Philippe Bordeyne, recteur de la Catho de Paris : portrait d’un manager engagé

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Philippe Bordeyne, recteur de la Catho de Paris : portrait d’un manager engagé
Philippe Bordeyne // © 
Il aurait pu, après son diplôme d’HEC, partir au États-Unis pour commercialiser l’ancêtre de la Renault 5. Il a choisi de devenir prêtre et d’enseigner. Ancien doyen de la faculté de théologie et de sciences religieuses, Philippe Bordeyne, 52 ans, est, depuis septembre 2011, recteur de l’université catholique de Paris. Sa devise, il la doit à saint Paul : «Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?» Il n’a pas oublié celle d’HEC : «Apprendre à oser». Portrait du dirigeant de l’ICP (Institut catholique de Paris), un manager porté par ses convictions, à la tête d’un établissement de 15.000 étudiants.

Dans son vaste bureau, à l’ICP (Institut catholique de Paris), deux toiles attirent le regard. L’une, dans les tons rouge vif, représente l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert, peinte par l’artiste contemporaine Armelle Bastide d'Izard. Philippe Bordeyne, recteur de la Catho de Paris depuis le 1er septembre 2011, l’a achetée peu de temps après avoir appris sa nomination. L’autre tableau est une représentation du Christ sur la Croix. «Il m’a été légué par un paroissien, après sa mort. À 90 ans, il avait entrepris de lire ma thèse de doctorat : “L’homme et son angoisse de la justice”, qui traite de l'angoisse de la justice comme déclencheur de l'engagement éthique.» Cette alliance du modernisme et du classicisme illustre le parcours de Philippe Bordeyne : diplômé d’HEC (en 1981) et prêtre (depuis 1988). Un CV peu banal pour un recteur .


«Dans l’échec, on peut apprendre à rebondir»

À commencer par HEC qu’il a intégré dans l’idée de faire l’ENA. Un projet auquel il renoncera, une fois diplômé, après deux années de coopération comme enseignant au Cameroun. De retour en France, il entame des études de théologie et de philosophie pour devenir prêtre. Sans oublier ce qu’il doit à son école de commerce. Notamment le goût pour les voyages et sa première confrontation avec l’échec. Sélectionné avec trois autres étudiants pour faire partie d’un programme international de management, il est parti pendant quelques mois étudier à la London Business School, puis à l’université de New York. «À 20 ans, je n’ai jamais autant travaillé de ma vie. Pour relever un tel défi, il le fallait. À Londres, j’ai connu, pour la première fois, de mauvaises notes. Ce fut une grande leçon : dans l’échec, on peut apprendre à rebondir.»

L’autre héritage d’HEC, encore utile dans ses fonctions de recteur, ce sont les enseignements sur la conduite de projets et le management d’équipe : «Les facultés restent autonomes, mais je sais insuffler une ligne dans laquelle les gens se reconnaissent.» Pour mieux faire passer le message, il a su s’entourer de collaborateurs aux parcours éclectiques : un directeur, ancien assistant parlementaire qui a fait des études de droit, une directrice de la communication qui a travaillé pour de grandes institutions financières, ou encore un directeur de la recherche, grand spécialiste de la Bible, faisant partie de la Commission biblique pontificale, à Rome.

«La théologie peut offrir un éclairage aux autres disciplines»

Toutes ses compétences de manager, Philippe Bordeyne les associe à sa vision de l’Église dans l’enseignement. «La théologie peut offrir un éclairage aux autres disciplines, pour donner un surcroît de sens à des jeunes qui se construisent et sont en quête de repères. Nous vivons dans une période de grande diversité, poursuit-il, et je suis frappé par la difficulté des entreprises à comprendre les jeunes diplômés. Au sein de notre master en ressources humaines, nous donnons une formation interdisciplinaire pour mieux gérer l’humain. La diversité culturelle et religieuse est une problématique des entreprises.» Les jeunes : ce sont eux le fil conducteur du parcours de Philippe Bordeyne, qui fut, pendant plus de dix ans, aumônier au lycée Lakanal et directeur de centre de vacances. Tous les week-ends, il était sur le terrain, avec des adolescents. «J’avais très peu de temps pour les soirées ou les repas entre amis.»

