Mouvement antiréforme des retraites : les syndicats veulent refaire le coup du CPE

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Le mouvement anti-CPE (contrat première embauche) de 2006 : pour les syndicats d’étudiants et de lycéens, c’est LA référence historique en matière de mobilisation. Celle que leurs représentants citent à longueur d’interviews, avec l’espoir d’aboutir au même résultat concernant la réforme des retraites. À savoir le retrait d’une loi déjà votée. Mais les deux mouvements sont-ils vraiment comparables ?

Les points communs

La manipulation des jeunes

Pas de mouvement des jeunes sans suspicion de manipulation. La mobilisation contre la réforme des retraites ne déroge pas à la règle. À plusieurs reprises, les membres du gouvernement, l’Élysée ou la PEEP (Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public, proche de la droite) ont dénoncé « l’irresponsabilité » de ceux qui invitent les lycéens à descendre dans la rue. Sous-entendu : la gauche et l’extrême-gauche. Les jeunes, évidemment, s’en défendent. Et une réalité contrecarre cette hypothèse d’instrumentalisation. « Le mouvement a d’abord pris dans les petites villes. Cette décentralisation montre plutôt qu’il n’a pas été lancé par les appareils politiques », analyse Claude Lelièvre, historien de l’éducation. À cela s’ajoute l’improvisation de leurs actes.

En 2006, même laïus, plus direct. François Goulard, alors ministre délégué à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, estime « que l’UNEF [Union nationale des étudiants de France] renoue avec l’époque où ses intérêts étaient strictement politiques », cite Claude Lelièvre. Fin mars 2006, Gilles de Robien, ministre de l’Éducation nationale, fait même état de « quelques cas d’enseignants ayant mis dans le carnet scolaire des enfants un message leur demandant d’aller manifester, rappelle l’historien. Le SNES-FSU [syndicat d’enseignants du second degré majoritaire] rétorque que “les accusations du ministre ne correspondent à aucune réalité : les enseignants sont bien placés pour savoir que les lycéens ne se manipulent pas si facilement” », précise-t-il.

La contestation des chiffres

En 2006 comme en 2010, les organisateurs des manifestations et la police n’arrivent pas à s’entendre sur les chiffres. En général, cela va du simple (pour la police) au double, voire au triple (pour les organisateurs). Le 21 octobre 2010, quand le ministre de l’Éducation nationale fait état de 178 lycées perturbés, l’UNL (Union nationale lycéenne) en annonce 600.

Les dérapages

L’utilisation des dérapages, dans un « camp » comme dans l’autre, est classique. Elle permet parfois de faire basculer l’opinion. En 2006, le mouvement est globalement peu violent, même si les dégradations matérielles sont importantes. Le gouvernement pointe du doigt les organisateurs. « Le 15 mars, après des dégradations à la Sorbonne suite à une occupation momentanée, Gilles de Robien, ministre de l’Éducation nationale, avertit que “ceux qui ont appelé au mouvement seront tenus pour responsables en cas de nouveaux dérapages” », raconte Claude Lelièvre. Bruno Julliard, à l’époque président de l’UNEF, affirme que « l’objectif du gouvernement est qu’il y ait des débordements. Je sens une lame de fond. Ma seule inquiétude est d’éviter que les propos provocateurs du gouvernement ne fasse dégénérer les choses. »

En 2010, deux incidents marquants sont relayés dans la presse. En Haute-Savoie, deux jeunes filles sont brûlées lors d’une tentative de blocage au lycée de Bonneville. Puis un lycéen de Montreuil est blessé à l’œil par un tir de flash-ball de policier. Les syndicats dénoncent « la brutalité des forces de l’ordre » et signalent « une simultanéité de problèmes ». Dans un communiqué daté du 26 octobre, le SNESUP-FSU relate à propos de la manifestation qui avait eu lieu cinq jours plus tôt : « Lieu symbolique d’expression du mouvement social à Lyon, la place Bellecour s’est trouvée transformée en “prison à ciel ouvert”, en théâtre de mauvais traitements et d'arrestations brutales, arbitraires, antijeunes et ouvertement racistes. Jeunes et adultes venus manifester sans aucune violence ont été parqués et mis en garde à vue avec une prévalence pour ceux relevant d'origines ethniques visibles. »

De l’autre « côté », des images violentes de casseurs sont diffusées. Au total, 2.254 personnes ont été interpellées depuis le 12 octobre 2010. Luc Chatel, l’actuel ministre de l’Éducation nationale, s’attache à ne pas faire l’amalgame avec les manifestants. Pour sa part, Jean-Baptiste Prévost, président de l’UNEF, n’hésite pas à ressortir les bonnes vieilles recettes de son prédécesseur. « Je m'interroge : est-ce que les préfets n'ont pas eu pour consignes de faire monter la tension avec les jeunes de manière à montrer quelques images spectaculaires en fin de JT pour marquer des points dans l’opinion ? » déclare-t-il le 25 octobre sur Canal Plus.

