Muriel Pénicaud : "L'apprentissage dans le supérieur ne doit pas être une bulle à part"

Étienne Gless Publié le
Muriel Pénicaud : "L'apprentissage dans le supérieur ne doit pas être une bulle à part"
Le gouvernement devrait bientôt faire des annonces pour développer l'apprentissage. // ©  Hamilton / REA
Comment développer l'apprentissage et simplifier son financement ? La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, livre ses pistes à EducPros. Et plaide également pour le rétablissement d'un équilibre entre les formations en alternance avant et après le bac.

Le nombre de contrats d'apprentissage stagne dans les premiers niveaux de qualification. Que faire pour donner envie à davantage de jeunes et à leurs familles de s'orienter vers l'alternance ?

Beaucoup de jeunes et leurs familles ont une image de l'apprentissage soit floue, soit négative. Avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, et Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, nous souhaitons rendre accessible aux jeunes et aux familles une information éclairée au moment de l'orientation que ce soit en troisième, au niveau du bac ou après le bac. Comment ? En publiant pour telle filière (lycée professionnel, CFA, enseignement supérieur en alternance) le taux d'accès au diplôme, le taux d'insertion professionnelle, et, éventuellement, le montant du premier salaire. Et là, certains auront des surprises en s'apercevant qu'un soudeur ou un chaudronnier dans l'aéronautique gagnent très bien leur vie !

Nous voulons aussi créer des passerelles entre les voies scolaire et professionnelle. À 16 ans, on peut en avoir marre d'être assis toute la journée à l'école et préférer apprendre en faisant. On passe alors un CAP. Mais pourquoi ne pas retourner ensuite au lycée pour passer son bac, puis enchaîner sur un BTS ou un DUT en apprentissage ? Ce sont deux formes pédagogiques pour aboutir au même résultat, qui est quand même de réussir sa vie.

À l'avenir, pourra-t-on rentrer toute l'année en apprentissage ?

Oui. Il faut que cela soit possible de manière beaucoup plus continue, tout au long de l'année. Actuellement, le contrat d'apprentissage est assez rigide : vous le signez entre septembre et décembre et si l'employeur ou le jeune rompt le contrat, ou si le jeune n'a trouvé son entreprise qu'en janvier, il doit attendre la rentrée de septembre pour commencer sa formation. C’est un système trop contraignant, qui lui fait perdre une année et, de fait, son projet professionnel se dissout. C'est un des nombreux freins au développement de l'apprentissage qui explique que la France ne compte que 400.000 apprentis quand 1,3 million de jeunes ne sont ni à l'école ni en formation ni en emploi. Les pays qui n'ont pas un chômage de masse des jeunes ont un système d'apprentissage beaucoup plus développé.

Il est difficile pour un jeune de trouver une entreprise d'accueil, en particulier en classe de troisième. Comment comptez-vous faciliter la recherche d'une entreprise ?

C'est dommage de voir que, d'un côté, des jeunes qui ne connaissent pas un secteur peinent à trouver une entreprise, et que de l'autre, des entreprises ne trouvent pas de candidats. Il faut créer et renforcer les mises en relation. Avec les régions et les branches, construisons des plates-formes pour permettre la rencontre entre les jeunes et les entreprises. Inspirons-nous de ce que font les régions les plus avancées sur le sujet. C’est aussi un rôle que les missions locales peuvent pleinement jouer.

Prévoyez-vous de revoir la rémunération des apprentis ? Le rapport remis par Sylvie Brunet à l'issue des concertations propose de baser leur rémunération avant tout sur le niveau de diplôme préparé et non plus sur l'âge.

Nous sommes encore en train de travailler sur ce sujet, ainsi que sur les conditions d'hébergement et de transport. Trouver un logement temporaire pour quelques jours est difficile, même si certaines collectivités locales développent des initiatives intéressantes.

L'apprentissage dans l'enseignement supérieur ne doit pas cannibaliser l'ensemble des financements.

État, régions, chambres consulaires, branches professionnelles… L'apprentissage fait intervenir de nombreux acteurs. Quelles mesures envisagez-vous pour simplifier le système ?

C'est vrai que les tuyaux de financement de l'apprentissage sont complexes ! Aujourd'hui, des CFA (centres de formation d'apprentis) ont un contingent de places. Si des jeunes et entreprises supplémentaires sont prêts à signer un contrat, ils n'ont pas les moyens de financer et d’intégrer le jeune à la formation. Nous allons donc transformer et simplifier le système de financement de l'apprentissage, en permettant à tous les jeunes et toutes les entreprises prêtes à s’engager de signer leur contrat !

Les universités et les grandes écoles se sont inquiétées des conséquences de la réforme de l'apprentissage sur le nombre de place d'apprentis dans l'enseignement supérieur. Comment les rassurer ?

C'est une chance et un moyen de promotion sociale. Ceux qui ont à la fois le diplôme et l'expérience professionnelle sont meilleurs. En revanche, il y a deux choses à améliorer : l'apprentissage dans l'enseignement supérieur ne doit pas être une bulle à part mais un aboutissement pour certains. Sur le campus de l'EATP [École d'application aux métiers des travaux publics] à Egletons [Corrèze], il y a des jeunes en CAP, en bac pro, en BTS, à l'université, que ce soit en enseignement scolaire ou en apprentissage. L’une de nos idées est de développer ce type de campus. Sur le même lieu, un jeune en CAP peut se projeter, se voir aller jusqu'au BTS, et même jusqu’au métier d’ingénieur. Ensuite, l'apprentissage dans l'enseignement supérieur ne doit pas cannibaliser l'ensemble des financements. Dans certaines régions, il n'y a plus d'argent pour les CAP ou les bacs pro. Il est donc nécessaire de rétablir un équilibre permettant de faire de l’apprentissage une voie d’excellence pour tous les jeunes, quel que soit le diplôme préparé, du CAP au master.

Au final, avec cette réforme, pensez-vous qu'il soit possible, un jour, en France, que le président d'une grande banque soit un ancien apprenti, comme c'est le cas en Suisse ou en Allemagne ?

Demain, non, mais après-demain, oui ! Déjà 30 à 40 % d'anciens apprentis deviennent des entrepreneurs. Car l'apprentissage, c'est aussi une école d'entrepreneuriat. La moitié des lauréats des Olympiades des métiers créent leur société et créent des emplois. J'étais il y a quelques jours chez les Compagnons du devoir, et j'ai rencontré beaucoup de jeunes à bac + 2 qui deviennent apprentis pour apprendre un vrai métier et, plus tard, se mettre à leur compte. Apprendre un métier, cultiver l'entrepreneuriat, c'est aussi une des choses que permet l'apprentissage.

Étienne Gless | Publié le