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Pierre Mathiot : "Je suis partagé sur la place du contrôle continu au bac"

Erwin Canard Publié le
Pierre Mathiot : "Je suis partagé sur la place du contrôle continu au bac"
Pierre Mathiot a été missionné par Jean-Michel Blanquer pour conduire la mission sur la réforme du lycée et du bac. // ©  Franck CRUSIAUX/REA
Après environ trois mois d'auditions, Pierre Mathiot a rendu son rapport sur la réforme du lycée et du baccalauréat au ministre Jean-Michel Blanquer, mercredi 24 janvier 2018. Ses propositions, ses explications, ses attentes : l'universitaire répond à EducPros.

Vous venez de rendre votre rapport à Jean-Michel Blanquer. Comment s’est déroulée la rédaction de celui-ci ?

C’est un rapport assez long, d’une soixantaine de pages. Étant donné qu’il sera lu par des spécialistes, il était important de soigner les détails, mais il fallait aussi qu’il soit compréhensible par tous. Le rapport liste de nombreuses propositions. Dans certains cas, j’ai indiqué des alternatives. Pour d'autres, j’ai formulé des préconisations sans alternative ; sur d’autres encore, j’ai proposé plusieurs scénarios en précisant celui ayant ma préférence ; et enfin, j’en ai laissé quelques-unes à arbitrer au politique.

Que souhaitez-vous faire évoluer ?

Je propose d’abord de passer d’une situation où les résultats du baccalauréat ne comptent pas pour l’enseignement supérieur à une situation où environ 75 % des résultats seraient intégrés dans Parcoursup. Cela suppose bien sûr des évolutions et des innovations organisationnelles. Dans le même temps, je rappelle que le bac est fondamentalement un diplôme de fin d’études secondaires, il doit valider l’acquisition d’une culture commune et doit retrouver une valeur certificative.

Quelle organisation du baccalauréat suggérez-vous ?

Je propose de le partager en deux parties d’importance différente. Il y aurait d’abord des épreuves terminales qui compteraient pour 60 % de l’obtention du diplôme. Celles-ci comprendraient les épreuves anticipées de français (écrite et orale) et quatre autres épreuves. Sur les 40 % restants, il y a une hésitation et une réelle difficulté à trancher, notamment sur le contrôle continu et l’équité de la correction.

Je propose alors trois scénarios différents. Le premier consiste en des épreuves ponctuelles, sortes de bacs blancs officialisés, en première et en terminale, sur la base d’une banque nationale de sujets et de l’anonymisation des copies. Le problème, ici, c'est que leur tenue ne doit pas perturber l’organisation du lycée, sans quoi nous perdrions à ces moments-là ce que nous gagnerions en fin de terminale.

Il serait intéressant de prévoir une forme de reconnaissance du travail en classe des élèves tout au long du lycée.

Le deuxième se répartirait ainsi : 30 % d’épreuves ponctuelles et 10 % basés sur les bulletins de notes de première et de terminale. Le dernier fait en sorte que les 40 % restants prennent uniquement en compte les bulletins de notes. Cela aurait de grands avantages en termes d’assouplissement de l’organisation du lycée où l’on pourrait penser, par exemple, que l’on utiliserait alors le temps regagné en accompagnant les élèves dans leur orientation. En revanche, le point de tension serait celui de l’anonymat des copies.

Quel scénario préférez-vous ?

À ce stade de ma réflexion, le deuxième. Il serait en effet intéressant de prévoir une forme de reconnaissance du travail en classe des élèves tout au long du lycée. En outre, ce schéma repose sur l’idée que les élèves peuvent faire confiance à leurs professeurs sur leur notation. Par ailleurs, il serait possible d’organiser des conseils de classe en toute fin d’année de terminale, ce qui serait un moyen de maintenir l’assiduité des élèves jusqu’à la fin du cursus.

Justement, il y a là un débat majeur : comment une prise en compte accrue du contrôle continu pourrait-elle ne pas ajouter une inégalité supplémentaire à celles déjà existantes ?

J’avoue être très partagé sur cette question. Au cours des auditions, nous avons souvent entendu que l’anonymat actuel était une fiction puisque le fait de venir de tel ou tel lycée était connu des établissements postbac. Actuellement, 45% environ des élèves sont admis dans l’enseignement supérieur à partir des bulletins et des appréciations de leurs professeurs sans aucun anonymat. Mais j’entends évidemment les craintes concernant le contrôle continu. Il représente d’ailleurs la principale hésitation du rapport. C’est pour cela que ma préférence va à ce deuxième scénario qui permettrait de juger à la fois sur des épreuves ponctuelles et sur une dose de contrôle continu.

Au sujet des épreuves terminales : s’agit-il bien de deux majeures, d’une épreuve de philosophie et d’un grand oral ?

