
Si les freins à l'emploi pour les jeunes issus de QPV (quartiers prioritaires de la ville) sont déjà bien connus, ceux qui rendent l'accès à l'alternance difficile, le sont moins.
Ces freins sont pourtant tout aussi importants, selon une étude du Céreq (Céreq, centre d'études et de recherches sur les qualifications), publiée le 27 août. Elle dresse un état des lieux, en s’appuyant sur les données de la génération 2017, c'est-à-dire avant la loi Avenir professionnel de 2018, ayant mené à un boom de l'apprentissage.
Quel que soit le niveau d'études, les jeunes issus de ces quartiers accèdent moins facilement aux contrats d'apprentissage que les jeunes résidant dans d'autres quartiers. Seuls 23% des jeunes issus de QPV sortent de formation initiale en alternance en 2017, contre 33% de leurs voisins, selon l'étude du Céreq.
Dans le secondaire professionnel, un accès inégal à l'apprentissage
"Les inégalités d'accès s'observent partout. Mais l'écart est surtout important pour les jeunes du secondaire", précise Elsa Personnaz, co-autrice de l'étude pour le Céreq. En voie professionnelle, seuls 9% des jeunes des QPV signent un contrat en apprentissage, contre 16% de leurs voisins, pointe l'étude.
La chercheuse explique ce phénomène en rappelant qu'à la fin du collège, plus de 70% des jeunes de QPV sont orientés en voie professionnelle, contre un peu plus de la moitié pour leurs voisins. Ils sont donc plus nombreux, mais "parmi eux, il ne s'agit pas d'un choix pour un tiers des cas", complète-t-elle. "En se retrouvant dans une filière pro, ces jeunes peuvent subir davantage leur scolarité et finissent par moins s'appliquer à chercher une alternance, qui reste difficile à trouver pour eux", avance Elsa Personnaz.
Un travail de sensibilisation sur les possibilités en alternance
D'autres facteurs permettent d'expliquer cet écart, présent tout au long de la scolarité. En dépit d'une démocratisation massive de l'alternance ces dernières années, un travail de sensibilisation est à mener auprès des jeunes issus de quartiers prioritaires. "Dans certains cas, ils ne savent pas qu'ils peuvent avoir accès à l'apprentissage", détaille la chercheuse.
"Les jeunes les plus éloignés de l'emploi ne viennent pas à nous et sont, de fait, exclus de ce type de dispositifs", abonde Hélène Monjardet, chargée des partenariats économiques à l'Union nationale des missions locales (UNML), qui précise que parmi le public qu'ils accompagnent, près de 20% sont issus de QPV.
Pour les sensibiliser à l'alternance, les missions locales organisent des actions, avec les associations territoriales de prévention spécialisée. Ces ateliers de découverte et de sensibilisation présentent le fonctionnement de l'alternance et ses avantages : le salaire, le financement des études et une première expérience professionnelle qui facilite l'insertion professionnelle.
Le frein de la mobilité
Les jeunes issus de quartiers prioritaires ont également davantage de difficultés de mobilité : l'accès à l'entreprise ou à l'établissement de formation peut s'avérer dissuasif. "Il y a parfois une réticence du jeune à bouger. Nous les accompagnons à sortir de leur bassin d'emploi, si l'entreprise se trouve en dehors de leur département", illustre Hélène Monjardet.
"Quand vous habitez Clichy-sous-Bois, il peut être plus difficile d'accéder à une alternance qui se trouve dans le centre de Paris", illustre Christelle Mesle-Guénin, fondatrice de JobIRL, qui accompagne les jeunes de QPV dans leur insertion professionnelle. D'autant que les élèves issus de ces quartiers sont bien moins souvent titulaires du permis de conduire, voire dans l'incapacité d'engager les frais financiers pour l'obtenir. "Ils peuvent également être confrontés à des réseaux de transport en commun moins développés et se trouver en difficulté pour financer un logement étudiant", ajoute Elsa Personnaz.
Pour 12% des jeunes de QPV, l'absence de formation à proximité est l'une des raisons d'arrêt des études, contre 6% des jeunes résidant hors quartiers prioritaires.
Le manque de réseau et d'accompagnement
Autre difficulté : les jeunes issus de QPV ont généralement plus de mal à trouver un employeur. "Ils n'ont pas le même réseau que les jeunes plus favorisés, affirme Christelle Mesle-Génin. Ils n'ont pas l'entourage familial et amical qui leur permet de constituer un réseau et des connaissances du monde de l'entreprise".
Le "manque d’accompagnement lors de la phase de recherche d’une place en organisme de formation et surtout d’une entreprise d’accueil" est d'ailleurs pointé du doigt par le Céreq pour expliquer l'écart d'accès à l'alternance. "Il faudrait repenser cet accompagnement pour ces jeunes, pour compenser un capital social moins élevé", assure Arthur Félix W. Sawadogo, co-auteur de l'étude.
Des associations comme JobIRL ou les missions locales tentent de compenser ces manques. "Grâce à une mise en relation avec des ambassadeurs métiers, on leur donne accès à un réseau qu'ils n'ont pas", complète Christelle Meslé-Génin. "On les aide à faire leur CV, à préparer leurs entretiens de motivation", détaille Hélène Monjardet.
Des diplômes moins recherchés
De plus, "en raison du manque de réseau, ces jeunes connaissent moins bien les "bonnes" écoles, les bons diplômes et leurs débouchés et présentent des cursus moins prestigieux aux yeux des employeurs", explique Christelle Meslé-Génin. L'étude du Céreq évoque aussi ce "sas de sélection déplacé en amont de la période d’insertion, lors de la phase d’orientation".
La fracture sociale se manifeste donc aussi lors du recrutement en entreprise, durant lequel les jeunes issus de quartiers prioritaires peuvent être aussi davantage victimes de discrimination, du fait de leur origine sociale, ethnique ou religieuse, pointe la fondatrice de JobIRL. "Il existe encore aujourd'hui un frein au bon nom et à la bonne adresse".
Pourtant, l'alternance présente un bénéfice plus élevé pour ces jeunes, leur "permettant de compenser en partie le retard à l’insertion accusé par rapport à leurs voisins", pointe l'étude du Céreq.
Les écarts d'insertion professionnelle entre jeunes diplômés issus de QPV et leurs voisins se réduisent quand ceux-ci ont suivi un cursus en alternance.
Renforcer les effectifs d'apprentis issus de quartiers prioritaires de la ville
Le gouvernement s'est fixé l’objectif d'atteindre 80.000 jeunes apprentis issus des QPV par an d’ici 2027. "En 2022, 63.600 contrats d'apprentissage avaient été signés" par des jeunes de QPV, précise la DGEFP (Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle).
Dans cette optique, la DGEFP explique que les prépas apprentissage, mises en place en 2019, seront bientôt remplacées par un autre dispositif de repérage et de remobilisation des publics les plus éloignés de l'emploi, qui sera porté par les services déconcentrés du ministère du Travail, les DREETS.