Malaise à l'université de Strasbourg : un collectif de vacataires hausse le ton

Sandrine Chesnel Publié le
Malaise à l'université de Strasbourg : un collectif de vacataires hausse le ton
En 2015, 4.326 vacataires étaient employés par l'université de Strasbourg. // ©  Bernard Braesch
Depuis fin février 2019, des vacataires de l’université de Strasbourg réunis au sein du collectif Dicensus ont lancé une campagne d’information sur les réseaux sociaux pour dénoncer la précarité de leur situation.

"Nous sommes fin février et je viens tout juste d’être payée pour les cours que j’ai assurés entre septembre et novembre 2018. Quel autre travailleur accepterait un tel retard de paiement ?" Émilie* est docteure depuis 2013, et chargée d’enseignement vacataire à la faculté des arts de Strasbourg depuis 2009. C'est l’une des 4.300 vacataires employés par l’université alsacienne – ils étaient 4.326 en 2015, selon les chiffres fournis par l’université.

Pour dénoncer la précarité de leur situation, certains d’entre eux se sont regroupés au sein du collectif Dicensus. Fin février 2019, ils ont lancé une campagne sur Twitter et Facebook afin de relayer les témoignages des enseignants non titulaires de l’université alsacienne.

Des vacataires corvéables à merci ?

Benoît*, doctorant en sciences humaines et sociales à l’université de Strasbourg, est l’un des membres de ce collectif créé en 2014, lors d’un précédent mouvement de vacataires strasbourgeois.

"En juin 2017, après avoir réuni plusieurs groupes de travail impliquant l’université, l’intersyndicale et le collectif, nous avions obtenu que l’Unistra s'engage sur des délais de paiement réduits à deux mois. Un an et demi plus tard, cette mesure n’est toujours pas appliquée, déplore-t-il. En parallèle, le nombre d’étudiants explose, mais les taux d’encadrement de titulaires s’effondrent. L’université fait appel à de plus en plus de vacataires, sans que leur situation s’améliore."

Un constat partagé par Kevin*, 36 ans. Ce titulaire d'un doctorat cumule les vacations dans cinq universités différentes : "J’assure 200 heures d’enseignement par an, soit l’équivalent de la charge de travail d’un maître de conférence, en étant payé trois fois moins. C’est d'une grande hypocrisie : les vacataires font marcher les universités au quotidien, sans que leurs compétences soient reconnues."

J’assure 200 heures d’enseignement par an, soit l'équivalent de la charge de travail d'un maître de conférences, en étant payé trois fois moins.
(Kevin)

Dans ce contexte, l’annonce par le CTE (comité technique d'établissement) de l’université de Strasbourg, le 7 février 2019, de la possible hausse du plafond d’heures d’enseignement des vacataires a été vécue comme une provocation par Dicensus.

"La présidence souhaite faire passer cette limite de 96 à 192 heures, soit le même service qu'un maître de conférences, mais avec un salaire annuel inférieur à 8.000 euros, rappelle Benoît. Pour nous, c’est un contournement du statut de maître de conférence : autant dire clairement qu’on souhaite le supprimer !"

Pour empêcher cette hausse du plafond d’heures, qui sera examinée mardi 12 mars 2019, Dicensus a commencé à contacter individuellement tous les membres du conseil d'administration, afin de les convaincre de ne pas voter cette proposition.

Des vacations détournées

Du côté de l’université de Strasbourg, on explique qu’il ne faut pas généraliser à toutes les composantes une situation qui ne concernerait que la faculté des arts.

"Cette composante a effectivement connu des retards conséquents dans les paiements des vacataires, reconnaît Catherine Florentz, vice-présidente recherche et formation doctorale de l’établissement. La situation a été analysée dès que nous en avons été informés : elle est la conséquence d’un congé de maternité qui n’a pas été remplacé assez vite. Aujourd’hui, 86 % des dossiers ont été réglés."

Mais l’objectif d’un paiement mensuel, pourtant recommandé par une circulaire ministérielle d’avril 2017, reste difficilement atteignable, quelle que soit la composante, ajoute Catherine Florentz, "notamment parce que ce paiement est effectué par la trésorerie publique, et non pas en interne, ce qui ajoute six semaines de délai incompressible."

Ce paiement est effectué par la trésorerie publique, et non pas en interne, ce qui ajoute six semaines de délai incompressible.
(C. Florentz)

De même, la précarité des chargés d’enseignements vacataires dénoncée par Dicensus serait, selon l’université, la conséquence d’une forme de détournement des vacations : "En toute rigueur, les vacations sont réservées à des professionnels ayant un emploi principal, souligne Catherine Florentz. Nous avons été très tolérants en acceptant d’avoir des doctorants sur ces vacations. Nous pensions que c’était un geste positif, mais, finalement, cela se retourne contre eux quand les vacations deviennent une source de revenus importante pour vivre."

Selon une note du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, portant sur les trois quarts des établissements d’enseignements supérieurs français, le nombre d’enseignants vacataires s’élevait à 110.088 en 2016. Douze pour cent d’entre eux assuraient alors plus de 96 heures d’enseignement par an.


D’autres universités perturbées

À l’université de Tours, le département de sociologie a refusé de participer aux portes ouvertes de l’université, samedi 2 mars 2019, pour dénoncer le manque de postes et la hausse du recours aux vacataires.
Au CELSA, à Paris, le collectif vacataires Celsa Paris-Sorbonne organise un rassemblement le 14 mars 2019 pour protester contre la précarité et a également prévu une grève des concours les 18 et 19 mars 2019.

*Le prénom a été modifié.

Sandrine Chesnel | Publié le