Précarité étudiante : entre volonté d’apaisement et nécessité d’agir

Pauline Bluteau Publié le
Précarité étudiante : entre volonté d’apaisement et nécessité d’agir
La façade du Crous de Lyon vandalisée après la tentative de suicide d'un étudiant le 8 novembre 2019. // ©  Laurent Cerino/REA
Alertés par les associations étudiantes, le ministère de l’Enseignement supérieur et le CNOUS ont annoncé trois grandes mesures pour lutter contre la précarité étudiante. Des dispositifs encourageants et nécessaires mais qui n’empêchent pas les étudiants de poursuivre leur mobilisation.

Le 8 novembre dernier, un étudiant s’est immolé devant le CROUS de Lyon, dénonçant ainsi la précarité à laquelle il était confronté. Un mal-être bien présent pour un bon nombre d’étudiants : 22,7% estiment avoir eu d’importantes difficultés financières au cours de l’année (OVE 2016).

En réponse à cette situation de crise et après s’être concertée avec les principales organisations étudiantes, la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, s’est engagée dès fin novembre sur trois points : le gel des loyers en résidence CROUS en 2020, la trêve hivernale appliquée aux logements étudiants ainsi que la mise en place d’un numéro d’urgence pour accélérer la procédure en cas de difficultés financières.

Des mesures prises en collaboration avec le CNOUS (centre national des œuvres universitaires et scolaires) dont le fonctionnement a été vivement critiqué et le personnel menacé ces dernières semaines par les étudiants.

La précarité étudiante : un sujet complexe

"Je ne reviendrai pas sur le dossier de cet étudiant lyonnais, même si je le connais très bien, cela relève de sa vie privée. En revanche, ce que je peux dire, c’est qu’il a mis en lumière ce que pensent un certain nombre d’étudiants. C’est un message d’ampleur politique, qui excède le sujet de la précarité étudiante, et n'est pas seulement lié à ses problématiques personnelles", admet Dominique Marchand. Aujourd’hui, plusieurs chiffres témoignent des difficultés auxquelles font face les étudiants mais aucun ne définit concrètement ce qu’est la précarité.

Pour la présidente du CNOUS, cet événement a ainsi remis en cause certaines difficultés ressenties au sein du réseau, comme la diversité des situations ou la nécessité de qualifier la précarité étudiante pour mieux les accompagner mais pas seulement. "La question du manque d’informations des étudiants concernant les aides dont ils peuvent bénéficier a aussi été soulevé et ce, malgré tous nos efforts de communication." Une information qu’a immédiatement partagée Frédérique Vidal, chiffre à l’appui : "Il reste chaque année 15 millions d’euros d’allocations non-consommées."

La revalorisation des bourses : le nerf de la guerre

Or, contrairement à ce qu’attendaient les organisations étudiantes, ministère et CNOUS se sont concentrés sur des mesures axées sur le logement, et non sur les bourses, pour répondre à cette situation d’urgence. "Notre rôle est d’accompagner les étudiants, le logement est leur premier poste de dépense et leur première source d’inquiétude, nous avons estimé que c’était la priorité. Est-ce suffisant ? C’est toujours la question", constate Dominique Marchand. "La trêve hivernale et le gel des loyers sont des mesures historiques mais on réclame plus, d’autant que ces mesures sont strictement déclaratives, rien n’est officiel aux yeux de la loi", rétorque Orlane François, présidente de la Fage (fédération des associations générales étudiantes).

Le gouvernement n’est pas prêt financièrement, c’est pour cela que rien ne bouge. (O. François)

La première organisation étudiante de France plaide pour une réévaluation annuelle des bourses sur critères sociaux en fonction de l’inflation, "comme c’est le cas pour la CVEC (contribution de vie étudiante et de campus, ndlr)". D’après le CNOUS, cette décision est du ressort du ministère. "En parallèle, nous travaillons sur le revenu universel d’activité dont les lignes directrices pourraient avoir des incidences sur les bourses afin d'être en cohérence. Quels revenus allons-nous prendre en compte ? comment être au plus proche de la réalité ? comment gommer les effets de seuil entre les différents échelons ? On doit analyser tous les impacts et cela prend nécessairement du temps." Du temps, les organisations étudiantes n’en ont pas. "On constate que le gouvernement n’est pas prêt financièrement, c’est pour cela que rien ne bouge", affirme Orlane François.

Un travail sur la santé des étudiants en perspective

Pour le CNOUS comme pour la mairie de Paris, la question des aides financières n’est qu’un sujet parmi d’autres concernant la précarité étudiante. "Considérer que les aides aux étudiant∙e∙s doivent se limiter à un accompagnement financier, c’est ignorer la rupture que constitue pour nombre de jeunes le passage du lycée à l’enseignement supérieur ", juge Marie-Christine Lemardeley, adjointe à la Maire de Paris dans sa tribune publiée sur EducPros.

En ligne de mire : une attention particulière à la santé mentale et physique des étudiants. La ville souhaiterait par exemple étendre son système de Nightline pour "les étudiants isolés" en s’appuyant sur les professionnels de la santé mentale. Même constat pour le CNOUS qui compte bien développer ses dispositifs d’écoute avec l’aide des établissements supérieurs. "La CPU a déjà démontré qu’elle portait ce message. Il faut que les étudiants puissent savoir rapidement vers qui se tourner, que l’offre soit lisible et transparente. Ce numéro d’urgence prévu par la ministre pour la fin d’année est une première avancée", conclut Dominique Marchand.

De son côté, la mairie de Paris a annoncé le déblocage de 200.000 € en 2020 pour la vie étudiante, notamment pour lutter contre la précarité.

Pauline Bluteau | Publié le