Modulation de services des enseignants-chercheurs : chaque université joue sa partition

Marie Bonnaud Publié le
Modulation de services des enseignants-chercheurs : chaque université joue sa partition
Labo ENS // © 
Le nouveau statut des enseignants-chercheurs est entré en vigueur depuis la rentrée 2009. Comment les universités ont-elles mis en application cette réforme fort contestée ? Zoom sur les pratiques RH de trois universités, à Limoges, Strasbourg et Paris-Ouest-Nanterre-La Défense. Deuxième volet de notre série sur les ressources humaines dans les universités.

Université de Limoges : de 53 à 62 % de publiants

« Le constat que nous avions fait en 2009 tenait en deux points : nous étions sous-dotés en personnels et nous avions une grande marge de progression en termes de nombre de publiants : ils ne représentaient alors que 53 % des enseignants-chercheurs. Nous avons élaboré notre politique de gestion des ressources humaines en prenant en compte ces deux éléments : encourager nos enseignants-chercheurs à faire de la recherche pour augmenter nos performances et donc les moyens globaux de l’établissement », explique Jacques Fontanille, président de l’université de Limoges qui faisait partie des premières universités à passer à l’autonomie au 1er janvier 2009.

Partant de ce constat, l’université a mis en place une fiche d’engagement annuel dans laquelle l’enseignant indique ses objectifs en matière d’enseignement, de recherche et de participation à la vie administrative de l’établissement. Ces fiches sont conçues comme un outil de planification des services : « Il y a un aller-retour entre les services généraux et l’enseignant-chercheur. Nous n’acceptons pas les fiches d’engagement qui ne sont pas équilibrées. Il n’y a pas l’enseignement d’un côté et le luxe de la recherche de l’autre », soutient Jacques Fontanille.

Un accompagnement pour les non-publiants

Il n’empêche, tous les efforts sont bien mis sur la recherche : « Certains se sont laissé enfermer et ne publient plus car ils n’ont plus de pression, plus de regard extérieur. Nous avons encouragé les équipes à identifier les personnes qui méritent selon elles un vrai accompagnement. L’université finance à hauteur de 3.000 € des actions spécifiques pour aider la personne à se réintégrer dans des projets de recherche collectifs. » Par ailleurs, il est proposé aux jeunes maîtres de conférences récemment recrutés un « contrat d’accueil » (renouvelé chaque année pour trois ans, si les engagements sont tenus), avec une décharge d’enseignement : ils s’engagent à n’effectuer que deux tiers de leur service d’enseignement, en contrepartie du maintien d’un bon niveau de publication.


« Si les engagements ne sont pas respectés, il n’y a pas de sanction immédiate, mais le système repose sur une sorte de pression managériale continue »

Aux critiques qui ont émané de la communauté des enseignants-chercheurs, Jacques Fontanille répond avec pragmatisme : « Si les engagements ne sont pas respectés, il n’y a pas de sanction immédiate, mais il est vrai que le système repose sur une sorte de pression managériale continue. Ce n’est pas à moi de décider une modulation de services à la hausse de l’enseignement car, de toute façon, il faut l’accord de l’intéressé. Mais si des aides sont mises en place sans résultat, il faudra réfléchir, à terme, à trouver une solution. D’après l’évaluation de l’AERES [Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur] de cette année, nous sommes désormais à 62 % de publiants. Cela prouve bien que nous avions une vraie marge de progression. »

Université de Strasbourg : les mutations du métier d’enseignant-chercheur anticipées

La réflexion sur le temps de travail des enseignants-chercheurs date de bien avant l’adoption du nouveau référentiel. Dès janvier 2009, à la création de l’université unique, la toute nouvelle Université de Strasbourg (UdS) a instauré un ensemble de mesures : une décharge d’un semestre d’enseignement pour les nouveaux maîtres de conférences recrutés (à prendre sur les cinq premières années), une augmentation des CRCT (congés de recherche et de conversion thématiques) pour permettre aux MCF de bénéficier au cas par cas d’une décharge de six mois, voire un an.


