Marc Sellam : "Ionis doit rester une entreprise familiale"

Cécile Peltier Publié le
Marc Sellam : "Ionis doit rester une entreprise familiale"
Le prochain défi de Ionis : se développer à l'international. // ©  ISEG Group
Fondé il y a près de quarante ans, le groupe Ionis, avec 27.000 étudiants et 150 millions de chiffres d'affaires est l'un des poids lourd de l'enseignement supérieur privé hexagonal. Son président-fondateur, Marc Sellam, explique, en amont de la conférence EducPros du 22 mars 2018, comment il compte conserver son indépendance.

Ionis Education Group est le plus ancien des groupes d'enseignement supérieur privé français. Combien pèse-t-il aujourd’hui, et qu’est-ce qui en fait, selon vous, sa spécificité ?

Ionis est né en 1980 avec la création d’une école de commerce, l’Iseg. Depuis, nous n’avons cessé de consolider notre modèle. J’ai commencé par une école, que j’ai déployé en région en 1986 à Bordeaux, puis auxquelles sont venues s’ajouter progressivement d’autres écoles, et d'autres villes, toujours au sein de campus urbains. J’avais une formation d’ingénieur et je me suis ensuite naturellement intéressé aux formations techniques et scientifiques, puis créatives.

Marc Sellam, président-fondateur du groupe Ionis.
Marc Sellam, président-fondateur du groupe Ionis. © Ionis

La plupart de nos 24 écoles sont des créations : l’Iseg, Isefac, l’Epitech, e-artsup, Sup’biotech… D’autres sont des établissements que nous avons repris, puis développés : l’Epita en 1994, l’ISG en 1997, l’Ipsa en 1998, ou encore l’ICS Bégué. Qui, lorsque je l’ai rachetée, comprenait 15 élèves par promo, aujourd’hui, ils sont près de 400. Au-delà des crises qu’elles avaient traversées, il s’agissait de belles marques qui répondaient à une demande.

Cette diversité fait notre richesse. Aujourd’hui, le groupe, comprend 27.000 étudiants répartis à travers 13 villes de France, sur des campus mêlant écoles de commerce, d’ingénieurs et de création. Depuis la rentrée 2017, nous sommes également présents à Genève, Barcelone, Berlin et Bruxelles, où nous misons en priorité sur les marques ISG et Epitech.

Notre chiffre d'affaires, qui est de 150 millions d’euros en 2018, devrait atteindre entre 200 et 250 millions d’ici à trois ans. Et tout cela, nous l’avons bâti de manière indépendante.

Sur un marché en proie à une concurrence, de plus en plus dominée par les fonds d’investissement, cette indépendance est-elle toujours possible ?

Je pense que oui. Pour prendre l’image de la mode, il y a des groupes cotés en Bourse, comme LVMH et Kering, et d’autres comme Chanel et Hermès qui restent familiaux, auxquels nous préférons nous comparer... Nous sommes sollicités tous les jours par des fonds d’investissement à qui nous répondons que nous fonctionnons très bien avec un actionnariat à 100 % familial, et que nous ne sommes pas demandeurs pour le moment.

Les fonds sont arrivés dans l’enseignement supérieur, il y a une dizaine d’années en quête d’une rentabilité à 15 %. Ce n’est pas notre philosophie : Ionis est d’abord tourné vers l’étudiant et, même si nous visons une optimisation des coûts, les objectifs en matière de rentabilité ne sont pas les mêmes ! La nôtre est inférieure à 10 % sachant qu'on réinvestit selon les années 3 à 5 % de notre chiffre d’affaires dans l’innovation pédagogique.

Nous sommes sollicités tous les jours par des fonds d’investissement à qui nous répondons que nous fonctionnons très bien avec un actionnariat à 100 % familial.

Ainsi, lorsque j’ai dit à certains fonds, “on va développer ensemble nos campus à l’international”, bizarrement, je n’ai pas eu beaucoup de réponses… Ils préfèrent investir dans quelque chose qui fonctionne déjà !

Innovation pédagogique, digitalisation, campus à l’étranger… Rester dans la course demande des investissements de plus en plus conséquents. Comment y parvenir sans aide extérieure ?

Comme nous avons toujours fait : en optimisant la gestion des coûts sans transiger sur la qualité et moyennant un développement prudent. Il faut commencer de manière modeste. Par exemple, pour nos campus européens, nous nous sommes, dans un premier temps, contentés de 500 à 1.000 m2, pour un coût total par implantation compris entre 500.000 et 1 million d'euros. Un investissement à la portée d’un groupe comme le nôtre !

