Ouverture sociale des universités américaines : quel modèle pour la France ?

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Le dispositif d’ouverture sociale des universités américaines est-il transposable à la France ? Une étude récente de la French-American Foundation apporte  sa contribution au débat. L’exemple des « Percentage plans » au Texas et en Californie offre des pistes intéressantes mais qui nécessitent d’être adaptées à la situation hexagonale. Educpros propose ce rapport en exclusivité dans sa version pdf.


Le Texas a voté en 1997 la « Texas house bill 588 », dite « HB 588 ». Cette loi repose sur une logique de pourcentage : les élèves représentant les premiers 10 % de chaque lycée sont admis d’office dans l’université publique de leur choix, y compris dans les plus prestigieuses. Dix ans après, le bilan est positif en termes d’accès des minorités ethniques : la proportion de Noirs (African American) en première année à l’université du Texas est passée de 3 % à 6 %, celle des Hispaniques de 13 % à 20 % et celle des Asiatiques de 16 % à 20 %.

« Cette augmentation a surtout bénéficié aux lycées des zones rurales ou en difficulté économique », précise Gary Lavergne, directeur des admissions à l’université du Texas, à Austin (UT Austin). Mais ce dernier constate que déclarer un étudiant éligible d’office ne suffit pas à améliorer la diversité sans une politique forte d’incitation et d’accompagnement « à la source ». « En identifiant les écoles qui ne nous envoyaient pas d’étudiants, nous nous sommes aperçus qu’elles avaient un fort pourcentage d’élèves issus des minorités ethniques », poursuit Gary Lavergne. C’est ainsi que l’UT Austin a mis en place un partenariat à l’intention des 70 lycées les plus défavorisés de l’État, comprenant des soutiens financiers et pédagogiques.

Au Texas : un plan victime de son succès


Le dispositif a peut-être aussi atteint ses limites, car aujourd’hui l’établissement se retrouve débordé par le succès du percentage plan. « Actuellement, 81 % des nouveaux étudiants sont issus du quota des 10 % », détaille Gary Lavergne. «Avec l’application de la loi, nous nous retrouvons à refuser de très bons étudiants qui nous intéressent, mais qui ne se retrouvent pas dans le top 10. » Traditionnellement acceptés jusque-là selon la procédure classique, les enfants des classes moyennes sont les premières victimes de ce système (la part des Blancs en première année étant passée de 67 % à 51 % durant la dernière décennie). Si une révision semble aujourd’hui nécessaire, pour diminuer le pourcentage de 10 %, celle-ci se heurte à l’opposition des élus démocrates des minorités ethniques concernées, ainsi que de certains républicains blancs dont les circonscriptions rurales ont bénéficié du dispositif.

En Californie : un double quota

Plus complexe que le système texan, le plan californien se compose d’un double dispositif de quotas. Le premier système, Eligibility in the Statewide Context (ESC), date des années 1960. Il prévoit l’admission automatique dans un établissement d’enseignement supérieur public de l’État pour 12,5 % des meilleurs diplômés du secondaire, à l’échelle de l’État. Le second système, Eligibility in the Local Context (ELC), date de 2001. Il garantit l’accès à l’université de Californie aux 4 % des meilleurs élèves de chaque établissement.
« L’effet d’attraction est incontestable », selon Saul Geiser, chercheur à l’université de Californie. Mais les effets restent contrastés. Car si suite au programme ELC la proportion de Noirs et d’Hispaniques a progressé de 21 % en 2002 à 25 % en 2006, le dispositif n’a pas empêché une redistribution de ces groupes vers les établissements les moins sélectifs.
L’étude de la French-American Foundation montre combien les campagnes d’accompagnement, dites politiques d’outreach, aux percentage plans (information, bourses, soutien pédagogique…) sont importantes dans l’efficacité de ces mesures. La baisse des crédits dévolus à l’outreach, résultat des coupes imposées à l’université de Californie par les autorités de l’État, a probablement eu un impact sur les résultats mitigés du dispositif californien.

Une source d'inspiration pour les établissements français

Que tirer comme leçons de ces « percentage plans » et pourraient-ils être transposés dans le contexte français ou inspirer les politiques d'ouverture sociale en vogue dans nos établissements d'enseignement supérieur. La French-American Foundation, qui a organisé un voyage dʼétudes au Texas et en Californie sur le thème de lʼouverture sociale des universités pour une dizaine de professionnels du supérieur (chercheur, proviseur, journaliste…) a peut-être contribué à leur éclaircir les idées sur le sujet. Plusieurs d’entre eux ont souligné la nécessité de prendre en compte les spécificités françaises, par exemple en matière d’organisation du système éducatif (pluralité d’institutions) ou de ségrégation scolaire, qui comme le rappelle la sociologue Agnès Van Zanten, « ne sont pas identiques».

Quota national et accompagnement des étudiants

«Ce voyage d’étude nous a permis de mesurer que le chantier était plus large que prévu », a résumé l’un des participants français. «Je suis parti en pensant quʼil fallait instaurer un même système de pourcentage élevé et je suis revenu avec lʼidée de fixer un pourcentage plus bas, autour de 5 %, afin dʼen évaluer au préalable les impacts », témoigne Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS. Une référence aux effets pervers des 10 % texans qui risquent dʼéliminer certains très bons éléments. Il insiste sur l’intérêt du « percentage plan » comme règle nationale et donc applicable à tous : « On s’oriente de plus en plus vers une sorte de droit opposable avec des règles précises ».

Tous les participants ont également souligné l’importance des mesures d’accompagnement (« l’outreaching ») pour garantir le succès du dispositif. Chantal Dardelet, responsable du groupe ouverture sociale à la CGE, insiste ainsi sur l’implication des universités américaines auprès des lycées. « Cet accompagnement dans la durée permet d’agir sur les causes de non-inscription de certains publics à l’université comme le défaut d’informations ou l’autocensure des familles". Ses collègues de voyage ont par ailleurs déploré le manque dʼinformations statistiques en France sur les effets des politiques dʼouverture sociale, et surtout lʼimpossibilité de faire des enquêtes sur la base de données ethniques. Une donnée qui permettrait par exemple de mesurer les écarts de performances scolaires en fonction de l’origine ethnique.

Une marche à suivre

Le rapport de la French–American Foundation regroupe la réflexion pour le cas français en quatre étapes : les mesures préalables à la réforme, la définition du cadre (élargir le périmètre à l’ensemble des filières sélectives, poser la question du choix du critère pertinent pour identifier les meilleurs : bac ou dossier scolaire ?), la mise en œuvre et enfin l’accompagnement (rationaliser l’aide financière, développer le logement étudiant...). Educpros propose ce rapport en exclusivité dans sa version pdf (à lire ci-dessous).

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