Nouveaux métiers dans les écoles et universités : comment elles recrutent

Marie Bonnaud Publié le
Nouveaux métiers dans les écoles et universités : comment elles recrutent
Recherche Internet // © 
Multiplication des partenariats de recherche, sophistication des systèmes d’information, développement de marchés aux interfaces entre le monde privé et public, gestion des carrières de fonctionnaires et de contractuels dans le cadre d’établissements autonomes, etc. Les universités et les écoles doivent se doter de cadres dirigeants qui soient à la hauteur d’enjeux de plus en plus complexes pour rester compétitives. Quels sont ces nouveaux postes clés et comment les écoles et universités les recrutent ? Une enquête d'EducPros à l'occasion de sa conférence du 9 juin 2011 sur les ressources humaines.

Pour recruter son tout nouveau directeur de communication, l’INSA de Lyon a choisi de communiquer tous azimuts : « Il est désormais crucial de professionnaliser notre recrutement et de construire une vraie fiche de poste qui mette en avant les responsabilités afférentes à la fonction, insiste Claude Guédat, DRH de l’INSA de Lyon. Après la publication de l’annonce auprès de Intermédia, Cadremploi, l'APEC, Pôle emploi et le site de l'INSA, nous avons reçu 140 CV ! ».

Les recruteurs des établissements d’enseignement supérieur n’hésitent plus à afficher leurs prétentions : directeur des ressources humaines, directeur de la communication, directeur des systèmes d’information, directeur financier…

Ce sont désormais des postes clés pour lesquels il s’agit de recruter les meilleurs profils. « On assiste à un triple mouvement sur les métiers du supérieur : leur diversification due à la croissance et aux fortes mutations de nos institutions, que ce soit dans le domaine de l’innovation pédagogique, de la scolarité, de l’administration de la recherche, etc. ; leur spécialisation qui va de pair avec une plus grande technicité, et enfin leur professionnalisation avec le recours accru à des experts dotés de vraies compétences », explique Aurélien Krejbich, DRH de Sciences po.

Une accélération avec la LRU

Les établissements d’enseignement supérieur, qui ne peuvent plus se contenter de valoriser leur seule matière grise, développent de vraies stratégies en termes de RH. Le mouvement s’est accéléré lors du passage des établissements à l’autonomie . Les responsabilités et compétences élargies impliquent la pleine gestion des ressources humaines et de la masse salariale de tous les personnels (y compris celle des fonctionnaires d'État). Ce qui, de fait, se traduit par des besoins en recrutement pour des fonctions managériales et gestionnaires : « Une des conséquences de l’autonomie, c’est que les universités doivent s’occuper de dossiers extrêmement complexes, en termes de paye, de comptabilité, de RH, etc., explique Emmanuel Saint-James, président de Sauvons la recherche. Résultat, les présidents doivent recruter des personnels ultra compétents. Or, comme nous sommes dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, cela ce traduit par un repyramidage du personnel administratif. » Entendez : le recrutement de cadres A/A+ passe par l’externalisation de missions comme le nettoyage (et donc le non-renouvellement des contrats de catégorie C).

Universités et grandes écoles doivent développer leur « marque employeur »

Les enjeux de recrutement sont si stratégiques qu’ils sont souvent directement pilotés par le président de l’université (ou le directeur d’école), en lien avec des services RH étoffés. Objectif : être présent sur le marché des cadres de haut niveau et se faire connaître comme un employeur potentiel, savoir repérer et fidéliser les hauts potentiels.

« Il est difficile aujourd’hui de disposer d’une base internalisée de candidats qui soit à jour compte tenu de l’évolution rapide des situations, mentionne Aurélien Krejbich. Si nous menons une “politique de vivier”, nous investissons aussi les réseaux sociaux et sommes présents sur les plates-formes d’offres d’emploi classiques, comme n’importe quelle organisation. »

Reste que les établissements supérieurs ne sont pas des organisations comme les autres : « Aujourd’hui, nous avons de plus en plus de demandes émanant d’établissements qui veulent donner un sens à leur marque employeur. Ils sont reconnus pour la qualité de leur formation, mais les experts dans le domaine des RH, des finances ou des systèmes d’information, par exemple, ne savent pas toujours qu’il est également possible d’y faire de vraies carrières », explique Thomas Rousseau, directeur de la division Public & Parapublic de Michael Page, qui développe une activité éducation depuis le début de l'année 2011.

Des agences d’intérim spécialisées dans le recrutement de cadres comme Adecco Experts s’y mettent aussi. Il s’agit d’attirer des profils ayant eu une expérience dans le privé, voire dans d’autres fonctions publiques (territoriale, hospitalière ou d’autres ministères). Les salaires étant en moyenne et en fonction des secteurs de 10 à 25 % inférieurs à ceux du marché, il importe de convaincre les candidats en déployant d’autres types d’arguments : « Pour beaucoup de postulants, ce n’est pas forcément la rémunération qui compte, mais le projet. Il s’agit d’intégrer une organisation qui ait du sens, assure Thomas Rousseau, de Michael Page. Sans compter que, dans le domaine de l’informatique, où le différentiel de salaire entre privé et établissements d’enseignement supérieur est le plus élevé, il est possible d’acquérir une vraie expérience professionnelle car il est souvent question de création de poste, où tout reste à faire. »

Le choc des cultures ?

