
Après cinq ans d'expérimentation, les prépas apprentissage ont tiré le rideau, fin décembre 2024 comme prévu initialement, non sans créer de la frustration pour la plupart des instances concernées.
En effet, la CMA (Chambre de métiers et de l'artisanat) et la Fnadir (Fédération nationale des directeurs de centres de formation d'apprentis), acteurs centraux des différents dispositifs lancés sur le territoire ces dernières années, appelaient à son renouvellement depuis plusieurs mois.
Elles regrettent déjà une "action structurante", qui a "favorisé une rencontre des entreprises et des jeunes" (CMA), ou encore "un sas" pour les jeunes les plus fragiles qui ne seraient pas encore sûrs de leur orientation.
Lancé en 2019 pour accompagner les jeunes les plus vulnérables
Cet arrêt des activités résulte de la décision du gouvernement de ne pas prolonger l'expérimentation en 2025, après cinq ans de projets développés, notamment dans un contexte de coupes budgétaires attendues sur l'apprentissage.
Pour rappel, ce dispositif, mis en place en 2019 dans le cadre du Plan d'investissement dans les compétences (PIC), permet d'accompagner les jeunes vulnérables vers l'apprentissage, en leur offrant un temps de préparation adapté à leurs besoins.
Dans le détail, il vise principalement les jeunes sans emploi ni formation, de niveau infra-bac, en décrochage scolaire, ou encore originaires de quartiers prioritaires et éloignés de l'emploi.
Deux formules différentes
Les prépas "sectorielles" ou "intégrées"
Ces prépas, d'une durée courte (moins de 2 mois), ciblent un secteur ou une filière spécifique (industrie, bâtiment, etc.). Elles préparent les jeunes à intégrer directement un CFA ou un réseau d'entreprises en développant des compétences adaptées aux besoins de ces métiers. Elles conviennent plutôt à ceux ayant déjà une orientation claire.
Les prépas "généralistes"
D'une durée plus longue (3 mois à 1 an), elles accompagnent les jeunes dans la découverte de métiers, la définition d'un projet professionnel, et l'acquisition de compétences transversales. Avec des ateliers, des stages en entreprise et un suivi personnalisé, elles sont plutôt adaptées aux jeunes éloignés du marché du travail ou sans projet défini.
Permettre une entrée dans l'apprentissage sécurisée
Selon un rapport mené par le bureau d'études Orseu et Itinere Conseils, en partenariat avec le Céreq, les prépas ont permis d'assurer une entrée dans l'apprentissage plus sécurisée, comme voulu au moment du lancement du dispositif. Entre 2019 et 2022, environ 43% des participants aux prépas apprentissage ont signé un contrat en alternance avec un employeur à l'issue du dispositif.
"Il faut avoir en tête que les autres jeunes sont aussi sortis sur d'autres formations (15%) ou en emploi", précise Nicolas Farvaque, directeur du cabinet Orseu Recherche & études. "Ce sont des jeunes qui ont trouvé leur voie d'une manière ou d'une autre".
Un constat confirmé par la Fnadir, dont les CFA ont été centraux dans le développement de dispositifs sur l'ensemble du territoire. "Grâce à l'accompagnement mené, les jeunes ont pu regagner en confiance, être remotivés", confirme Jean-Philippe Audrain, président de la Fnadir.
D'autres acteurs font également le même constat. A la fin de l’année 2024, le réseau des CMA a accueilli 26.000 jeunes en prépa apprentissage, soit 32 % de l’effectif total. "71% des participants ont réalisé la totalité de leur parcours et 67% ont connu une "sortie positive", dont 55% en contrat d’apprentissage", précise ainsi Julien Gondard, directeur général de CMA France, qui a été partie prenante du dispositif depuis son lancement.
Un impact potentiel sur les risques de ruptures de contrat
Selon ce rapport, les jeunes ayant bénéficié d'une prépa apprentissage sortent mieux préparés à la réalité de l'apprentissage et du travail en entreprise, ce qui peut contribuer à réduire les risques de ruptures de contrat d'apprentissage, souvent dues à des attentes mal alignées ou à des difficultés d'adaptation.
Si des enquêtes approfondies sur l'impact que la prépa aurait pu avoir sur la réduction des ruptures de contrat n'ont pas été effectuées, plusieurs acteurs affirment avoir observé un lien de cause à effet. "Plusieurs sites de CMA Formation ont signalé un taux proche de zéro, pour les bénéficiaires de la prépa apprentissage", assure CMA France.
Un "accompagnement quotidien" pour des publics éloignés de l'emploi
Et pour cause, selon la Fnadir, de nombreuses prépas généralistes ont permis "un vrai travail de fond", pour aider le jeune à "reprendre le goût de se lever le matin, aller en cours", précise Jean-Philippe Audrain.