Vous aviez annoncé le lancement de ces nouveaux campus pour la rentrée 2017. Où en est-on ?

Le vrai démarrage aura lieu en septembre 2018 où nous attendons 40 à 50 étudiants par ville. Nous avons lancé l’idée en mars 2016. Il a fallu le temps de trouver des locaux, d'embaucher des personnels, de solliciter les agréments et de comprendre le fonctionnement du système éducatif. Mais au final, ça été très rapide. Le projet d'implantation new-yorkaise, s'il se concrétise, devrait aussi aller vite.

Pourquoi avoir fait le choix de louer, alors que dans le passé vous avez investi dans la pierre ?

Être propriétaire, n'est pas pour nous une fin en soi. À un moment, le groupe a dû investir de manière importante dans des bâtiments, réaliser des travaux, et posséder les murs était un moyen de se prémunir contre l’augmentation des loyers, importante en centre-ville. À l’étranger, pour l’instant, la location nous offre davantage de souplesse.

Ionis a toujours mis en avant la professionnalisation. Comment rester en phase avec les besoins du marché, alors que les métiers évoluent à toute vitesse ?

Nous avons observé ces dernières années un déplacement de la demande du business vers les nouvelles technologies, ce qui nous a conduits à diversifier notre offre pour répondre à ces nouveaux besoins, qu'il s'agisse du numérique, de l’intelligence artificielle, de la cybersécurité, des biotechnologies...

Le défi est de proposer une formation tout au long de la vie. Le lien que nous allons tisser avec nos étudiants est crucial.

Nous bénéficions aussi grâce à nos campus urbains, qui mixent business, techno et arts, d’une belle avance, à l’heure où les étudiants ne viennent plus seulement chercher un diplôme, mais un écosystème et un réseau.

Le défi est de continuer à développer l’innovation pédagogique et plus largement d'être capable de proposer une formation tout au long de la vie. Le lien que nous allons tisser avec nos étudiants est crucial.

La formation continue est un marché très concurrentiel. Comment tirer votre épingle du jeu ?

Oui, c’est un segment concurrentiel, mais nous comptons beaucoup sur le numérique dans lequel nous avons déjà investi à travers IonisX, une plate-forme dédiée à la digitalisation de nos écoles et à l’adaptation de nos formations à un enseignement en ligne. Mais aussi sur nos quelque 70.000 anciens, que nous allons associer de manière originale à notre développement.

Vous avez lancé IonisX en 2010. Pour quels résultats à ce jour ?

En 2017, nous allons atteindre péniblement le million d'euros de chiffre d’affaires, soit deux fois plus qu’en 2016. C’est encore embryonnaire, mais ça décolle et devrait représenter à l’avenir une part substantielle de nos revenus. Nous ciblons en priorité les Bachelors, les MBA et les formations “métiers” dans le domaine de la technologie où se concentre le gros de la demande.

Ces formations s’y prêtent bien, il est vrai. Ce serait plus compliqué avec une formation d’ingénieurs, très encadrée par la CTI [commission du titre d’ingénieurs].

Comment envisagez-vous l’avenir du groupe ?

Ma priorité est la pérennité de la société, qui doit rester une entreprise familiale et dont l'avenir ne passera ni par un fonds ni par une cession en bourse. Je reste un entrepreneur de l‘éducation, passionné par ce que je fais. L’éducation n’est pas un business comme les autres : il n’y a pas de rente, il faut mouiller la chemise tous les ans. Chaque rentrée est un nouveau début et c’est pour cela que nous devons innover en permanence.


Conférence EducPros sur le marché de l'éducation

EducPros organise, le 22 mars 2018, à Paris une conférence sur le marché de l'éducation. Dans un contexte économique contraint, l'enseignement supérieur français voit la part de financements privés croître, année après année. Rachat d'écoles par des fonds d'investissement, arrivée d'investisseurs étrangers et de sociétés de capital-risque sur le marché… Quels sont les objectifs de ces acteurs privés ? Quelles sont les conséquences de cette libéralisation sur la gestion des établissements, leur développement et leur offre pédagogique ? Telles sont les questions dont les intervenants débattront lors de cette journée.

Programme et inscriptions

Cécile Peltier | Publié le