Michelle Bergadaà (présidente de la commission d’éthique du Luxembourg) : "Le plagiat universitaire doit être réglé par le monde académique, pas par la justice civile"

Propos recueillis par Fabienne Guimont Publié le
Professeur à l’université de Genève, Michelle Bergadaà a lancé, en 2004, un site pour lutter contre le plagiat universitaire constaté dans les mémoires, thèses, articles de recherche ou ouvrages scientifiques. Elle y relaie les résultats de sa recherche-action internationale basée sur des centaines de cas de plagiats dans des dizaines de pays qu’elle analyse, en donnant des conseils et en en publiant certains. Elle a présidé de nombreuses commissions sur l'intégrité scientifique (université de Genève, commission d’éthique du grand-duché de Luxembourg, etc.). Elle intervient sur le thème du plagiat aux Journées du e-learning les 23 et 24 juin 2011 à Lyon. EducPros en est partenaire.

 
Michelle BergadaaDans quelles conditions s’est développé le plagiat sur Internet ?

On a d’abord remarqué que les étudiants plagiaient en copiant-collant sur Internet, puis que certains assistants ou professeurs le faisaient aussi. Ainsi, les pratiques des petits plagiaires disciplinés qui copient si le copain copie se retrouvent dans de grands laboratoires des universités. Il n’y a pas forcément plus de plagiaires qu’avant Internet, mais aujourd’hui Internent démultiplient les tentations : le plagiaire roule en Porsche, alors qu’avant recopier à la main c'était à la vitesse de la trottinette. Les établissements n’étaient pas préparés à ce tsunami de fraudes provoqué par le Web. Les seuls logiciels antiplagiat existants ont été développés par des entreprises privées, jamais par une école d'ingénieurs ou par un gouvernement.

En France, la mission confiée en mars 2011 à Claudine Tiercelin doit réfléchir à des propositions concernant, entre autres, le plagiat accru par l’usage d’Internet. Quelle est la prise de conscience des établissements sur ce sujet à l’étranger ?

Les directeurs d’école et les présidents d’université ne prennent que lentement conscience du problème. Ce sont avant tout des gestionnaires de mètres carrés et pour eux la validation des connaissances, la garantie de la légitimité académique, du savoir ne sont pas leur priorité. Il n’y a pas de pays modèle en la matière. Le Québec, souvent cité en exemple, mène une politique de sanction plus sévère à l’encontre des plagiaires, mais il n’y a pas de politique de détection plus forte des plagiats. À Genève, à Lausanne, nous avons réussi à instaurer des règlements formels contre les plagiaires sur les recommandations d’une commission d’éthique (dépôt de plainte en interne, commission, exclusion, recours…). Ce qui est particulier à la France, c’est la politisation/syndicalisation de l’université à tous les niveaux qui induit du copinage et freine la transparence des mesures.

Que recommandez-vous pour lutter contre le plagiat universitaire ?

Le problème, c’est qu’il y a une loi contre la contrefaçon, mais pas contre le plagiat. C’est inadapté. Ainsi, un étudiant qui plagie son mémoire se prévaudra d’un diplôme, alors qu’il n’en a pas acquis les connaissances : il dévalorise ainsi l’établissement, le diplôme, etc. Un professeur plagiaire qui fait carrière prend la place d’un autre candidat. Il n’y a pas de défense académique pour les plagiés universitaires : un jeune doctorant plagié par son directeur de thèse ne va pas porter plainte car il existe rarement de commission d’intégrité. Le plagiat universitaire est une fraude faite au monde académique, au principe de l'équité, à la validité des diplômes. Il faut qu’il soit réglé par le monde académique et non par la justice civile.

Qui est le plus pénalisé par ces plagiats ?

La société est pénalisée en premier lieu : l’employeur sera pénalisé, celui qui n’aura pas le job, pris par le plagiaire. Et le plagiaire étudiant deviendra souvent plagiaire dans l’entreprise.

Y a-t-il des disciplines universitaires plus propices au plagiat ?

Non. Toutes sont affectées, ou plutôt infectées.

Les billets des blogueurs sur le plagiat

• Les billets de Pierre Dubois sur le plagiat enseignant et étudiant .

Le plagiat est-il une arme de destruction massive ? (Christine Vaffrey).

Le numérique, révélateur et amplificateur du plagiat (Yann Bergheaud).

Le plagiat, un fléau intellectuel (Jean-François Fiorina).

Propos recueillis par Fabienne Guimont | Publié le