Patrick Baranger (ancien président de la CDIUFM) : "Avec la loi Grosperrin, la formation professionnelle des enseignants pourrait être confiée à des officines privées"

Propos recueillis par Isabelle Maradan Publié le
La proposition de loi du député UMP Grosperrin sera mise au vote à l’Assemblée nationale le 14 février 2012, après avoir été débattue le 8 février. Elle prévoit une modification du Code de l’éducation sur certaines dispositions relatives à la formation des maîtres. Pour Patrick Baranger, cette loi a peu de chances d'être adoptée par le Sénat. L’ancien président de la CDIUFM (Conférence des directeurs d’IUFM), qui a démissionné de ses fonctions de directeur de l’IUFM de Lorraine en septembre 2010 pour marquer son opposition à la masterisation, estime qu’elle serait dangereuse.

Déposé le 10 janvier 2012, le texte proposé par Jacques Grosperrin, député UMP, suscite l’opposition d’une grande partie du monde éducatif, qui y voit "une liquidation des IUFM". Plusieurs organisations ont interpellé les parlementaires afin qu’ils ne la votent pas. Qu’en pensez-vous ?

Cette loi n’est pas encore votée par l’Assemblée nationale et doit également être présentée au Sénat. Précisons que nous parlons d’une loi qui ne sera probablement pas votée au Sénat, où la majorité est à gauche.

La proposition de loi prévoit de remplacer l’expression "la formation des maîtres est assurée par les IUFM" par "elle est assurée, notamment, par les universités". Le "notamment" a fait réagir de nombreuses organisations. Y voyez-vous également une ouverture de la formation des enseignants aux organismes privés ?

Si l’on parvenait à appliquer cette loi, elle serait dangereuse. C’est de la déréglementation. Jusqu'à présent, la formation était cadrée très précisément. Là, elle serait «notamment» du ressort des universités, ce qui fait sauter des verrous réglementaires. Cela pourrait conduire – c’est à mon avis inquiétant – à ce que la formation professionnelle soit confiée à des officines privées. Les universités délivreraient les masters et, ensuite, les officines privées entreraient en action.

En France existe la liberté d’enseignement. Mais certaines dispositions réglementaires peuvent soit freiner, soit favoriser ces officines, et l’esprit de cette loi est de les favoriser. Lorsque la formation est critiquée ou a quasiment disparu du paysage, les organismes privés peuvent s’installer facilement. Ils se positionnent en concurrence avec le public. Or, les critiques très parisianistes adressées aux IUFM étaient sans fondement dans d’autres régions de France, où cela ne fonctionnait pas de la même manière.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, que cette loi ait été déposée juste avant la fin de la législature ?

La suppression des IUFM a toujours figuré dans les programmes de l’UMP et du Front national. Un certain nombre de gens veulent la peau des IUFM, et la voulaient déjà avant même qu’ils soient mis sur pied ! Il me semble que cette proposition de loi est destinée à remobiliser les troupes à droite. Parce que la masterisation avait pour but de faire disparaître les IUFM subrepticement et de manière contournée et que cela n’a pas fonctionné. Certains veulent des gages.

Le 1er février 2012, à l’Assemblée nationale, Jacques Grosperrin a affirmé que cette proposition de loi n’avait qu’un but : s’adapter à la réforme dite de la masterisation qui a transféré la formation des enseignants à l’université. Vous semblez dire, au contraire, que la masterisation n’a pas réussi à faire disparaître les IUFM…

Stricto sensu, aucun IUFM n’a disparu. Les structures existent, continuent à travailler. Avec la masterisation, Xavier Darcos souhaitait, non pas liquider directement les IUFM, mais les intégrer aux universités pour les liquider. L’idée était que les composantes anciennes établies, fortes, de l’université, allaient dépouiller les IUFM et assurer la formation à leur place. Ce qui entraînerait leur mort de facto.

Cela a marché pour quatre ou cinq académies seulement, là où il n’y avait pas de formation sérieuse. Pour les autres, on a reconnu la professionnalité des IUFM et le fait que les critiques qui étaient portées n’ont pas mis en cause la qualité de la formation dans sa totalité. Et, au lieu de les rayer de la carte, les IUFM sont devenus une composante ordinaire de l’université, qui, elle, a toutes les prérogatives nécessaires pour délivrer des diplômes. Il y a une quinzaine de régions où cela fonctionne ainsi.

N’y avait-il pas de problèmes dans les IUFM ?

Cela faisait des années que nous disions qu’il fallait les réformer et améliorer les choses. Mais c’est précisément au moment où l’on arrivait à corriger les erreurs de jeunesse des IUFM – notamment les positions dogmatiques du type «on sait ce qui est bon pour vous» – que la masterisation a été lancée pour les supprimer.

Aujourd’hui, si certains instituts sont en grandes difficultés, cela tient à la pénurie de candidats à la formation d’enseignant, laquelle est liée à la masterisation. Il faut désormais une année d’études supplémentaire, non payée, pour exercer le métier d'enseignant dans un contexte de suppression de postes et de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Quant à la revalorisation du salaire des enseignants débutants, il faut rappeler qu’avant, vous aviez une année d’études en moins et que vous étiez payé à l’échelon 1, puis 2 pendant l’année de formation qui suivait le concours. Vous débutiez donc à l’échelon 3 l’année d’entrée dans le métier. Aujourd’hui, les enseignants arrivent dans le métier à l’échelon 1, avec un salaire identique à celui des anciens débutants à l’échelon 3.

La formation par alternance, telle qu’elle est envisagée, vous semble-t-elle être une bonne voie ?

Aucun enseignant n’est encore sorti d’une formation en alternance, mais, dans certaines académies, les recteurs et les présidents d’université se mettent actuellement d’accord pour la mettre en place à la rentrée prochaine. Aujourd’hui, tout fonctionne moins bien parce que la dimension de formation professionnelle s’est affaiblie. Et les enseignants sont plongés dans la piscine sans avoir reçu de leçon de natation. L’alternance, que l’on souhaitait déjà en IUFM, donne l’espoir de parvenir à des modèles de formation plus performants.

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