Quand "Paye ta fac" contraint écoles et universités à réagir

Morgane Taquet Publié le
Quand "Paye ta fac" contraint écoles et universités à réagir
Faisant partie des universités citées sur le blog, Bordeaux-Montaigne a lancé un appel demandant aux "victimes d'agissements intolérables" de se manifester. // ©  Université de Bordeaux-Montaigne
Lancé pour dénoncer le sexisme sévissant dans l'enseignement supérieur, le blog Paye ta fac a poussé les établissements d'enseignement supérieur à réagir. Certains d'entre eux ont ouvert des enquêtes internes, à l'encontre d'enseignants visés par des témoignages d'étudiants.

Après le temps des témoignages vient celui des premières enquêtes internes. Créé en décembre 2016, le blog Paye ta fac donne la parole aux étudiantes victimes de dérives sexistes. Depuis la mise en ligne de ce Tumblr, et à la suite de nombreux témoignages dénonçant directement des abus, certains établissements ont décidé de réagir, en ouvrant notamment des enquêtes internes.

C'est le cas de l'université le Havre-Normandie, où un chargé de cours de l'IUT (institut universitaire de technologie) a été accusé par la Fédération des associations étudiantes du Havre et l'Unef Le Havre d'avoir tenu, lors d'un cours, le 20 janvier 2017, des propos diffamants à l'encontre d'une étudiante. "Une étudiante de l'université s'est vu qualifier de 'salope' par un intervenant", ont précisé les organisations étudiantes, appelant l'administration "à prendre les mesures qui s'imposent".

Reçu par le président de l'université le 27 janvier, le chargé d'enseignement vacataire de l'IUT, suspendu de ses fonctions d'enseignement le 24 janvier, a donné sa démission, indique l'établissement. Toutefois, cette démission ne met pas un point final à cette affaire, puisque "l'université continue d'instruire le dossier, afin de déterminer si d'autres faits ont pu se produire, et ainsi éviter que ce type de comportement se reproduise", confirme l'établissement havrais.

À l'université Lille 2, une enquête a également été ouverte, à la suite d'un témoignage posté sur le blog et d'un signalement de l'Unef. Le président Xavier Vandendriessche a reçu l'enseignant le 27 janvier. Des sanctions ont-elles été prises ? "Il est impossible de prévoir les sanctions avant les conclusions de l'enquête", répond l'université. Dans l'attente de ces conclusions, l'enseignant continue de dispenser des cours. En outre, "une campagne de sensibilisation sera lancée d'ici peu, mais il ne s'agit pas d'un effet d'annonce, donc nous prenons le temps nécessaire", insiste l'université.

le difficile recueil de témoignages directs

Plusieurs universités et écoles citées par le blog ont réagi par des communiqués ou via les réseaux sociaux. C'est le cas de Toulouse-Jean-Jaurès, de Sciences po Strasbourg ou encore de Bordeaux. À l'université Bordeaux-Montaigne, la présidente Hélène Velasco-Graciet s'est même fendue d'un appel sur la page Facebook de l'établissement, demandant aux étudiantes victimes d'"agissements intolérables" de se manifester auprès de la cellule de veille contre les violences sexistes et homophobes.

Mais, depuis la publication du post dans lequel un chargé de cours de l'université était mis en cause, "il n'y a pas eu de témoignages directs", témoigne Yves Raibaud, chargé des questions égalité femmes-hommes au sein de l'établissement bordelais. La cellule de veille, l'une des pionnières sur le sujet, n'a reçu qu'une dizaine de signalements depuis sa création en 2014.

Le phénomène d'autocensure est plus fort dans un monde hiérarchisé comme le monde académique.
(Y. Raibaud) 

"Ce n'est pas parce qu'on met en place un numéro de téléphone qu'on reçoit des appels, estime Yves Raibaud, évoquant un tabou encore très fort. Ce problème d'invisibilité n'est pas particulier à l'université, même si le phénomène d'autocensure est plus fort dans un monde hiérarchisé comme le monde académique. Et c'est tout le problème : l'université ne peut prendre de sanctions que s'il y a des faits avérés."

Pour sensibiliser sa communauté étudiante, l'université Bordeaux-Montaigne a créé un master Études sur le genre à la rentrée 2016. De plus, l'ensemble des universités bordelaises et leurs quatre chargés de mission se sont coordonnés pour agir de manière groupée sur cette question. Ainsi, dans le cadre de l'Opération Campus, 10.000 euros ont été attribués par les universités pour qu'une "expertise genrée du campus", qui compte 100.000 étudiants, soit réalisée. Portant sur le secteur Pessac-Gradignan et prévue pour début mars 2017, cette initiative comprendra la mise en place d'une enquête en ligne sur le harcèlement sexuel ainsi que de "marches exploratoires, qui permettront à des groupements mixtes d'arpenter le campus pour repérer les endroits propices au harcèlement sexuel", indique Yves Raibaud, par ailleurs géographe spécialiste des inégalités de genre dans la ville.

Reste que les universités ne sont pas toutes armées pour combattre ces comportements : selon Yves Raibaud, environ 30 % des universités possèdent des cellules liées à l'égalité et à la diversité.

Morgane Taquet | Publié le