Au programme, apprentissage des savoir-être en entreprise, et découverte de ce qu'implique un contrat d'alternance. "Il y a des codes professionnels très concrets à appréhender, permettant ensuite d'être opérationnels", décrit-il.
Les missions locales, qui intervenaient aussi en tant que partenaire, semblent dresser le même bilan. "Pour les jeunes en recherche d'un employeur, les prépas ont permis d'assurer un accompagnement quotidien pendant plusieurs semaines. Ça a été un tremplin", affirme Gisela Pereira, responsable du pôle orientation-formation à la mission locale Val d'Yerres-Val de Seine.
Les prépas apprentissage ont globalement atteint le public ciblé initialement, en touchant des jeunes habituellement éloignés de ces dispositifs. La majeure partie des bénéficiaires "sont des jeunes mineurs (51% des entrées réalisées entre 2019 et 2022) et les peu diplômés représentent en moyenne 83% du public", détaille un rapport de la Dares rendu public en 2023.
Par ailleurs, les personnes en situation de handicap représentaient 6% des bénéficiaires, tandis que 21% des jeunes touchés étaient originaires de QPV, après quatre années d'existence du dispositif. "La part de ces publics dépasse très nettement celle observée dans les entrées en contrat d’apprentissage : 1% des apprentis sont en situation de handicap et 7% résident en QPV", pointe le même rapport.
Au début, un manque de cohésion des parties prenantes
Certains points de vigilance ont cependant été remontés, notamment en termes de cohésion des différents acteurs, à l'échelle locale. Les prépas apprentissage ont été mises en œuvre par une diversité d’acteurs (CFA, structures d’insertion, missions locales, entreprises, collectivités), souvent sans pilotage commun ou" coordination territoriale claire", explique Nicolas Farvaque.
Au début de l'expérimentation, des difficultés de compréhension ont pu émerger lors des échanges entre les missions locales et les organismes de formation. Dans le détail, le ciblage des publics éligibles aux prépas apprentissage n'a pas toujours été facile à effectuer. "Les places étaient quand même assez réduites", a pu observer Gisela Pereira, chargée d'orienter les jeunes vers les prépas.
"C'était parfois compliqué de faire comprendre à une mission locale que tout le monde ne pouvait pas entrer en prépa et qu'il fallait justifier d'un certain niveau scolaire", explique Jean-Philippe Audrain. Inversement, l'élargissement de la base de recrutement des CFA ne s'est pas faite du jour au lendemain. "Ce n'était pas le profil habituel de ces établissements. Ils ont dû faire face à de nouveaux jeunes", précise Nicolas Farvaque.
"Quand vous mettez en relation des personnes qui n'ont pas l'habitude de travailler ensemble, cela peut être complexe, mais ce n'est pas pour ça qu'il ne faut pas continuer à le faire", confirme le président de la Fnadir.
Plusieurs acteurs font état d'une évolution positive, avec le temps. "Les retours d’expérience et l’engagement des parties prenantes ont permis de renforcer cette coordination", assure de son côté Julien Gondard.
Des effets de concurrence
Par ailleurs, le rapport co-piloté par le Céreq et le bureau d'études Orseu a observé un chevauchement de la prépa apprentissage avec d’autres dispositifs d’insertion ou de formation, ce qui a pu entraîner une concurrence inutile et réduire la lisibilité de l’offre de formations.
"Les débuts de la prépa apprentissage ont mis en lumière certaines difficultés de coordination entre les acteurs locaux, notamment en raison de la coexistence de dispositifs similaires portés par d'autres partenaires", confirme Julien Gondard.
Il s'agit du CEJ (Contrat d'engagement jeunes), des Écoles de la deuxième chance (E2C) ou encore du PACEA (Parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie). Or, ces effets de concurrence ont pu "dégrader la réussite" des prépas apprentissage, affirme Marie-Hélène Toutin, chargée d'études au Céreq de Lille.
Un remplacement du dispositif non assuré
L’introduction, en 2021, d'une rémunération (de 200 à 500 euros selon l'âge) pour les jeunes en prépa apprentissage a permis d’atténuer en partie les effets de concurrence avec d’autres dispositifs d’insertion, tels que le Contrat d'engagement jeune (Garantie Jeunes à l'époque), qui peut, selon les ressources du jeune, aller jusqu'à 528 euros par mois.
Contactée par EducPros, la DGEFP (délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle) n'a pas souhaité se prononcer sur les raisons qui l'ont poussée à ne pas reconduire le dispositif, ou sur l'éventuelle création d'un nouveau dispositif destiné à le supplanter.
"On attend de voir si quelque chose d'autre sera proposé pour couvrir ce besoin d'aller vers ces publics", affirme Jean-Philippe Audrain, président de la Fnadir. Il faudra probablement attendre que la situation se stabilise du côté du gouvernement et de la fabrique des lois, pour en savoir plus.