Pour se développer en France, les écoles d'ingénieurs multiplient leurs campus

Laura Makary Publié le
Pour se développer en France, les écoles d'ingénieurs multiplient leurs campus
Plutôt que d'agrandir leur campus d'origine, de plus en plus d'écoles d'ingénieurs françaises privilégient l'essaimage en région pour se développer. // ©  Isen / Ionis group
Pour s'agrandir, de plus en plus d'écoles d'ingénieurs font le choix d'ouvrir de nouveaux campus sur le territoire français. Avec cet essaimage, les établissements, majoritairement privés, visent à se rapprocher des acteurs économiques locaux mais aussi à élargir leur vivier de recrutement.

Aix-en-Provence, Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Rennes, Nantes... Depuis le début de l'année, la liste des nouveaux campus d'écoles d'ingénieurs s'allonge, annonce après annonce. Après l'Epita, l'ESME Sudria ou encore l'Isen, c'est désormais l'Esaip qui fait savoir qu'elle s'installe à Aix-en-Provence à la rentrée 2017, loin de son siège angevin. Plutôt que d'agrandir leur campus d'origine, de plus en plus d'écoles d'ingénieurs françaises privilégient l'essaimage en région pour se développer.

UN argument économique pour les familles

C'est la stratégie adoptée par le groupe privé Ionis, qui détient notamment l'Epita et l'ESME Sudria. L'objectif recherché ? Se rapprocher des candidats potentiels. "La multiplication des campus permet d'aller à la rencontre des jeunes", explique Fabrice Bardèche, vice-président exécutif du groupe. Pour s'installer sur de nouveaux territoires, le groupe s'appuie sur ses autres établissements. À la rentrée 2017, l'Epita rejoindra le campus strasbourgeois d'Epitech, de l'ISG et de l'Iseg, autres écoles Ionis.

"C'est aussi un argument psychologique, en plus des questions financières. Les parents ont moins d'inquiétude à voir leur fils ou leur fille de 17 ou 18 ans partir dans la grande ville la plus proche plutôt qu'à Paris", souligne Fabrice Bardèche.

Un constat que partage l'Isen, qui ouvre un campus à Nantes en septembre 2017. "Ce n'est pas toujours facile pour un jeune à peine majeur de se retrouver très loin de chez soi. Loin de leurs familles, les jeunes sont plus sujets à l'échec, surtout après le bac. Cela devient plus simple pour des étudiants de 20 ou 21 ans", constate Marc Faudeil, directeur de Yncréa Ouest, entité qui regroupe Isen Brest, Nantes et Rennes.

Loin de leurs familles, les jeunes sont plus sujets à l'échec, surtout après le bac. Cela devient plus simple pour des étudiants de 20 ou 21 ans.
(M. Faudeil)

Des modèles différents d'une école à l'autre

Néanmoins, les stratégies et modèles de ces écoles multicampus sont différentes. À l'ESME Sudria, le nouveau campus bordelais ne sera ouvert qu'aux trois premières années, les étudiants étant captés dès après le bac dans leur ville d'origine. "Après un semestre obligatoire à l'étranger à la fin de la troisième année, les étudiants de tous nos campus terminent leur cursus sur celui de Paris-Ivry", détaille Véronique Bonnet, directrice générale déléguée de l'école.

À l'inverse, l'Icam et le Cesi, qui, à ce jour, disposent respectivement de six campus en France pour le premier et d'une vingtaine pour le second, misent sur des cycles complet au même endroit. "C'est lié à l'histoire du groupe Cesi, créé par de grandes entreprises en 1985 pour former leurs agents de maîtrise à l'ingénierie, rappelle Jean-Louis Allard, directeur de l'école d'ingénieurs du Cesi. Il était donc logique que l'école soit proche des entreprises. Aujourd'hui, la formation est la même partout. Le Cesi est une seule association, répartie sur tout le territoire, avec les mêmes cours et les mêmes évaluations."

Autre école privée multicampus, l'EPF (École polytechnique féminine) dispose de trois implantations, à Sceaux, Montpellier et Troyes. "Nous avons opté pour un seul et même programme lors des trois premières années, suivi d'un cycle master coloré selon les spécialisations et les réalités de chaque lieu", déclare Jean-Michel Nicolle, son directeur. Un étudiant en quatrième année intéressé par l'urbanisme se rendra plutôt à Troyes, là où le passionné de mécanique partira en région parisienne. Même stratégie à l'Icam. "Le programme ingénieur est le même partout. Seul le huitième semestre est décliné selon les réalités du terrain", précise Jean-Michel Viot, directeur général de l'école aux six campus.

Quid des écoles publiques ?

Un point commun réunit ces écoles : elles sont toutes de statut privé. "Par nature, les universités ont une vocation territoriale, et sont en lien avec leur zone géographique. Les écoles publiques ont plutôt une logique de réseaux et d'alliances, comme les Insa ou les UT [universités technologiques]", pointe Jean-Michel Nicolle.

Une seule école d'ingénieurs publique est multicampus : Arts et Métiers. Fort de ses huit implantations, l'établissement revendique cette position particulière. "Nous sommes une école d'ingénieurs tournée vers l'industrie, il est donc logique de disposer d'un maillage, au plus près des bassins d'emplois, ainsi que des PME et des PMI. Les cours et le programme du cycle ingénieur sont ensuite les mêmes dans tous nos campus et la direction générale et le recrutement se font au niveau national", résume Alexandre Rigal, directeur général adjoint. Comme à l'EPF, les spécialisations de fin de cursus sont réparties dans les campus selon les besoins de chaque territoire.

En revanche, Arts et Métiers n'envisage pas de nouvelles implantations. En tout cas, pas en France. "Si nous ouvrons un autre campus, ce sera plutôt à l'étranger, en Asie ou en Afrique, ajoute Alexandre Rigal. Nous sommes d'ailleurs en pleine réflexion sur le sujet..."

Des ouvertures des campus sous surveillance de la CTI
Pour créer un nouveau campus, une école d'ingénieurs doit adresser une demande à la CTI (Commission des titres d'ingénieurs). "C'est un processus long, car il faut montrer que les projets sont pérennes, qu'ils s'intègrent dans le paysage local et que les entreprises en ont réellement besoin. Pour une section en apprentissage de 25 élèves, il faut par exemple trois fois plus d'entreprises qui expriment un besoin", énumère Jean-Louis Allard, directeur de l'école d'ingénieurs du Cesi. Son école travaille justement avec la CTI sur l'ouverture de nouveaux campus en France.

La commission se montre attentive à ces demandes de plus en plus fréquentes. "Nous observons la maquette pédagogique, le projet, les partenaires, les compétences, l'équilibre de l'ensemble, mais aussi le profil recherché et les moyens mis pour y parvenir. Notre objectif est de nous assurer que l'établissement sera en mesure d'assurer la même qualité de formation sur tous ses sites", indique Laurent Mahieu, président de la CTI. Si la Commission est satisfaite, l'école se voit remettre une habilitation restreinte, voire maximale. Dans le cas contraire, elle peut refuser l'accréditation et demander à l'école de prendre quelques années pour peaufiner son projet.

En outre, l'organisme d'accréditation travaille sur une potentielle future accréditation des campus à l'étranger, portés par les écoles françaises d'ingénieurs.

Laura Makary | Publié le