érigera La Cité des sciences. Elle devrait ouvrir en 2014 et accueillir à terme environ 8 000 étudiants. Le Luxembourg va y investir un milliard d'euros.

Le modèle suisse d'enseignement

Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, c’est l’idée qui obsède le gouvernement du grand duché. Même si l’activité principale du pays reste la banque, ce petit Etat coincé entre la France, la Belgique et l’Allemagne cherche à diversifier ses activités en trouvant d’autres voies de développement. Et la récente crise financière est là pour en rappeler l’urgence. "L’idée est tout simplement d’imiter la Suisse qui après l’horloge, l’armement et la banque a développé avec succès l’enseignement à travers ses instituts polytechniques », explique Eric Tschirhart, directeur administratif de l'université.

L'enseignement multilingue devrait séduire les frontaliers              

Un enseignement de haut niveau, multilingue, dans des conditions luxueuses pour…100 € par semestre. Qui dit mieux ? Ouverts à toutes les nationalités, de nombreux cycles complets (du bachelor au doctorat), multilingues (allemand, français et anglais) sont proposés par les trois facultés de l'université : la faculté de sciences de la technologie et de la communication, la faculté de droit, économie et finance, et enfin la faculté de lettres, de sciences humaines, des arts et des sciences de l’éducation.

En outre, l'université du Luxembourg a conclu un ensemble d'accords avec des universités partenaires pour favoriser les échanges. Pour la France, il s'agit de l'ESITC de Metz, les universités Paul Verlaine de Metz, Montpellier 1, Nancy 1, Nancy 2, Paris 1 Sorbonne, Paris 5, Paris 11. Dans les classes, on trouve après les Luxembourgeois, des Français (deuxième nationalité) qui vivent au Luxembourg ou dans la région frontalière.

Né à Toulouse, Bertrand Ribet 18 ans, habite avec ses parents au sud du Luxembourg. Après son bac S obtenu au lycée privé Jean-Baptiste-de-la-Salle à Lille, il est revenu au Luxembourg pour préparer un bachelor en sciences économiques et de gestion. Bertrand pense profiter du semestre de mobilité (obligatoire pour valider son cursus) pour partir au Canada, ou en Finlande. Il apprécie la jeune faculté : « Ici les professeurs sont bons, ils nous aident beaucoup, nous envoient souvent au tableau, on a même une note de participation, nous sommes vraiment poussés à travailler". Et puis, ajoute t-il, en comparaison avec une université française, il n’y a pas de tags, les locaux sont nettoyés tous les jours ».    


Un budget de 120 millions d'euros pour 4500 étudiants          

La qualité du ménage ne fait pas seule la différence. D’abord, l’université est riche. Dotée d’un budget de 120 millions d’euros (pour 2010), elle est financée à 70 % par le gouvernement luxembourgeois et à 30 % par des contrats de recherche (industriels, fondations, sociétés, etc.). Le recteur, le vice-recteur et le directeur administratif sont nommés par le gouvernement du grand duché, sur proposition du conseil de gouvernance. Ce dernier est constitué de sept personnalités extérieures à l'université, également nommées par le gouvernement.

« Ce fonctionnement avec une direction très restreinte nous permet de prendre des décisions très rapidement», explique Eric Tschirhart, le directeur administratif. L'université bénéficie aussi d’une grande autonomie. « J’apprécie en particulier d’avoir un budget global pour l’université. L'argent n’est pas affecté à un poste en particulier, ce qui permet plus de flexibilité, pour les rémunérations par exemple. On peut aussi privilégier une formation plutôt qu’une autre en fonction des priorités que nous nous sommes fixées. Enfin, étant la seule université du pays, il est très simple d'obtenir rapidement des fonds pour la recherche auprès du FNR (Fonds national de la recherche)".

Des salaires deux fois et demie plus élevés qu’en France

Si ce professeur français de physiologie est venu au Luxembourg en épousant une luxembourgeoise, d’autres professeurs y viennent pour des raisons moins romantiques : les salaires sont deux fois et demie plus élevés qu’en France. « Nous avons les moyens d’attirer d’excellents enseignants-chercheurs », explique Franck Leprevost, vice-recteur en charge des relations internationales. Lui même est un ancien chercheur du CNRS, professeur à l’université Joseph Fourier de Grenoble. « C’est en organisant un cours d’été sur la sécurité informatique dans mon université, que deux personnes venues du Luxembourg m’ont proposé un poste de professeur », explique t-il. Aujourd’hui, il vit en Allemagne et fait le trajet tous les jours pour venir travailler au Luxembourg, en attendant de s'installer sur place. D'autres pourraient suivre...

L’université du Luxembourg en bref

- Etudiants : 4517 dont 2719 en bachelor, 557 en master et 250 doctorants. Parmi les étudiants, la moitié sont des étrangers dont 672 Français (15%).
- Personnels : 167 professeurs dont 19 sont Français et 653 employés
- Direction de l'université : deux des trois membres du Rectorat sont Français.
- 2300 € brut par mois, c’est ce que gagne un doctorant engagé en tant qu'assistant.   

INTERVIEW

« L'université prend en compte notre investissement auprès des étudiants »

Trois questions à Michel Beine, professeur d’économie internationale à l’université du Luxembourg

Quelle formation proposez-vous ? 
Je dirige un master en économie financière très apprécié des Français. Les cours sont dispensés en français et en anglais. Ces études se déroulent sur quatre semestres à temps plein. En première année, les étudiants suivent des cours d’économie financière, et en deuxième année, des cours approfondis en économie et techniques financières. Ils choisissent ensuite entre un stage ou la préparation d’un mémoire. Comme nous sommes proches des banques, de nombreux professionnels peuvent venir organiser des séminaires, ce qui est très apprécié des élèves. Les entreprises proposent aussi de nombreux stages.

Comment sont sélectionnés les étudiants ?
L'admission des étudiants se fait sur dossier. Nous prenons en compte les notes des trois dernières années, ainsi que leur lettre de motivation. Cette année, nous avons pris dans ce master 25 étudiants sur les 120 dossiers de candidature retournés. Pour la plupart, les élèves sont titulaires d'un bachelor ou d'une licence en économie, d'autres sont diplômés en gestion ou ingénieurs, même si c’est plus rare. L’université n’est pas financée selon le nombre d’étudiants.  

Pourquoi avez-vous quitté la France ? 
J’étais professeur à l'université de Lille quand l’université du Luxembourg a ouvert un poste dans mon domaine : l'économie internationale. Le salaire était attractif et j’ai accepté. En plus, en France j’avais toujours refusé de passer l’agrégation d’économie. Et si nous ne la passons pas, notre carrière est plafonnée. L’inconvénient après l’agrégation, c’est que nous pouvons être mutés n’importe où. Et puis, nous ne sommes pas jugés sur la qualité de notre enseignement. A l’inverse, à l’université du Luxembourg, la qualité des recherches, mais aussi la qualité de nos cours et plus généralement notre investissement auprès des étudiants sont pris en compte par l'université. Ce qui nous incite vraiment à nous investir. Et puis, nous avons plus de liberté dans la construction d'une formation à notre façon et plus de moyens financiers.

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