Les tensions sont finalement surtout perceptibles en interne : « Nous assistons parfois à un choc des cultures entre la communauté éducative et le personnel administratif, surtout au vu des rémunérations proposées aux cadres dirigeants, reconnaît François Germinet, vice-président recherche de l’université de Cergy-Pontoise. Mais le travail d’encadrement supérieur dans une université nécessite d’être rémunéré autant que dans une grande entreprise. Tout ce personnel venu d’un autre univers permet d’oxygéner le vivier traditionnel du monde universitaire. » À l’inverse des concours de la fonction publique, cette souplesse dans le recrutement se traduit souvent par une rémunération variable calculée en partie sur des objectifs, à l’image de ce qui a déjà cours dans d’autres fonctions publiques.

À côté de ce recrutement de profils venus du privé, pour beaucoup d’établissements, une bonne gestion de la masse salariale se traduit d’abord par une bonne gestion des carrières en interne : « Nous encourageons la mobilité interne pour casser cette logique de la carrière administrative effectuée toute la vie au même poste, indique Jean-Charles Pomerol, président de l’UPMC . Nous avons lancé un plan de mobilité à grande échelle au sein de l’université, avec notamment l’instauration d’une bourse de l’emploi. Le problème, c’est que les gens acquièrent de la technicité, mais sans accéder au salaire, d’où notre idée d'octroyer des primes de responsabilité. Car il y a aujourd’hui dans notre établissement, comme ailleurs, de nombreux fonctionnaires de catégorie C qui exercent des responsabilités de rang B, voire de cadres. »

Idex, Labex : les enjeux managériaux de la recherche

Autre point de plus en plus stratégique pour les universités et les écoles : le management de la recherche. Le développement des projets partenariaux a suscité de nouveaux besoins : « L’ouverture à des partenariats renforcés a créé des opportunités tout en insécurisant nos processus. Par exemple, dans le cadre du PRES , nous avons délégué des compétences sur la recherche et les publications, ce qui pose la question de la propriété intellectuelle. Nous sommes en “co-opétition”, à la fois en coopération et en compétition entre établissements du PRES », relate Alain Storck, directeur de l’INSA de Lyon jusqu’à la fin juin 2011. Résultat, l’école a étoffé sa direction juridique et sa cellule valorisation.

« Dans un avenir proche, l’université devra se préoccuper de tout ce qui touche au management de la recherche. À travers les Labex et les Idex , il se développe des projets multiformes avec de gros budgets qu’il va falloir encadrer », complète François Germinet, vice-président recherche de Cergy-Pontoise. Ces nouveaux encadrants au profil de « super-prof » se trouvent confrontés à une double exigence : être chercheurs ET managers. Bien souvent, ils apprennent à être des meneurs d’hommes sur le terrain, même si des modules de formation spécifique commencent à voir le jour.

« Aujourd’hui, nous demandons de plus en plus à des profs d’être des leaders, des directeurs de programme, des directeurs académiques ou de recherche. Ils doivent assurer des fonctions administratives, de management, de leadership », considère Svetlana Serdukov, directrice de la recherche à RMS. À tel point qu’à l’UTT, par exemple, le directeur de département est rebaptisé « directeur de pôle de compétences ». « Il gère ses équipes, mais aussi le salaire des contractuels, notamment. Pour l’enseignant, c’est un projet de carrière. Il doit choisir entre se lancer davantage dans la recherche ou alors dans le management », affirme Christian Lerminiaux, directeur de l’UTT. Les enjeux sont tels que certains rêvent déjà que, sur le modèle de ce qui se pratique en Grande-Bretagne par exemple, des cabinets de recrutement privés interviennent dans le recrutement des profs. Heureusement, la France n’en est pas encore (tout à fait) là.


Nouveaux métiers, nouvelles fonctions

Les métiers du mécénat. Toutes les universités créent des fondations et recrutent tous azimuts pour les faire fonctionner. Mais le marché est très tendu, les compétences étant à rechercher directement dans le vivier du privé. À l’image de l'université de Cergy-Pontoise qui a lancé officiellement, en mars 2010, sa fondation partenariale et recruté deux personnes issues du mécénat culturel : Christel Bériot (qui avait notamment travaillé au Centre Pompidou) au poste de secrétaire générale et Estelle Limoge (25 ans, diplômée de Sciences po Lyon) en tant que chargée de mécénat.

Ces nouveaux métiers reposent sur des missions variées comme faire de la prospection pour cibler les bonnes entreprises, assurer une veille journalistique, établir des stratégies d’approche, nouer des relations privilégiées avec les partenaires.

Poste de responsable de cellule Europe. Composé de spécialistes en ingénierie de projets européens, la cellule d’Angers a été créée et pilotée par Françoise Grolleau (41 ans), professeur en biologie : « J’avais une forte sensibilité pour ce type de programme et le fait que je sois professeur m’a aidée car j’ai identifié plus vite les besoins et les difficultés des chercheurs. » De son propre aveu, elle a appris à manager les équipes « sur le terrain ».

Aujourd’hui, elle assume à plein temps la responsabilité (étant complètement déchargée d’enseignement) et la coordination des trois cellules Europe (universités de Nantes, d’Angers, du Maine), au sein de l'UNAM , le PRES ligérien. Elle participe au pilotage stratégique du PRES, tout à la fois en encourageant la spécialisation de certains sites sur des thématiques porteuses et en intervenant auprès de la Commission européenne pour infléchir les appels d’offres dans les domaines d’excellence des laboratoires du PRES.

Marie Bonnaud | Publié le