Métier d'enseignant-chercheur : un maître de conf d'université scientifique témoigne

Fabienne Guimont Publié le
Suite de notre série de témoignagnes d'enseignants-chercheurs sur leur métier, leurs différentes missions, la façon dont ils sont évalués et ce qu'ils pensent des réformes en cours. Si vous souhaitez partager votre expérience sur ce sujet, laissez votre commentaire (en bas de l’article). Nous publierons d'autres témoignages d'enseignants-chercheurs ultérieurement sur educpros.fr.

Damien Dupond*, maître de conférences dans une université scientifique (40 ans)  

Rapports de mémoires, jury d’examens, projets de maquette de licence, gestion des notes, planning des séries de travaux pratiques… Damien Dupond, maître de conférences depuis dix ans dans une université scientifique, n’a pas que sa recherche et son enseignement à mener de front.

Si l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) évalue sa recherche tous les quatre ans, comment sont prises en compte les tâches administratives et pédagogiques hors celles relevant de sa mission d’enseignement ? « Pour la participation aux maquettes, c’est un travail colossal surtout en temps de réunion. On reçoit l’estime des collègues, qui ensuite demandent votre avis sur beaucoup de choses, mais ce n’est pas comptable dans les commissions d’évaluation », sourit-il.  

5000 copies à gérer par examen

Comme responsable d’une des disciplines du premier cycle - 500 étudiants et une dizaine d’enseignants-chercheurs -, il s’estime bien loti avec une décharge d’enseignement d’une demie douzaine d’heures par an. Il en est déjà à la neuvième version de planning d’enseignement et le mouvement en cours lui rappelle des souvenirs. « Lors du CPE, j’ai dû faire 19 versions de planning pour que les étudiants puissent rattraper tous les TP ! ».

Avec seulement deux secrétaires administratives qui doivent gérer 5000 copies par session, impossible d’éviter de décacheter des copies, de compiler les notes… Pas vraiment des missions d’universitaire !

Les mêmes critères que les chercheurs avec 50 % de temps en moins  

Et surtout du temps en moins pour la recherche alors qu’elle seule est réellement évaluée nationalement pour faire avancer sa carrière. « Les enseignants-chercheurs sont évalués sur les mêmes critères que les chercheurs mais avec 50 % de temps en moins. Cela montre que l'on peut rester productif et efficace ! Avec les évaluations de l’AERES sur notre recherche, tout risque d’être inféodé à la note reçue. Ce sera double peine ou double gain ensuite pour obtenir des crédits des agences de moyens puisque les évaluations seraient accessibles par tout bailleur comme l'Agence nationale de la recherche», redoute-t-il.

Des crédits que les équipes se disputent de plus en plus. Avec des effets pervers redoutés. « On cherchera sur des thématiques faciles ou médiatiques qui peuvent rapporter gros et surtout pas sur de nouvelles pistes. Or si nos étudiants sont si appréciés à l'étranger, c'est aussi parce qu'ils viennent d'un monde où l'on réfléchit sur ce qui ne se fait pas ailleurs ».  

Plus d’enseignement pour les universités les plus pauvres  

Comment voit-il le nouveau décret ? « On nous fait miroiter une prise en compte des charges d’enseignement mais sans critères nationaux définis». En filigrane : des enseignements plus lourds pour les universités les plus pauvres en chercheurs publiant et donc en subsides de l'Etat avec des heures complémentaires à débourser, les plus aisées des universités se payant des contractuels.

Autre crainte ? Le nouveau système d’allocation des moyens qui pourrait travestir les missions mêmes d’enseignants-chercheurs. « Si le président me demande d’amener tant d’étudiants aux examens alors qu’ils ont été mal orientés, cela va me poser un problème de mission ».

Avec à terme, une conséquence redoutée : l’augmentation des frais d’inscription. Un sentiment d’incompréhension aux allures de catalogue que le salaire de 2300 euros nets par mois (hors primes) après dix ans de carrière - 1500 euros net au recrutement – n’apaise pas. «Je forme des étudiants qui vont peut-être gagner autant que moi ! ».

* Les prénom et nom ont été modifiés à la demande du témoin.

Fabienne Guimont | Publié le