« La vraie variable d’ajustement dans le métier d’enseignant-chercheur, c’est le temps »

« Le référentiel va dans le même sens : il s’agit de réfléchir à ce qu’est le métier d’enseignant-chercheur aujourd’hui, note Hugues Dreyssé, vice-président de l'Université de Strasbourg en charge des ressources humaines et de la politique sociale. Sa vraie variable d’ajustement, c’est le temps. » Le nouveau référentiel qui va s’appliquer à la rentrée 2011 (et de façon rétroactive en 2010) a été établi dans le cadre d’un groupe de travail sur plus d’un an regroupant des représentants syndicaux, élus des conseils, personnes qualifiées : « Le nouveau cadre prend en compte des tâches qui n’avaient pas encore été identifiées et qui seront désormais rémunérées, au-delà des primes déjà existantes [primes pédagogiques, primes pour charges administratives]. Mais, à chaque fois que les responsabilités administratives deviennent trop importantes, comme le fait de devenir directeur de composante, je mets toujours en garde le collègue pour éviter qu’il n’y sacrifie une partie de sa carrière de chercheur », ajoute Hugues Dreyssé.

Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense : moduler les charges administratives à défaut de pouvoir financer des décharges d’enseignement

« Les récents effets d’annonce sur les modulations de services ont créé des attentes génératrices de tensions internes très fortes. En effet, ces attentes ne peuvent toutes être satisfaites ni du point de vue réglementaire, ni du point de vue financier. D’autant que cela est intervenu dans un environnement très concurrentiel entre les universités bien dotées et les autres », souligne Bernard Laks, vice-président recherche de l’université Paris-Ouest-Nanterre.


« Pour compenser des décharges d’enseignement, soit l’université dispose d’une capacité de financement forte, soit elle ne peut rien faire »

Le principal problème est le financement d’éventuelles décharges d’enseignement : « La seule marge de manœuvre qui reste aux présidents d’université est très inégalitaire. Comme il est impossible de dégrader le potentiel d’enseignement de l’université, soit celle-ci dispose d’une capacité de financement forte pour compléter, à travers notamment le système de fondations, soit, de fait, elle ne peut rien faire », mentionne Bernard Laks.

Dans ce contexte, l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense a mis en place un nouveau référentiel (transitoire en 2010 et opérationnel en 2011). L’objectif est de comptabiliser le temps passé par les enseignants-chercheurs à faire des tâches administratives, ce qui est d’autant plus chronophage dans un établissement comme Paris 10 où le déficit en personnels administratifs est estimé entre 110 et 130 postes. « La notion de référentiel n’est pas là pour faire bouger le ratio enseignement/recherche, mais pour intégrer la prise en compte de charges administratives, poursuit Bernard Laks. Nous avons établi une typologie de ces “charges pour fonction” et construit un barème pour définir chacune d’entre elles en termes de temps. »

Place aux dialogues de gestion

À chaque printemps, un dialogue de gestion s’instaure entre le responsable de l’UFR et les services de l’université : l’UFR y présente ses besoins en matière d’enseignement et de tâches administratives. Ces dernières se traduisent en charges supplémentaires à financer, dont une partie peut être compensée par les services centraux. Dans une première phase, une enveloppe de 600.000 à 800.000 € a été débloquée sur le budget État.

Au niveau de l’UFR elle-même, un dialogue s’établit entre le responsable et l’enseignant-chercheur. Celui-ci doit effectuer un minimum de 96 heures d’enseignement sur son service réglementaire, soit 192 heures équivalents TD. Ensuite, il peut choisir soit de compléter le reste de son service par des charges administratives, soit de faire son service complet en enseignement et d’être rémunéré pour son travail administratif en heures supplémentaires. « Le collègue opère un arbitrage en fonction de ses intérêts et de ceux de l’UFR entre le temps et l’argent », précise Bernard Laks.

Marie Bonnaud | Publié le