L’UTSEUS ou comment les universités de technologie françaises s’implantent en Chine

De notre envoyée spéciale à Shanghai, Sylvie Lecherbonnier Publié le
L’UTSEUS ou comment les universités de technologie françaises s’implantent en Chine
La bibliothèque de l'université de Shanghai // © 
En Chine, le plus difficile pour un établissement d’enseignement supérieur n’est pas de signer un partenariat mais bien de le faire vivre. Retour d’expérience avec l’UTSEUS, l’établissement lancé conjointement par les trois universités de technologie françaises et l’université de Shanghai. Après quatre ans de discrète existence, cette école d’ingénieurs, qui compte 750 étudiants chinois, veut désormais s’ouvrir à la recherche et l’international.

Tous les deux mois, les présidents des universités de technologie se rendent à Shanghai pour faire avancer l’UTSEUS (Université de technologie sino-européenne de l’université de Shanghai), l’école d’ingénieurs qu’ont lancée conjointement les universités de technologie de Belfort-Montbéliard, Compiègne et Troyes et l’université de Shanghai en Chine. Début juillet 2009, c’était au tour de Ronan Stéphan, alors président de l’UTC (Université de technologie de Compiègne) (1), et Louis Coté, son conseiller devenu depuis administrateur provisoire de l'Université de technologie, de venir en Chine rencontrer un maximum de contacts : enseignants-chercheurs de l’université de Shanghai, industriels français, représentants de l’incubateur de la ville. Un marathon de rendez-vous pour franchir une nouvelle étape dans le développement de l’UTSEUS.

Créée en 2005, cette « université » dans l’université occupe modestement le troisième étage d’un des bâtiments du campus de Baoshan, à quarante-cinq minutes du centre ville de Shanghai. Un campus moderne et verdoyant à l’américaine de près d’un kilomètre carré. Toutes promotions confondues, près de 750 étudiants chinois suivent aujourd’hui leurs études d’ingénieur à l’UTSEUS. Ils y entrent après avoir passé le Gaokao, le concours national d’entrée à l’université. Ces étudiants passent les trois premières années à Shanghai. Les 140 meilleurs ont ensuite la possibilité de venir effectuer leurs deux années de master dans l’une des trois UT françaises. Les autres restent à l’université de Shanghai. Parallèlement, une vingtaine d’étudiants français terminent leur dernière année à Shanghai.

La genèse du projet

Le projet est né de la volonté des UT d’implanter un campus en Asie. « Nous avons toujours pensé que dans un monde globalisé, il fallait aller au-delà des accords de doubles diplômes. Nous avons commencé par une étude de marché classique et prospecté de 10 à 12 universités, se souvient Louis Coté, alors chef de projet du réseau des UT pour la création de l'UTSEUS. Nos conditions ? Nouer un partenariat avec une université qui s’engage fortement dans une ville qui bouge. Nous savions que les plus grandes universités chinoises (Tsinghua, Jiaotong…) ne seraient pas intéressées par mettre tous leurs œufs dans le même panier. »

Pendant toute la genèse du projet, un homme joue un rôle clé : Jian Lu. Aujourd’hui directeur du département de génie mécanique de l’université polytechnique de Hong Kong, ce professeur fut l’un des premiers chinois à partir à la fin des années 80 étudier à l’étranger, en l’occurrence à l’UTC à Compiègne. « Il nous a fait profiter de ses contacts au ministère chinois de l’Education et dans les universités du pays, explique Louis Coté. C’est lui qui nous a mis en relation avec SHU (Shanghai University). Dans la phase de négociation, il nous a aussi aidés à percevoir tout ce qui n’est pas écrit et qu’il faut réussir à capter. »

Gérée par le gouvernement de la ville-province, l’université de Shanghai, qui compte parmi les 100 meilleurs établissements du pays, s’avère francophile. Deux de ses vice-présidents ont fait leurs études en France. Un penchant précieux. Mais SHU y voit surtout son intérêt. « Nous souhaitions transférer le modèle français des formations d’ingénieurs et préparer nos diplômés à travailler dans un contexte interculturel », affirme Zhou Zhewei, vice-président exécutif de l’université de Shanghai.