Je propose en effet deux épreuves d’approfondissement de la majeure, au retour des vacances de printemps, afin qu’elles puissent être prises en compte dans Parcoursup, et deux autres à la fin du mois de juin. L’oral serait une épreuve de trente minutes, passée devant un jury de trois personnes dont une qui n’enseignerait pas au lycée. Le candidat présenterait seul un travail préparé en amont, adossé à une ou plusieurs disciplines, et ce, éventuellement depuis la première. J’étais au départ favorable à une préparation collective, multidisciplinaire, mais passée individuellement. C’est la solution que je recommande dans le rapport, mais rien n’empêche qu’il soit réalisé de manière individuelle et monodisciplinaire.

La question de l’oral fait également ressurgir la problématique de l’inégalité des élèves à cette épreuve. Comment comptez-vous y remédier ?

L’oralité est une compétence extrêmement importante qu'il faut valoriser au lycée et je trouvais intéressant d’en faire un exercice ritualisé car le bac doit aussi être une sorte de rite de passage. À la condition, en effet, qu’il soit préparé, et pas uniquement sur le fond, mais également sur la forme, ce que devrait permettre le fait qu’il soit adossé à une ou plusieurs disciplines. Aujourd’hui, les candidats au bac technologique passent une épreuve de ce type sans que personne ne s’en émeuve.

En outre, rien ne dit que l’épreuve écrite de philosophie soit plus égalitaire qu’un oral. Une question sur l’art dans une dissertation peut être très inégalitaire… Et, pour continuer en ce sens, si les oraux sont inégalitaires, il faut alors les interdire dans l’enseignement supérieur, voire lors des entretiens d’embauche ! Je crois, au contraire, qu’il est important qu’une épreuve du bac permette aux jeunes d’apprendre ce type d’exercice et que cette préparation bien sûr débutée très en amont peut, justement, dépasser les questions liées aux origines.

Mon entrée dans le sujet n'a pas été budgétaire

Comment les épreuves terminales, en termes de valeur à l’examen, se répartiraient-elles ?

Je propose que le français et la philosophie comptent chacun pour 10 %, le grand oral pour 15 % et les deux disciplines de la majeure pour 25 %. Je propose, pour ces dernières, que ce soit l’élève qui choisisse laquelle des deux vaudrait 15 % et laquelle compterait pour 10 %. Les 25 % des deux disciplines de la majeure, ajoutés aux 15 % de l’oral qui porterait sur au moins une de ces deux disciplines, feraient que la majeure compterait au total pour 40 % de l’obtention du diplôme. Nous pensons que cela peut permettre de rééquilibrer les disciplines.

En effet, actuellement, un élève pas forcément très bon en sciences peut tout de même se diriger vers la filière S car il sait que les coefficients littéraires peuvent le sauver. Or, avec le système que je préconise, il faudra que l’élève soit réellement scientifique pour opter pour ces disciplines, au regard du poids important qu’elles auront pour le bac. L'objectif ici est de former de "vrais" scientifiques, de "vrais" littéraires qui pourront choisir de bénéficier de volumes disciplinaires conséquents dans leurs enseignements de prédilection.

Vous souhaitez en finir avec l'épreuve orale de rattrapage. Pourquoi ?

Je propose en effet de ne plus l'organiser sous forme d'épreuves orales, mais d'examiner le livret scolaire des élèves ajournés entre 8 et 10. Je suis convaincu que le fait de "rattraper" sur la base de l'examen du travail réalisé pendant deux ans est beaucoup plus juste.

N’y a-t-il pas une dimension économique dans cette volonté de faire évoluer le bac ?

Très franchement, le premier coût du bac, c'est la charge mentale qu'il fait peser sur tout le monde sur un laps de temps très court. Le bac en tant que tel n'est pas un enjeu budgétaire si l'on s'en tient à ses seules dépenses d'organisation. Il est une dépense anormale en revanche si l'on tient compte du fait que 8 % du temps du lycée est "perdu" pour tout le monde – même pour les élèves de seconde – du fait de l'organisation du bac. Là, on doit faire mieux. Dans tous les cas, mon entrée dans le sujet n'a pas été budgétaire.

Par conséquent, quel lycée proposez-vous ?

Les élèves doivent continuer à acquérir une culture commune et, dans le même temps, avoir la possibilité de faire des choix liés aux cursus qu’ils envisagent dans l’enseignement supérieur. Mais attention, il ne s’agit pas de faire des choix impératifs en première et en terminale qui seraient l’alpha et l’oméga de l’orientation. L’orientation dans le supérieur ne doit pas être uniquement liée au choix de la majeure. Aussi, dès le début de la seconde, il y aurait une attention particulière à l’accompagnement des élèves dans l’après-lycée. C'est un véritable enjeu d'égalité entre les élèves.