«Je viens d’un milieu qui sait ce qu’il doit à l’Église et ce qu’il doit à l’État»

Au fil des ans, la vie sociale s’est resserrée autour des proches : une sœur aînée, un frère cadet et de nombreux neveux et nièces. Et lui, seul prêtre de la famille. Une décision pas facile à faire comprendre à ses parents. Dans ses plus jeunes années, rien ne le prédestinait à une carrière ecclésiastique. Il a découvert la Bible et «une Église ouverte et engagée» au lycée expérimental de Sèvres, mais, à l’époque, aucune vocation ne se dessinait encore. «Je viens d’un milieu qui sait ce qu’il doit à l’Église et ce qu’il doit aussi à l’État. Ma mère était médecin du travail et l’engagement social était très important pour elle. Mon père était DRH dans une banque. En allant jusqu’au bout de mes études à HEC, j’ai fait confiance à mes parents. Ma décision d’être prêtre n’a pas été facile à admettre pour eux. La vocation religieuse est toujours une surprise pour celui qui entend l’appel et pour son entourage. Mon père, comme tous les pères, formait des projets pour ses enfants. Par la suite, je crois qu'il a été très fier de venir à la Sorbonne assister à ma soutenance de thèse en théologie et anthropologie religieuse.»

«Je suis un homme d’action»

Avec le recul, Philippe Bordeyne souligne la cohérence de son parcours : «Agir, c’est prendre la mesure de ce qu’on a reçu et le redéployer autrement», explique-t-il, accompagnant ses propos d’un regard droit et amical, derrière ses lunettes. Une vision modeste de son rôle à la tête de l’ICP. Une de ses collaboratrices confirme que le recteur n’a pas une once de l’orgueil de certains universitaires. En acceptant un poste de recteur, un an avant la fin de son mandat de doyen, il a fait une croix sur des années sabbatiques consacrées la recherche. «Je donne encore quelques conférences, le week-end, dans mon champ de spécialité : l’éthique de la famille.» Sa nouvelle charge remplit entièrement son agenda. «Homme d’action» comme il se définit, il préfère dormir dans une petite chambre attenante à son bureau. Et occuper le week-end uniquement son appartement de fonction qui sert essentiellement pour les réceptions.

«Je suis devenu prêtre parce que je voulais consacrer ma vie à la prédication»

Philippe Bordeyne n’a qu’un seul regret aujourd’hui : ne pas avoir appris l’espagnol pendant ses études à HEC. D’autant qu’il voyage encore beaucoup, en tant que membre notamment du conseil d’administration de la FIUC (Fédération internationale des universités catholiques) .

Multiculturel dans l’âme, il est très attaché à l’accueil des enseignants et des étudiants étrangers dans son université (ces derniers sont 4.500 à la Catho). Il en fait une des priorités de son mandat. Ses valises, c’est dans les Cévennes qu’il les pose, dans la maison familiale. Il en profite pour skier l’hiver et faire du vélo l’été. Un mode de déplacement qu’il a aussi adopté à Paris, avec le Vélib. Il pratique aussi régulièrement le jogging : «Les huissiers de l’université sont toujours amusés de me croiser en tenue de joggeur : je suis, selon eux, le premier recteur en short.» Un mode de vie assez semblable à celui d’un dirigeant d’une PME dynamique. Mais, pour rien au monde, Philippe Bordeyne ne manquerait la célébration de la messe, tous les matins (sauf le mardi), à 8 heures. «Cette interruption d’une demi-heure dans la journée permet de prendre du recul et d’être à l’écoute d’une parole. Je suis devenu prêtre parce que je voulais consacrer ma vie à la rumination de la Bible et à la prédication », rappelle-t-il.



Institut catholique de Paris

• Statut : association de loi de 1901.
• Établissements : 6 facultés regroupant 15.000 étudiants et 11 écoles associées rassemblant 8.500 élèves.
• Personnel : 750 enseignants et enseignants-chercheurs.

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