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Lutte contre l’antisémitisme : des enjeux de formation et de prise en charge des signalements

Camille Jourdan Publié le
Lutte contre l’antisémitisme : des enjeux de formation et de prise en charge des signalements
L'Assemblée nationale a adopté le 7 mai dernier la proposition de loi relative à l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, // ©  Eric TSCHAEN/REA
Le rapport issu des Assises de lutte contre l’antisémitisme a été remis le lundi 28 avril à Aurore Bergé, ministre de l’Égalité entre les Femmes et les Hommes et de la Lutte contre les discriminations. Plusieurs mesures concernent directement les établissements d’enseignement supérieur et de la recherche, avec comme principal mot d’ordre la formation aux enjeux de cette discrimination spécifique.

Lancées à la suite de la recrudescence des actes antisémites depuis le 7 octobre 2023, les Assises de lutte contre l’antisémitisme se sont déroulées du 13 février au 28 avril 2025.

Durant l’année 2023-2024, 1.670 actes antisémites ont en effet été recensés dans les établissements scolaires par le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR), contre 400 l’année précédente, indique le rapport remis à l’issue de ces deux mois d’enquête et de réflexion. Entre octobre 2023 et décembre 2024, 78 signalements ont été relevés dans le seul enseignement supérieur. Dans ce contexte, ce secteur fait l’objet de préconisations spécifiques.

Le rapport reprend notamment des mesures inscrites dans la proposition de loi relative à l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, adoptée par le Sénat le 20 février dernier et par l'Assemblée nationale le 7 mai. Au cœur de ce texte figure la généralisation de missions "égalité-diversité chargées de la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre l’antisémitisme et le racisme, les discriminations, les violences et la haine".

Ces missions pourraient "jouer le rôle de cellules de signalement", conduites par des référents, indique le rapport. "L’enjeu est de mieux former ces derniers, relève Marie-Anne Matard-Bonucci, professeure d’histoire à l’université Paris 8, et pilote du groupe "Éducation" durant les Assises. Aujourd’hui, ces personnes sont parfois choisies sur la base de leur bonne volonté, et parfois de manière aléatoire."

Créer une structure publique nationale de formation et de recherche

Dans cette optique, le rapport préconise la création d’une "structure institutionnelle de formation et de recherche sur l’antisémitisme et les racismes". "Aujourd’hui, cette mission de formation est principalement déléguée à des institutions mémorielles et à des associations", constate Marie-Anne Matard-Bonucci.

Sans remettre en question la qualité de leurs interventions, la professeure juge nécessaire la mise en place d’une "institution publique, liée à un ou plusieurs établissements, et conduite par des spécialistes de la question, en mesure de former les personnels de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, mais aussi, pourquoi pas, d’autres fonctionnaires, comme des policiers, des magistrats..."

Cette structure permettrait aussi de développer la recherche sur cette thématique. "Dans le paysage universitaire français, force est de constater l’absence de structure institutionnelle de recherche dédiée spécifiquement à la question de l’antisémitisme et des racismes en histoire et science sociale", souligne le rapport.

Or, "nous avons besoin de recherches, affirme Marie-Anne Matard-Bonucci, par exemple pour comprendre pourquoi les préjugés antisémites sont plus répandus chez les 25-35 ans ou pour effectuer une veille et un suivi des manifestations de l’antisémitisme, qui évoluent."

En ce sens, le 30 avril dernier, le ministère de l'ESR a lancé des "travaux scientifiques traitant des questions d’antisémitisme" dans ce secteur, qui seront suivis par un comité de pilotage, composé de trois représentants du ministère, d’un représentant de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), de deux représentants de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, et de trois personnes qualifiées.

Protéger les victimes et sanctionner les auteurs

D’autres préconisations sont davantage dirigées vers les étudiants, notamment avec la mise en place d’une "charte des bonnes pratiques qui prévoient les droits et les devoirs des associations présentes sur le campus", ou encore des "actions de sensibilisation et de formation tout au long [de leur] parcours de formation".

En lien avec l’autre groupe de travail, dédié à la justice, plusieurs recommandations visent à améliorer la condamnation des actes antisémites. Le rapport préconise tout d’abord de "permettre à l’administration de déposer plainte en lieu et place" des agents victimes. Mais il recommande également de systématiser non seulement "l’octroi de la protection fonctionnelle" à ces agents, mais aussi "l’engagement de poursuites disciplinaires à l’encontre" de ceux qui seraient auteurs de tels actes.

Par ailleurs, les auteurs du rapport encouragent le développement des conventions entre les parquets et les universités. En effet, l'audition de France Universités a montré que les signalements émis par les présidents d’établissements faisaient rarement l’objet de retours de la part des parquets, ce qui "peut alimenter une forme de déception, ou de découragement".

Des conventions entre ces instances de la justice et celles de l'enseignement supérieur, déjà initiées dans plusieurs établissements, permettraient "de clarifier les procédures, d'assurer une réponse plus lisible et rapide face aux actes antisémites, tout en assurant les victimes d'une vraie prise en charge de leur plainte", note France Universités.

Passer des recommandations au terrain

Fruit des auditions de nombreuses personnalités, et notamment de chercheurs, d’enseignants-chercheurs ou encore de présidents d’établissements d’ESR, ce rapport a été salué par plusieurs des structures auditionnées.

France Universités note notamment que les recommandations "s’inscrivent dans le sens des grandes actions ‘tolérance zéro’ déjà menées contre ce fléau dans les établissements" et que leur mise en œuvre "dépendra désormais de la volonté politique, des moyens alloués aux établissements […] et d’un suivi rigoureux commun."

"Nous avons essayé de proposer des préconisations ambitieuses, mais réalisables si la volonté politique va au-delà des Assises", affirme de son côté Marie-Anne Matard-Bonucci.

Camille Jourdan | Publié le