Je propose donc de passer à un système semestriel, qui reposerait sur trois unités : générale, d’approfondissement (deux disciplines formant la majeure, ainsi que deux ou trois disciplines formant la mineure) et d'accompagnement. Le volume horaire de l’unité générale diminuerait petit à petit (15 heures hebdomadaires en première et 10 heures en terminale) quand celui de l’unité d’approfondissement augmenterait. L'accompagnement vaudrait lui pour deux à trois heures hebdomadaires. Par ailleurs, les options facultatives seraient maintenues.

La majeure serait à choisir parmi un bouquet de dix couples nationaux plus, éventuellement, des couples décidés à l’échelle de l’établissement ou d'un réseau d’établissements de proximité. Si les couples nationaux ne mixent pas de disciplines générales et technologiques, il serait très bien que des couples locaux le fassent. L’organisation du bac et du lycée technologique auraient globalement la même forme que le lycée général.

Le calendrier prévu est-il maintenu et, si oui, est-il tenable ?

Ma mission est de faire des propositions qui puissent concerner la classe de seconde à la rentrée 2018 dans la perspective du bac 2021. Dès la rentrée prochaine, la classe de seconde doit connaître des évolutions mais il ne m'appartient pas de dire lesquelles. C’est entre les mains du ministre. Quant aux programmes, il est évidemment trop tard pour en mettre en œuvre de nouveaux à la rentrée prochaine : ce chantier attendra la rentrée 2019.

Ce que je propose repose sur des transformations assez importantes.

Cela ne va-t-il pas engendrer de grands bouleversements organisationnels difficiles à mettre en place ?

Diverses questions sont posées - celle des programmes, des groupes classe, je ne le nie pas. Le moyen de gérer cela au mieux serait que les emplois du temps, des élèves et des enseignants, soient connus dès le début de l’année. Pour cela, l’élève choisirait les deux disciplines qui constitueraient sa majeure de première en seconde, et en première pour celle de terminale. Les majeures sont au moins annuelles, mais pourront évoluer d’une année à l’autre sous certaines conditions, contrairement aux disciplines de la mineure qui, elles, pourraient être modifiées – ou non – chaque semestre. Il serait également possible qu’une ou deux disciplines mineures soient choisies dans la majeure, si un élève souhaite approfondir ses apprentissages dans une discipline.

Dans une précédente interview à EducPros, vous déclariez souhaiter ne pas vous contenter de quelques ajustements. Êtes-vous satisfait ?

Ce que je propose est, je crois, relativement novateur et repose sur des transformations assez importantes. Je suis donc satisfait de ce point de vue-là car j'ai essayé d'aller dans le sens d'une véritable transformation. Mais mes positions ont parfois évolué au long des auditions car j'ai été très attentif aux idées des uns et des autres. Et j'ai également été très soucieux de la faisabilité de mes suggestions.

Qu’espérez-vous des décisions du ministre suite à vos propositions ?

Conformément à la lettre de mission, j’ai mis entre les mains du ministre des propositions conçues dans une totale liberté. Et c'est dans la même liberté, j'en suis sûr, qu'il s'en emparera. Cela était clair dès le départ pour lui comme pour moi.

Pensez-vous que votre projet puisse susciter de fortes résistances ?

Je pense que le système actuel est arrivé à saturation sur le plan organisationnel et il ne répond pas à l'enjeu du lien nécessaire avec l'enseignement supérieur. Ces deux raisons justifient une évolution dont je suis convaincu que le monde enseignant, les élèves, les parents et la société tout entière en comprennent la nécessité. S'agissant des enseignants, il est normal qu'ils soient attentifs à ce que l'on va proposer : il s'agit de leur métier et de ses conditions d'exercice.

J'ai essayé de tenir le plus possible compte de leurs attentes, que je sais très fortes, notamment autour de l'importance des disciplines et de la légitimité de leur rôle d'évaluateurs. En parallèle, bien sûr, je propose des choses impliquant une évolution de leur métier, notamment autour de l'accompagnement à l'orientation. Si certains peuvent préférer le statu quo aux réformes, je sais que la plupart sont au fond d'accord. Ce qui leur importe avant tout est de permettre la réussite de leurs élèves.


Les majeures nationales proposées par le rapport Mathiot

• Mathématiques et physique-chimie
• Sciences de l’ingénieur et mathématiques
• SVT et physique-chimie
• Informatique et mathématiques
• Mathématiques et SES
• SES et histoire-géographie
• Littérature et art
• Littérature et langues anciennes
• Littérature étrangère et 2 langues étrangères

À celles-ci s'ajouteraient des majeures reprenant l'organisation des séries technologiques.

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