Le rôle d’Internet

Au moment du mouvement anti-CPE, on vivait – impensable mais vrai – sans Facebook et sans Twitter. La première version de Twitter date de juillet 2006. FB a été ouvert au mois de septembre de la même année. Pourtant, Internet servait déjà de « propagateur ». Les manifestants utilisaient les skyblogs ou des sites militants d’édition libre. Les médias s’étaient notamment intéressés à Indymedia Paris , un portail toujours actif, qui permettait de donner des informations en temps réel.


Les différences


Le départ du mouvement

Le mouvement contre la réforme des retraites a débuté le 7 septembre 2010. À l’origine : les syndicats de salariés et notamment le SNES. Le syndicat d’enseignants du second degré (majoritaire) avait déjà fait grève la veille pour protester contre des « conditions de travail dégradées ». Les lycéens entrent en jeu un mois après, surtout dans les petites villes (Cherbourg, Rodez, Lisieux, Périgueux…). Le 7 octobre 2010, le ministère de l’Éducation nationale reconnaît « une trentaine de tentatives de blocage » d’établissements. De son côté, Victor Colombani, le nouveau président de l’UNL (Union nationale lycéenne), annonce « 50 lycées bloqués » dans la journée. Les étudiants, rentrés plus tard à la fac, embrayent alors en organisant des assemblées générales dans les universités. Objectif : élargir la mobilisation.

En 2006, la mobilisation anti-CPE commence dans les grandes villes, en février, avec les étudiants. Ils sont rejoints par les lycéens en mars, mais aussi par des présidents d’université. Le mouvement est ensuite soutenu par les syndicats de salariés et les partis politiques de gauche. En 2008, Bruno Julliard racontera comment Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, l’aurait contacté pour lui apporter son soutien .

L’origine de la mobilisation et le public concerné

Le CPE concernait directement les jeunes. La réforme des retraites semble un sujet plus éloigné de leurs préoccupations… Jusqu’ici le collectif « La retraite, une affaire de jeunes », créé en mai 2010 par une vingtaine d’organisations de gauche (UNL, UNEF, FIDL, Sud-Étudiant, Mouvement des jeunes socialistes…), n’avait eu qu’un faible impact. Mais « avec l’apparition des jeunes dans la rue, s’est également fait jour l’argumentation selon laquelle la réforme était aussi faite pour eux (voire d’abord pour eux ?) », affirme Claude Lelièvre. L’idée majeure : repousser l’âge de la retraite ne peut faire qu’empirer le chômage des jeunes, qui attendent aux portes de l’emploi. En 2006 comme en 2010, existe en filigrane un sentiment qui concerne tous les jeunes : la peur de la précarité.

L’ampleur du mouvement

Rien de comparable entre 2006 et 2010… pour le moment. La mobilisation anti-CPE avait réuni de 1 à 3 millions de personnes dans la rue au plus fort du mouvement, le 28 mars 2006. De son côté, la réforme des retraites a poussé quelques centaines de jeunes à défiler par ville. Ils étaient près d’un millier devant le Sénat le 26 octobre 2010. Si les nouveaux étudiants gardent en mémoire le mouvement réussi contre la réforme du lycée version Xavier Darcos fin 2008 (la réforme a été annulée), les plus anciens se souviennent de l’échec de la révolte contre la loi LRU (loi sur l’autonomie des universités). Pas facile de se remobiliser… D’autant plus que les universitaires se montrent moins concernés.

L’épilogue

En 2006, la mobilisation de la jeunesse reste vivace malgré les petites vacances. Un succès. « La “lame de fond” pressentie à la mi-mars par Bruno Julliard ayant eu lieu, et ne s’étant pas démentie même après le vote de la loi, le chef de l’État Jacques Chirac est amené le 31 mars 2006 à “promulguer la loi tout en ne la promulguant pas” », raconte Claude Lelièvre . Le 10 avril, Dominique de Villepin, alors Premier ministre, annonce que « les conditions ne sont pas réunies » pour que le CPE s'applique. Le mouvement s’achève.

En 2010, le scénario va-t-il se reproduire après le vote de la loi par le Parlement ? La mobilisation s’essouffle avec la Toussaint. Les lycéens sont en vacances. Seules 5 à 6 universités (sur 83) étaient perturbées ou bloquées le 28 octobre 2010. Mais les organisations étudiantes continuent d’appeler à manifester pour entretenir le feu jusqu’à la journée d’action du 6 novembre. La journée du retour de flamme ?

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