
C'est la sidération qui a secoué les établissements de l'enseignement supérieur français à la suite des annonces de Donald Trump, président des États-Unis, ciblant la recherche scientifique de son pays, avec des coupes budgétaires drastiques dans certaines disciplines et des licenciements massifs au sein de plusieurs agences fédérales scientifiques.
Symbole de cette politique : la suppression des 400 millions de dollars de subventions fédérales accordées à l'université Columbia, fleuron de l'enseignement et de la recherche américain.
Outre-Atlantique, on s'inquiète des conséquences qui devraient se répercuter sur l'ensemble du globe. "Il est encore un peu tôt pour se projeter précisément : avec 10 annonces à la minute, souvent contradictoires, il est difficile d'imaginer quel va être l'impact à quelques semaines, et impossible à l'échelle d'un mandat", prévient Olivier Grasset, vice-président recherche de Nantes Université.
Mais beaucoup prédisent déjà des impacts forts, comme l'explique Francis-André Wollman, vice-président délégué aux relations internationales de l'Académie des sciences. "Notre académie sait depuis toujours le rôle que jouent les sciences américaines dans la science mondiale, en raison de ce qu'elle produit mais aussi de ses capacités d'accueil".
"Des rustines sur les cas urgents"
L'heure est donc au recensement, laboratoire par laboratoire, des programmes de recherche touchés et des chercheurs concernés. Impossible à chiffrer en l'état. "On nous a remonté par exemple le cas d'une Française en post-doctorat aux États-Unis, à qui on a demandé de partir", expose Francis-André Wollman. "Des collègues français se sont organisés pour pouvoir l'accueillir un an pour finir ses recherches. Les labos vont ainsi tenter, au cas par cas, des réparations avec des rustines sur des cas urgents."
Nous commençons à entendre certains laboratoires américains déconseiller à des étudiants chinois, indiens ou européens de venir (O.Grasset, vice-président recherche de Nantes Université)
Les établissements commencent également à anticiper un afflux de candidats, notamment en post-doctorat. "Nous allons devoir renforcer la visibilité de possibilités d'accueil de candidats étrangers, européens, mais aussi canadiens, qui font majoritairement leur post-doctorat de l'autre côté de la frontière", avertit ainsi Pascal Hot, vice-président recherche de l'université Savoie Mont-Blanc.
"Nous commençons à entendre certains laboratoires américains déconseiller à des étudiants chinois, indiens ou européens - qu'ils accueillent traditionnellement - de venir", renchérit Olivier Grasset.
Des conséquences sur la production de recherche
Au-delà des ressources humaines, les scientifiques français sont préoccupés par l'impact sur le résultat de la recherche lui-même, ainsi que par l'accès à certaines données. Selon France Info, le NOAA, l'agence nationale américaine pour l'océan et l'atmosphère aurait ainsi désormais interdiction de communiquer avec l'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer).
"Le gouvernement américain refuse aujourd'hui le partage de la donnée, notamment sur le suivi des enjeux climatiques, confirme Olivier Grasset. S'il s'engage sur une destruction brutale et massive de ces données, cela représenterait une perte irréparable."
Passé le choc, les scientifiques du monde entier s'organisent. "Aujourd'hui, tout est en mode sous-marin, il faut du temps pour qu'une résistance se mette en place", poursuit-il. Avec des enjeux d'hébergement de ces données.
Mais les complications pour les universitaires français ne s'arrêtent pas là. "Les demandes de visas ou de déplacements aux États-Unis sont à l'arrêt", avertit Pascal Hot. Il cite des spécialistes des glaciers qui souhaiteraient se rendre en Alaska dans le cadre de leurs recherches. Tout a été stoppé net.
Organiser un asile scientifique
En réaction, certains établissements se restructurent pour accueillir des collègues américains. Aix-Marseille Université a lancé, dès le début du mois de mars, le programme Safe Place For Science. 15 millions d'euros, pour accueillir une quinzaine de chercheurs sur trois ans. "J'ai été choqué de voir certains collègues empêchés, licenciés et certains pans de la science jetés à la poubelle", explique Eric Berton, président d'amU.
L'initiative a déjà reçu 103 candidatures et 43 prises de contact, qui vont être étudiées. "Nous proposons un asile scientifique proche du programme PAUSE [le Programme national d'accueil en urgence des scientifiques et des artistes, lancé en 2017], mais pour un pays qui n'est pas en guerre", explique Eric Berton.
On assiste avant tout à une stratégie de développement qui consiste à ne plus considérer la science, la connaissance et la recherche comme un bien public, mais comme un bien d'intérêt financier (F-A. Wollman, vice-président délégué aux relations internationales de l'Académie des sciences)
Les chercheurs américains prennent contact par messagerie cryptée ou via des proches. "Certains sont très anxieux", décrit-il. Avec des profils variés : chercheurs licenciés, sans financements ou qui préfèrent quitter le pays, dans des domaines variés, sciences humaines et sociales, humanités, biologie, médecine, climat, astrophysique, etc.
En parallèle, amU s'est rapproché des collectivités locales pour organiser le logement des chercheurs et de leurs familles. Comme pour les Ukrainiens au début de la guerre.
Un mouvement collectif
D'autres établissements réfléchissent à des dispositifs similaires. C'est le cas du site de Toulouse, mais également des universités PSL, Paris-Saclay, Bordeaux ou celle de Savoie Mont-Blanc, qui envisage d'accueillir davantage d'Américains via les dispositifs existants.
CentraleSupélec a pu réunir, grâce à sa fondation, un fonds dédié de trois millions d'euros, pour attirer des scientifiques de haut niveau. "Nous sommes attentifs, solidaires et prêts à faire ce que l'on peut pour que nos collègues puissent travailler dans les meilleures conditions", explique Romain Soubeyran, son directeur général. Il projette d'accueillir cinq personnes, avec les équipes et équipements nécessaires. "Du sur-mesure".
Et il n'exclut pas d'élargir le dispositif. "Si nous réussissons à attirer des scientifiques de très haut niveau, cela sera apprécié par nos donateurs, très sensibles aux enjeux scientifiques. Nous parviendrons peut-être ensuite à lever d'autres fonds."
Un risque de contagion ?
Le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Philippe Baptiste, a déclaré de son côté, le 12 mars dernier, que "l'État sera[it] là pour accompagner les chercheurs américains". Sans précisions budgétaires.
Mais Francis-André Wollman, de l'Académie des sciences, craint un potentiel effet de contagion. "Certains voient un mouvement anti-science et obscurantiste. Je ne partage pas cette opinion."
"Je pense qu'on assiste avant tout à une stratégie de développement qui consiste à ne plus considérer la science, la connaissance et la recherche comme un bien public, mais comme un bien d'intérêt financier. En considérant que ce sont aux grandes entreprises d'investir de l'argent sur certaines thématiques. Je crains une privatisation de la connaissance dans le monde. Nous sommes à un moment où les choses peuvent basculer. Il faut espérer que l'Europe parvienne à résister à cela".