Des débuts difficiles

Le partenariat est signé pour vingt ans. Avec un fort parti pris : la majeure partie du financement provient des 13 250 euros de frais de scolarité pour cinq ans d’études payés par les étudiants chinois. Michel Grenié, directeur délégué de l’UTSEUS, revendique ce choix : « Nos étudiants sont, il est vrai, issus de familles aisées. Mais nous ne voulions pas dépendre d’une subvention ministérielle qui peut se tarir du jour au lendemain. » Avec 250 élèves par promotion, le budget de l’école, évalué entre 3 et 4 millions d’euros, est aujourd’hui à l’équilibre. SHU fournit les infrastructures et assure deux tiers des cours, les enseignants des UT l’autre tiers. Dans le deal, les universités de technologie se sont assurées d’une garantie financière.

Québécois d’origine, Louis Coté est habitué aux différences culturelles. Il reconnaît pourtant les « débuts difficiles » de l’UTSEUS, malgré un accord de partenariat très cadré. « Il y a eu deux ans de flottement. Quand les Chinois parlent, il faut multiplier par vingt. Un TP avec 200 étudiants ne les effraient pas et ils s’attendaient à voire débarquer 150 enseignants français. Il a fallu procéder à des ajustements, définir une hiérarchie commune des priorités. La situation s’est débloquée à partir du moment où les directeurs de la formation et de la pédagogie des trois UT sont venus régulièrement. Nous sommes alors passés de la méfiance réciproque à la coopération », poursuit Louis Coté. Et d’ajouter, lucide : « Nous avons encore deux années délicates à passer. Le temps de diplômer les premiers étudiants chinois, de s’adjoindre des partenaires européens et d’implanter la recherche. »

Partenariats européens et recherche : une nouvelle étape

Après avoir posé la brique « formation », les universités de technologie françaises et SHU cherchent à construire les volets recherche et international de l’UTSEUS. Premier chantier : intégrer des universités européennes au projet. « L’école ne propose actuellement pas assez de cours en anglais. Nos partenaires européens pourraient y remédier », estime Ronan Stephan. Une solution qui devrait régler un autre problème : les UT ne peuvent pas accueillir des centaines d’étudiants chinois dans leurs formations.

Pour faire grandir l’UTSEUS, il faut donc offrir une plus grande variété de destinations possibles aux étudiants de Shanghai. Louis Coté en est convaincu : « C’est la clé pour se distinguer. » L’université de technologie de Braunschweig (Allemagne), l’université de Linköping (Suède) et l’université autonome de Barcelone (Espagne) sont sur les rangs. Un voyage commun mi-octobre à Shanghai devrait finaliser le partenariat.

Second chantier de taille : mettre en place une plateforme de recherche. François Peccoud, ancien président de l’UTC, est en charge du dossier. Un thème a été retenu : la ville. « Pour débuter et élaborer des recherches interdisciplinaires, il nous faudrait recruter une dizaine de personnes, dont une ou deux pointures. Soit un budget d’un million d’euros par an », estime Ronan Stephan. Pour réunir ces financements, les universités de technologie comptent sur l’implication des industriels. « Un gage de légitimité supplémentaire », selon l’ancien président de l’UTC. Début juillet, des contacts ont été pris avec Pepsico, Rhodia et Dassault. Des entreprises chinoises devraient aussi être approchées. Avec une date butoir : lancer officiellement le laboratoire au printemps 2010 à l’occasion de l’Exposition universelle de Shanghai, qui a également pour thème la ville. Pas à pas, l’UTSEUS tente de devenir une université à part entière, la quatrième du réseau des UT. Un parcours de longue haleine.

(1) Depuis le 1er septembre 2009, Ronan Stéphan a été nommé DGRI (directeur général de la recherche et de l’innovation) au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Enseigner en Chine : une pédagogie à réinventer
Les enseignants français qui se rendent en Chine sont unanimes. Les étudiants chinois ne se comportent pas de la même manière que les étudiants français. Habitués aux cours ex cathedra, ils sont moins prompts à prendre des initiatives. « Il nous a fallu adapter nos méthodes pédagogiques, témoigne Louis Coté, conseiller à l’université de technologie de Compiègne. Les étudiants chinois aiment voir. Ils ont besoin de concret, de supports visuels. » Un défi pédagogique à relever pour les 45 enseignants des universités de technologie françaises qui font chaque année des missions de deux semaines à l’UTSEUS.

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